Des femmes inspirantes

Un autre Paul

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

31 mai 2023

Valentin de Boulogne, Saint Paul écrit ses épitres, vers 1620, huile sur toile,

Musée des beaux arts, Houston

Dans mes derniers textes, j’ai présenté un Paul qui demande aux femmes de se taire, de porter le voile dans les assemblées, d’être soumises à leur mari. Mais, j’ai adouci ses propos en les situant dans leur contexte social et j’ai présenté des femmes collaboratrices que Paul respectait et nommait «sœurs» avec tendresse, reconnaissant qu’elles avaient joué un rôle missionnaire important dans ses communautés.

Aujourd’hui je veux vous présenter un Paul plus grand que toutes les accusations dont on l’a accablé depuis des siècles. D’abord l’ensemble des écrits de Paul est surtout marqué du sceau de sa conception de la liberté vis-à-vis la Loi. Parcourons quelques textes :

 

1Co 7,22 Oui, l’esclave appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur.

 

1 Co 6,12 Tout m’est possible mais moi, je ne serai prisonnier de rien.

 

2 Co 3,6 Dieu nous a rendus capable de servir une nouvelle alliance, non de la lettre mais du Souffle, car la lettre tue et le Souffle fait vivre.

 

Ga 2,3 Et pas même Tite, mon compagnon, qui était grec, ne fut contraint d’être circoncis, en dépit des intrus, ces faux frères qui se sont glissés furtivement pour espionner la liberté que nous avons prise dans le Christ Jésus, pour nous réduire à une vraie servitude.

 

Ga 2,16 Un homme n’est pas justifié par ses actes au nom de la Loi mais par la fidélité de Jésus-Christ. Nous avons mis notre confiance dans le Christ Jésus. Car par la Loi aucune chair ne sera justifiée.

 

Ga 3,23-25 Avant la venue de la fidélité, nous étions enfermés sous l’emprise de la Loi… mais la fidélité étant venu, nous ne sommes plus soumis à la Loi.

Ga 5,1 C’est pour nous rendre à la liberté que le Christ nous a libérés.

 

Ga 5.13-14 Vous avez été convoqués à la liberté… car la Loi tout entière trouve son accomplissement dans cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même.

 

Rm 8, 20-21 Car si à la vanité la création fut soumise par la faute de celui qui l’y a soumise, c’est avec l’espérance d’être délivrée de l’esclavage, de la perdition, pour trouver l’éclatante liberté des enfants de Dieu.

 

Soulignons aussi l’insistance de Paul sur la réciprocité des droits :

 

1 Co, 7,2-4 À cause des inconduites que chacun ait sa propre femme et que chacune ait son propre mari. À la femme le mari devra rendre ce qu’il lui doit, même chose pour la femme envers son mari. La femme n’est pas libre de son corps, mais il y a son mari. De même le mari n’est pas libre de son propre corps, mais il y a la femme.

 

Et que dire de ce grand texte?

 

Ga 3,28 Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.

 

Ce dernier passage est à mettre en parallèle avec la prière juive qui se récitait ainsi : «Je te remercie, ô Dieu, de m’avoir fait ni païen, ni esclave, ni femme.» Prière, vous l’aurez compris, qu’on peut traduire ainsi : merci de m’avoir fait naître du bon côté, c’est-à-dire mâle, libre et juif. Je crois qu’en Ga 3,28, nous avons la visée fondamentale de Paul. Celui-ci fait entrer les païens (les Grecs) dans l’Église sans les faire passer par la circoncision. Annie Jaubert y voit «l’abolition du racisme et la reconnaissance qu’aucun peuple n’est obligé de perdre ses propres valeurs traditionnelles pour passer au christianisme.»[i]

Paul présente aussi un christianisme qui abolit les rapports de domination entre esclaves et hommes libres, ainsi qu’entre hommes et femmes. Le texte de Galates est bien appuyé par 1 Co 12,13 : «Nous avons tous été immergés dans un Souffle unique, juifs ou Grecs, esclaves ou libres et nous avons tous été abreuvés dans un Souffle unique.»

