Des femmes inspirantes

Paul et le voile des femmes

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

29 mars 2023

Crédit photo : Mar Bustos / Unsplash

Dans mon dernier texte, j’ai parlé de Paul qui dit aux femmes de garder le silence dans les assemblées (1 Co 14). Dans ce article j’aborde les versets où il leur permet de parler mais avec un voile (1 Co 11,2-16). Que pensons-nous de toutes ces directives?

 

1 Co 11,2 Félicitations pour vous souvenir de moi et pour votre mémoire des traditions comme je vous les ai transmises.

 

3 Mais je veux que vous sachiez que la tête de chaque homme, c’est le Christ, la tête de la femme, l’homme, la tête du Christ, Dieu. 4 Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte déshonore sa propre tête.

 

5 À l’inverse, toute femme qui prie ou prophétise la tête nue déshonore sa propre tête, oui elle ne fait plus qu’une et même chose avec celle qu’on a tondue. 6 Oui, si une femme ne se couvre pas, qu’elle se tonde, mais si c’est honteux pour une femme d’être tondue ou d’être rasée, qu’elle se couvre.

 

7 Non, un homme n’est pas tenu de se couvrir la tête, étant image et gloire de Dieu- mais la femme est la gloire de l’homme. 8 L’homme n’a pas été tiré de la femme mais la femme de l’homme, 9 et l’homme ne fut pas créé à cause de la femme mais la femme à cause de l’homme. 10 La femme est donc tenue de porter sur la tête un signe d’autorité, à cause des anges.

 

11 En tout cas, dans le Seigneur, jamais la femme sans l’homme ni l’homme sans la femme, 12 oui, comme la femme est tirée de l’homme, l’homme l’est aussi de la femme, et tout l’est de Dieu.

 

13 Jugez-en par vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être couverte? 14 La nature elle-même vous apprend bien qu’il est déshonorant pour un homme d’avoir des cheveux longs 15 mais qu’une femme se glorifie de sa longue chevelure. On lui a donné sa longue chevelure en guise de châle.

 

16 Et si quelqu’un est décidé à chicaner, nous ne pratiquons pas cette coutume ni aucune Assemblée de DieuDan.

 

 

Je pense que Paul ne sait plus sur quel pied danser. Dans le texte ci-joint, il dit aux femmes de prier ou de prophétiser, certes, mais la tête couverte. Il attribue un rôle important aux femmes tout en leur imposant des restrictions en tant que femmes. C’est que la coutume du port du voile semble mise en péril comme l’indique le dernier verset où les contestations ne semblent pas les bienvenues. Paul félicite les femmes pour leur mémoire à se souvenir des traditions comme pour les préparer à des remontrances. En effet, la coutume d’origine juive interdisait aux femmes de sortir de chez elles la tête nue. Cette coutume semble assez importante pour que Paul justifie une intervention énergique, mais avec des arguments qui semblent un peu obscurs et peu convaincants pour des lecteurs et lectrices d’aujourd’hui.

Le voile est présenté comme étant un signe d’autorité (v.10). «Quelle est donc cette puissance, ou cette capacité ou ce droit qu’a la femme en se voilant la tête? C’est tout simplement, nous semble-t-il, le pouvoir de participer au culte de façon active…à condition de porter les marques de sa propre dignité.»[1] D’après Christophe Senft, «la coiffe qui couvre la tête de l’inspirée est le signe de l’autorisation qu’elle a reçue de Dieu et de l’effacement momentanée de la supériorité de l’homme.»[2] Des spécialistes de l’Orient ont aussi souvent signalé que le voile était pour les femmes une manière de protéger leur dignité, les cheveux flottants étant considérés comme un symbole sexuel pouvant troubler les hommes.

