Des femmes inspirantes

Les contradictions de Paul?

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

22 février 2023

Détail du tableau de Rembrandt, L’apôtre Paul, 1657, huile sur toile, National Gallery of Art, Londres

Après avoir pris connaissance de tant de femmes appréciées et respectées par Paul, comment le reconnaître dans ce texte qui est tellement en désaccord avec sa manière de fonctionner?

 

Que les femmes se taisent dans les assemblées. Non, elles n’ont pas à parler mais doivent rester soumises comme la Loi le dit. Et si elles sont prêtes à être instruites en quoi que ce soit, qu’elles interrogent chez elles leurs propres maris, car une femme doit avoir honte de prendre la parole dans une assemblée. (1 Co 14, 34-35)

 

1. D’abord cette réduction au silence des femmes dans les assemblées contredit ce qui est dit en 1 Co 11,5 :

 

Toute femme qui prie ou prophétise la tête nue déshonore sa propre tête…

 

Ce verset exprime clairement le fait que les femmes peuvent prier et prophétiser dans les assemblées. D’autre part, cette réduction au silence des femmes contredit aussi le verset 31 du même chapitre :

 

Oui, vous pouvez tous prophétiser, un par un, pour instruire tout le monde et encourager tout le monde (1 Co 14, 31).

 

Il me semble bien que le terme «tous » inclut les femmes et il est difficile de penser que Paul imposerait le silence aux femmes alors qu’il les a encouragées à prophétiser. Là-dessus, l’exégète Michel Gourgues s’exprime ainsi :

 

Rien, aux versets 34-35, ne laisse croire à une opinion de Paul lui-même. Ainsi, par exemple, il n’est pas dit : je ne leur permets pas, mais il ne leur est pas permis de parler.

 

Il conclut son article en affirmant que l’appel au silence des femmes relève plus de la mentalité du temps des Corinthiens que de Paul lui-même.[1]

 

2. De plus, les exégètes sont de plus en plus nombreux à penser que les versets 34 et 35 seraient une insertion postérieure qui daterait de l’époque des lettres Pastorales qui ne sont pas attribuées à Paul (1Tm 2, 11-15; 2 Tm 3,6; Tt 2,3-5). Le sujet d’y prêtant, un scribe y aurait inséré ces versets sous l’influence des Pastorales. Il faut noter que la consigne de modération imposée à diverses catégories d’intervenants dans les assemblées de prière pouvait facilement inclure les femmes. À noter aussi que ce passage se lirait très bien en passant du verset 33 au verset 36, et qu’il ferait sens.

 

Un scribe anonyme, inspiré par l’enseignement des Pastorales, aurait voulu rappeler ici certaines consignes visant les femmes dans l’assemblée chrétienne. Aussi peut-on rayer, estime-t-on, ce texte épineux de la discussion chrétienne. [2]

 

3. Je vous conseille de lire dans son entier le chapitre 14 de la première lettre aux Corinthiens, et de compter le nombre de personnes à qui Paul dit de se taire. L’ensemble du passage montre bien que les assemblées étaient bruyantes et désordonnées. Alors, Paul s’érige en maître de discipline, lui, qui de plus n’a pas beaucoup d’affinité avec le «parler en langues». J’attire votre attention sur les faits suivants:

 

. Paul préfère la prophétie au parler en langues, lequel doit être compréhensible et utile à l’enseignement.

. Paul demande aux gens de s’exprimer par des paroles claires, sinon vaut mieux se taire.

. Il exige aussi que les gens parlent à tour de rôle. Que tout se fasse avec décence et ordre.

 

Réflexions

 

On peut conclure du développement précédent que l’interdiction aux femmes de parler porterait sur le «parler en langues» pour lequel Paul éprouve beaucoup de réticences, que ce soit de la part des femmes ou de la part des hommes. On vivait un moment de crise, alors que, dans les assemblées, il se passait des excès qui frôlaient l’hystérie comme dans certains cultes extatiques. Paul avertit les siens que la construction de la communauté est plus importante que l’exhibition de leurs dons.

Le texte en question se situe au niveau de l’organisation matérielle des assemblées, alors que Paul essaie de mettre de l’ordre, plutôt qu’au niveau des grands principes de la vie en société.

Il est Intéressant de constater que les femmes peuvent s’instruire. Mais qu’elles doivent poser leurs questions à leur mari à la maison relève des limites de la culture du temps.

Il nous faut toujours nous rappeler le contexte de ces temps anciens. Certes, Paul ne peut certes pas être défini comme un ardent féministe, mais ce n’est pas lui faire justice que de fonder sa réputation sur l’interdiction aux femmes de s’exprimer dans les assemblées, en faisant l’impasse sur l’ensemble de son comportement, lequel témoigne de son admiration et de sa tendresse pour les femmes avec lesquelles il entrait en contact.

Aujourd’hui, dans un contexte où l’on tente de plus en plus de définir les gens comme des personnes plutôt qu’en considération de leur sexe, il est inacceptable que notre société, sans parler de nos Églises, n’accorde pas encore la même reconnaissance aux femmes qu’aux hommes, que ce soit aux niveaux des salaires, des rôles, des responsabilités, du pouvoir… Aussi, peut-être convient-il d’avoir une petite gêne à regarder de haut ce Paul qui, en Gal 3,28, écrivait que, depuis Jésus Christ, dans l’humanité, les différences de religions, de classes sociales et de sexes – «il n’y a plus de mâle ni de femelle», écrivait-il crûment – avaient été abolies. Sous bien des aspects, nous en sommes plus loin aujourd’hui que jadis.

 

Notes :

 

[1] Michel Gourgues, « Perspectives féministes » dans Des femmes aussi faisaient route avec lui, « Qui est mysogine, Paul ou certains Corinthiens ?, Médiaspaul, Montréal, 1995, p.156

[2] Jean-Yves Thériault, La femme dans la tradition chrétienne, dans Revue Science et Esprit, vol. 37, Fascicule 3, Éditions Bellarmin, Montréal, 1985, p. 306.

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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