Paul se situe donc dans la pure ligne de l’espérance des prophètes et de Jésus. Ce dernier, on s’en souvient, affirmait que le Royaume appartenait aux enfants, et que les derniers seraient les premiers. Il y voyait la conséquence du choix que son Père avait fait : «Je t’en suis reconnaissant, tu as caché ces choses aux savants et aux grands esprits, et tu les as révélées aux tout-petits» (Mt 11,25).

La personne qui adhère au christianisme devient une créature nouvelle qui doit vivre en toute liberté vis-à-vis la Loi et présenter des comportements libérateurs.

 

Conclusions

 

1. Je crois que nous avons appris ensemble à ne pas couper les textes bibliques de leur contexte, si nous espérons en trouver le sens.

2. Nous avons aussi découvert que Paul avait confié des tâches importantes aux femmes et qu’il les respectait. Si Pline le Jeune rapporte avoir fait arrêter deux chrétiennes, il devait juger qu’elles avaient de l’influence et qu’elles représentaient une menace sérieuse.

3. L’ensemble des écrits de Paul est surtout marqué du sceau de sa conception de la liberté et de son souci de la réciprocité des droits en même temps qu’il a été influencé par le contexte social. On sait que les évolutions de mentalités sont beaucoup plus lentes que les avancées théologiques.

4. Paul s’adapte aux circonstances. Tout est permis mais tout ne convient pas. Il refuse de faire circoncire Tite, mais il le fait pour Timothée à cause de la présence de juifs dans les parages «car en Christ Jésus, ni la circoncision ni l’incirconcision n’importent, mais seulement la fidélité qui agit par l’amour» (Ga 5,6).[ii] Ce qui est important, c’est la décision de prendre le chemin de l’Évangile. Il se fait grec avec les grecs et juif avec les juifs. «Si un aliment doit faire tomber mon frère, je renoncerais à manger de la viande [interdite]» (1 Co 8,13), alors que les Maccabées acceptaient plutôt la mort en pareil cas. Preuve qu’on doit apprendre en communauté à lire les signes des temps et à découvrir ensemble la bonne conduite à tenir. Les décisions ne sont pas prises une fois pour l’éternité. Que j’aime cette belle liberté de Paul qui m’invite sur ce chemin.

5. Paul pourrait avoir encore de bons mots à dire sur des situations vécues aujourd’hui, par exemple, sur le racisme, sur les pouvoirs autocratiques, sur les rapports entre les nations, sur la priorité accordée à l’économie et au commerce par rapport aux personnes, sur le mauvais partage des richesses, sur les pouvoirs inégalitaires entre les hommes et les femmes. Loin d’être une révélation close, le Nouveau Testament en général ouvre la voie, pour chaque génération, à une réévaluation globale de ses façons de faire.

6. Pourquoi des textes disciplinaires mineurs énoncés pour mettre de l’ordre dans la société ou dans les assemblées liturgiques ont-ils plus influencé les pasteurs de l’Église dans leur attitude envers les femmes que les affirmations doctrinales de Paul qui donnent du souffle et invitent à une grande liberté? De tels choix sont lourds de préjugés. Au lieu d’accuser Paul, je suis fortement tentée de faire des reproches aux théologiens et exégètes misogynes qui ont laissé des traces jusque dans les traductions et les interprétations des textes de Paul. N’accusons pas ce dernier des erreurs de lecture de ses commentateurs.

7. Paul fait aussi des concessions sur des aspects qui lui semblent moins importants et qui pourraient faire obstacle à une nouvelle voie religieuse qui donne du souffle.

8. En tant qu’avocate de la défense, je vous demande à vous membres du jury : Paul va-t-il gagner son procès face à qui l’accuse de misogynie?

 

Notes :

 

[i] Annie Jaubert, Les femmes dans l’Écriture, Fournié, Toulouse, 1978, p.41.

[ii] Voir Ga 2,3 et Ac 16,3

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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