Une autre chose à considérer est que les femmes grecques avaient évolué au cours des siècles. Alors, il s’agit peut-être de remettre à leur place les femmes corinthiennes trop éprises de liberté, car on sait que vivre à la corinthienne signifiait alors liberté de mœurs. On sait aussi qu’à Corinthe, des femmes participaient à des cultes à mystères, les cheveux épars. On peut alors comprendre la parole de Paul comme une réaction à une conduite probablement introduite par des adeptes de cultes païens. Paul ne veut-il pas tout simplement établir une nouvelle morale chrétienne tout en préservant ce qui est important pour lui : que les femmes puissent prier publiquement et prophétiser?

Un autre passage vous énerve probablement autant que moi, c’est le v 3, où Paul affirme que la tête de la femme c’est l’homme. Il se réfère probablement à la Genèse où la femme est tirée de l’homme et lui est donc inférieure. Le judaïsme avait développé l’idée d’une hiérarchie des êtres dont Dieu occupe le sommet, puis l’homme et la femme. Paul base donc son argument sur le fait que la femme a été créée en second. Heureusement, un peu plus loin, le texte s’adoucit, alors que, dans le v 7 et les v 11-12, la femme devient la gloire de l’homme, et que la femme n’existe pas sans l’homme, ni l’homme sans la femme. N’êtes-vous pas d’accord avec moi que Paul semble mal à l’aise quand il affirme au v 12 que l’homme naît de la femme ? Hésitation plus ou moins contradictoire d’un grand génie?

 

Réflexions

 

J’insiste sur le fait qu’il ne faut pas oublier de situer Paul dans un contexte patriarcal et dans une époque qui n’est pas celle du 21e siècle. Pour moi, c’est un homme déchiré entre ses intuitions avant-gardistes, la grande vénération qu’il a pour les femmes et les traditions auxquelles il est attaché. Il est prêt à céder sur des points de discipline pour obtenir ce qui lui paraît essentiel : la participation active des femmes dans les assemblées publiques.

Par rapport à la hiérarchie des êtres mettant la femme au dernier rang, je me suis rappelé des faits de mon enfance. Lorsqu’il y avait des événements importants célébrés à la cathédrale de Joliette, une procession s’organisait ainsi : les enfants, les adultes laïcs, les notables de la place, les représentants-es de communautés religieuses, les diacres, les prêtres et enfin l’évêque dans toute sa splendeur avec sa chape dorée, sa crosse et sa mitre. Le dernier personnage entré était le plus important. Alors la femme créée la dernière serait la plus importante?… Je devais porter un chapeau pour entrer dans une Église alors que mon frère devait l’enlever. Mystère dans ma tête d’enfant! Et preuve pour moi aujourd’hui que des coutumes peuvent changer et s’interpréter de différentes façons.

J’ai porté le voile durant dix ans et j’ai adhéré aux raisons qui m’étaient présentées : modestie, détachement de tout ce qui était «mondain». Il fallait expier pour les femmes qui exhibaient leur corps. J’étais libre d’entrer dans une communauté, alors je me croyais libre d’en accepter les coutumes. Et comme je voulais devenir une grande sainte, j’étais prête à tout. J’ai découvert plus tard qu’il n’est pas facile de devenir pleinement libre. C’est un chemin difficile, «qui n’a pas de bout», dirait André Myre. À mes sœurs qui portent le voile, je voudrais dire que je vous aime et voudrais m’assurer que vous êtes libres et heureuses.

Ce texte de Paul est moins négatif qu’il ne le laisse paraître à la première lecture. Paul est prêt à céder à certaines coutumes pour sauver l’essentiel : la participation active des femmes aux assemblées religieuses. Et ne laissons pas les versets disciplinaires qui nous choquent nous faire oublier ce verset «jamais l’homme sans la femme, ni la femme sans l’homme».

 

Notes :

 

[1] Annie Jaubert, Les femmes dans l’Écriture, Fournié, 1979, p. 48

[2] Christophe Senft, La première épître de saint Paul aux Corinthiens, Delachaux et Niestlé, 1979, p. 144

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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