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On ne saurait surestimer l’importance du texte qui suit (Q 12,8-9) sur l’Humain. De tous ceux que contiennent les évangiles, il se classe parmi ceux qui réussissent le mieux à nous faire entrer dans la mentalité de Jésus ainsi que dans celle du christianisme primitif de la Galilée. La version de la source Q se lit comme suit :
Q 12,8 Quiconque me reconnaîtra devant les gens,
l’Humain le reconnaîtra devant les messagers de Dieu.
9 Mais qui me reniera devant les gens
sera renié devant les messagers de Dieu.
Si le verset 9 ne fait pas mention de l’Humain, dans le cas des gens qui se refusent à reconnaître l’authenticité de la vie de Jésus, le libellé de la parole contenue dans l’évangile de Marc, par contre, désigne clairement le personnage comme étant celui qui prend le contrepied des adversaires du Nazaréen :
Mc 8,38 Car si quelqu’un a honte de moi et de mes dires dans cette génération infidèle et égarée, l’Humain aussi aura honte de lui, quand il viendra dans l’éclat de son Parent avec les saints messagers.
La parole primitive devait donc, pour l’essentiel, ressembler à ceci :
Quiconque me reconnaît, l’Humain le reconnaîtra,
Et qui me renie, l’Humain le reniera.
Un texte qui demande explication.
1. Jésus avait l’allure d’un prophète, et la vie d’un prophète, ou d’une prophétesse, est toujours compliquée. C’est que ce genre d’être humain, à l’écoute de sa voix intérieure, a la tâche de mettre le doigt sur les défauts du système. Or, contrairement aux serviteurs et servantes de ce dernier, les prophètes se présentent sans mandat officiel, sans garantie d’authenticité, sans pouvoir se justifier. Les scribes se réfèrent à des écrits, à une tradition, à une lignée d’interprétation, à des collègues qui les appuient. Les rois ont été accrédités tels par leurs pairs, ils ont l’approbation des élites dirigeantes, financières, commerciales et religieuses, ils ont été proclamés tels au cours d’une célébration officielle.
Le système s’appuie sur une histoire, une culture, un environnement humain qui a le pouvoir entre les mains. Le prophète qui le conteste, par contre, est démuni. Aussi bien le passé que le présent s’opposent à lui parce qu’il veut voir changer les choses. Les scribes lui répliquent qu’il s’oppose à l’Écriture. Les rois lui disent qu’il contredit la volonté de Dieu, lequel leur a confié le pouvoir pour qu’ils assurent la pérennité du système. Comment le prophète pourrait-il prouver que sa parole est bien «parole de Yhwh», que ses gestes sont bien les signes d’un désir de Dieu, que le futur s’alignera bien sur ce qu’il a dit?
Tout cela est particulièrement vrai dans le cas de Jésus. Un homme né d’une fille-mère, issu d’un village inconnu situé au fin fond de la Galilée, un charpentier illettré sans aucun appui notable. Il avait tout contre lui. Surtout qu’il se référait à un Parent qui refusait de parler aux grands tout en se confiant aux moins que rien, et qu’il annonçait un régime de Dieu dans lequel aucun notable n’aurait jamais envie d’entrer. Il avait la Religion, l’Argent et le Pouvoir contre lui. Il ne pouvait donc que convier ses détracteurs au Rendez-vous ultime :
Nous verrons bien ce que l’Humain va penser de tout ça.
L’Humain auquel il se référait, un personnage que Jean Baptiste lui avait fait apprécier, était une représentation, sous la forme d’un être céleste, de la tâche divine d’évaluer l’ensemble du comportement humain à travers l’Histoire.
La parole sur l’Humain est donc l’équivalent pour Jésus, de ce que seront les catégories de la résurrection ou de la seigneurie pour le christianisme judéen. Ces termes expriment une même conviction, à savoir que, face au conflit qui opposait le Nazaréen au Système, le Dieu vivant avait jusqu’au bout pris parti pour lui.
2. Il ne faut donc pas s’étonner que les premiers croyants de Galilée se soient alignés sur la parole de Jésus pour formuler leur propre foi. Ils l’ont fait en reprenant à leur compte la catégorie de l’Humain, tout en ne se contentant pas, cependant, de répéter les formulations de Jésus, puisqu’ils l’ont identifié à l’Humain, qui lui,
. «mange et boit comme tout le monde» (7,34),
. «n’a pas où poser la tête» (9,58),
. «sera un signe pour cette génération» (11,30),
. viendra à son heure (12,40), «tel un éclair qui sort de l’Orient
pour briller jusqu’à l’Occident (17,24),
. et emportera tous les humains au temps de son dévoilement » (17,26.30).
Pour la communauté des croyants à l’origine de la Source, la foi se dit donc sobrement : faisons comme Jésus, il saura bien reconnaître les siens. On comprend pourquoi ces gens tout simples aient eu du mal à comprendre leurs frères et sœurs de Jérusalem en train de développer les concepts de résurrection et de seigneurie pour dire leur confiance. Et on n’ose imaginer la réaction qu’ils auraient eue face au langage utilisé pour dire la foi en la divinité de Jésus et la Trinité. Ils étaient la famille des petites gens aimés du Parent de Jésus, lequel n’avait pas besoin d’un système de pensée compliqué pour se faire comprendre des siens.
Vivre comme Jésus, dans l’espoir de devenir ainsi un bel être humain un jour reconnu par lui. C’est une façon de dire la foi qui descend en droite ligne de lui. Je dois vous avouer que je n’arrive pas à comprendre pourquoi je me fourvoierais en cherchant à vivre ma vie en partageant la foi de Jésus.
À PROPOS D’ANDRÉ MYRE
André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.
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