Échos d'Évangile

Un souffle d’en bas

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

14 février 2024

Crédit photo : Luke Helgeson / Unsplash

La péricope qui suit, en deux morceaux, est solidement ancrée dans son contexte. «L’Humain» du verset 10 rappelle la précédente dans laquelle Jésus se réfère au jugement de ce dernier pour répondre à ses adversaires, tandis que l’appel à ne pas se tracasser annonce la longue exhortation des versets 22b-31.

À l’intérieur même de la péricope (Q 12,10-12), les deux parties sont unies par les références au «souffle sacré», les seules, dans la Source, à parler de l‘agir de ce dernier chez les partisans.

 

Q 12,10 Parler contre l’Humain, cela se pardonne.

Mais parler contre le souffle sacré, c’est impardonnable.

11 S’ils vous font comparaître devant les assemblées, vous n’avez pas à vous tracasser du quoi dire ? ni du comment dire? 12 À l’heure même le souffle sacré vous enseignera quoi dire.

 

1. Le premier morceau répond à une incompréhension, un scandale, une souffrance. Le contexte est semblable à celui de la parole précédente. Jésus a fait face au blocage de sa société contre lui, et la communauté de ses partisans n’y échappe pas. Ce n’est pas par hasard si une des premières paroles que la Source met dans la bouche de Jésus est précisément la suivante :

 

Q 6,22 Choyés, vous l’êtes bien, quand on vous insulte, quand on vous pourchasse, quand on dit du mal de vous, à cause de l’Humain.

 

À agir semblable, réactions semblables. Il est pour ainsi dire normal que le système s’insurge contre les partisans et partisanes de Jésus, et qu’il fasse peu de cas de leurs avertissements sur les prises de position de l’Humain au cours du Jugement à venir. C’est normal, il y a de gros intérêts en jeu, il faut s’y attendre, il se trouve là-dedans beaucoup d’inconscience, c’est pardonnable. «C’est ainsi que les hommes vivent …»

Mais là où ça ne va pas, là où ça fait mal, là où on ne comprend pas, c’est quand l’opposition vient de l’intérieur. De frères et de sœurs en Jésus Christ. De partisans en bonne et due forme. De croyantes et croyants, dûment baptisés. Quand on a vu clair, comment peut-on retourner dans la noirceur? Quand on a goûté à la liberté, comment retomber dans l’esclavage? Quand on fait partie de la famille du Parent, comment en rechercher une autre? Cette incompréhension, ce scandale, ils sont de toujours. Dans tous les groupes engagés, dans tous les mouvements de militance, de résistance, de libération. La trahison fait plus mal que l’opposition. Aussi la parole du prophète chrétien est-elle implacable : un tel comportement est «impardonnable». L’Humain ne manquera pas de le faire savoir en son Jour.

À 2 000 ans de distance, dans le confort de notre société située au cœur du système, la parole du prophète nous scandalise peut-être davantage que la trahison à laquelle elle répond. C’est que les Anciens croyaient fermement à l’imputabilité. Non, tout le monde, il n’est pas beau et gentil. Non, on ne peut pas faire n’importe quoi dans la vie. Oui, un jour, Quelqu’un nous fera voir l’impact de notre vie sur les autres. Et nous verrons alors ce qui est pardonnable ou pas. Et ce que tout cela veut dire. Ce genre de paroles vise délibérément à créer ce qu’on pourrait appeler «un beau malaise».

2. Dans les évangiles, il est rare de rencontrer une parole qui témoigne aussi bien que la seconde partie de la péricope du genre de difficultés auxquelles les partisans et partisanes de Jésus faisaient face. Il faut se remettre dans le contexte. La Galilée est culturellement et religieusement dépendante de Jérusalem. De là, des scribes y sont dépêchés pour installer un réseau d’assemblées (synagogues) dont ils ont le contrôle, et qui sont destinées à inculturer les façons de faire de la capitale. Or, il faut se souvenir que les partisans de Jésus étaient pour la plupart de petites gens, illettrés et sans pouvoir. La perspective de se voir convoquer dans une assemblée publique, sous les yeux de savants provenant de Jérusalem, pour s’expliquer sur leur foi en un Jésus exécuté comme blasphémateur, devait à proprement parler les terroriser – semblable perspective pourrait d’ailleurs expliquer les défections auxquelles la parole précédente fait allusion.

Le prophète cherche donc à rassurer croyants et croyantes de la base. La puissante énergie de Dieu elle-même leur «enseignera» quoi dire. Le terme rappelle un texte très intéressant de la tradition johannique, elle-même d’inspiration galiléenne :

 

1 Jn 2,27 […] vous n’avez pas besoin que quelqu’un vous enseigne puisque son onction [= le souffle saint] vous enseigne tout.

 

Ces deux paroles témoignent d’une compréhension non-institutionnelle de la foi, et d’une confiance fondamentale dans l’intelligence, la perspicacité et la justesse de la lecture de la vie dont témoigne le monde ordinaire. La foi de l’évangile ne se dit pas dans un discours savant, mais provoque, de l’intérieur, une lecture originale des poussées de la vie. Il y a là une réexpression chrétienne de l’expérience fondamentale de Jésus qui est au cœur du discours de la Source :

 

Q 10,21 Parent, […] je te suis reconnaissant d’avoir caché ces choses aux savants et aux grands esprits, et de les avoir dévoilées aux tout-petits.

 

La parole du prophète, transcrite par le scribe chrétien, se veut à la fois rassurance pour les partisans de Jésus de la base, et avertissement pour les grands au service du système dans toutes ses dimensions, y compris la religieuse.

 

12 À l’heure même le souffle sacré vous enseignera quoi dire.

 

Selon l’évangile, le souffle saint parle à la base, aux petites gens, alors qu’ils sont confrontés au système. C’est dans ces moments que la «parole de Dieu» est prononcée, et qu’il faut bien l’écouter. Si on ne le fait pas, grande est la tentation de penser qu’après avoir inspiré l’évangile, le souffle saint a changé d’auditoire, et que, depuis lors, il s’adresse aux scribes, aux grands de l’Église, aux synodes et conciles, et autres «assemblées» du genre. Les riches, qui veulent toujours tout avoir, n’ont jamais accepté d’être pauvres de la parole de Dieu, aussi cherchent-ils constamment à en dépouiller les petites gens. Ils s’opposent donc farouchement à ce que le souffle saint continue de parler à la base, et de se taire en haut. Au sommet des hautes montagnes, il est difficile de respirer.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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