Échos d'Évangile

Les petits oiseaux et les fleurs

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

17 avril 2024

Crédit photo : Lane Jackman / Unsplash

L’exhortation qui suit (Q 12,22b-31), célèbre, est la plus longue de la Source, signe que le problème visé était sérieux.

 

12,22b      Voilà pourquoi je vous parle ainsi.

 

Ne vous tracassez pas à propos de la nourriture à trouver pour vivre, ni du vêtement pour votre corps.

23 Après tout, la vie n’est-elle pas plus qu’une affaire de nourriture, et le corps une affaire de vêtement?

 

24 Prenez les oiseaux du ciel : vous ne les voyez pas semer, ni récolter, ni engranger, et, pourtant, Dieu les nourrit. N’avez-vous pas plus de valeur que les oiseaux?

25 Qui d’entre vous, à force de se tracasser, est capable de prolonger tant soit peu la durée de sa vie?

 

26 Et pourquoi vous tracasser du vêtement ?

27 Prenez les fleurs sauvages : vous les voyez se développer sans peiner, ni filer, et, pourtant, je vous le dis, même le glorieux Salomon n’a jamais porté aussi beau vêtement qu’elles.

28 Et alors? Dieu habillerait ainsi la plante sauvage, vivante aujourd’hui et brûlée demain, sans faire encore bien davantage pour vous?

 

C’est toute la confiance que vous avez?

 

29 Ne vous tracassez donc pas à vous dire : Trouverons-nous de quoi manger? De quoi boire? De quoi nous habiller?

30 Tout le monde court après ces choses et votre Parent le sait bien que vous en avez besoin.

31Mettez-vous à la recherche de son Régime, et tout cela vous cela accordé en prime

 

 

1. Il faut le dire tout de suite, tant l’étendue du texte que sa forme et son contenu – sauf la dernière parole au v 31 – sont étrangers à la mentalité de Jésus. Nous avons déjà rencontré sa façon caractéristique de contrer l’insécurité des petites gens dans les deux paroles suivantes :

 

6,30a À qui te demande, donne.

11,9b Demandez, et on vous donnera.

 

Selon Jésus, le secret d’une vie sans souci réside dans le partage. C’est ce dernier qui régnera dans le régime de Dieu, et c’est cette façon de faire qu’il faut s’habituer à adopter dès maintenant. Celle-ci manifestera sa valeur dans le fait que les petites gens, ayant de quoi manger à satiété et se nourrir décemment, n’auront plus à se tracasser :

 

12,31 Mettez-vous à la recherche de son Régime, et tout cela vous cela accordé en prime.

 

Si on veut que tous les humains aient une vie décente, il faut changer de régime. C’est aussi simple à dire et compliqué à vivre que ça, avec tout le mordant de l’évangile.

2. La disposition de la péricope, offerte plus haut, permet d’en voir les articulations et de percevoir que le rédacteur disposait de plusieurs traditions qu’il a agencées de son mieux.

 

Vv 22b et 31. L’auteur a d’abord fait précéder l’exhortation d’une déclaration à l’effet qu’il s’agissait d’une parole de Jésus (v 12b), et il l’a fait suivre d’une référence au régime de Dieu, remède ultime aux tracas de la vie (v 31).

Vv 22c-23 et 29-30. L’exhortation est d’abord faite d’un cadre, lequel contient les deux appels fondamentaux à ne pas se tracasser pour des questions de nourriture et de vêtements. Deux raisons sont données, une au début, l’autre à la fin, et elles se rejoignent pour le fond : le principal souci devrait être celui de la vie que l’on mène et donc de la sorte d’être humain que l’on est en train de devenir (v 23); de plus, si l’on s’occupe de l’essentiel, le Parent saura bien répondre aux besoins secondaires (v 30). La parole du rédacteur est assez paradoxale. En effet, tout en exhortant les siens à ne pas se tracasser, il ne les invite pas moins implicitement à le faire pour la bonne raison. Car, de fait, il y a lieu de se tracasser puisque réussir sa vie devrait être le principal souci de tout être humain, alors que personne ne semble s’en préoccuper en se concentrant sur les besoins accessoires.

Vv 24 et 26-28. Au centre, deux références au comportement de «Dieu» dans la nature en matière de nourriture et de vêtements. Il faut prendre note qu’il est ici question de Dieu et non pas du Parent. Certes, ce dernier est bien Dieu (10,21a), mais ce n’est qu’envers sa famille des petites gens qu’il a un comportement de parent. Et, pour sa famille, le Parent en fait plus que Dieu pour la nature. En effet, en tant que Dieu, il nourrit les oiseaux, alors qu’aux yeux du Parent les humains valent plus que les oiseaux (v 24); et il habille les fleurs alors que, comme Parent, il en fait bien davantage pour ses enfants (vv 26-28)[1]. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter, l’essentiel est assuré.

Vv 25 et 28b. Un rédacteur postérieur a jugé bon de faire explicitement allusion au manque de confiance de la communauté des partisan et partisanes de Jésus (v 28), tandis qu’un autre, qui disposait d’une parole fondée sur la conviction traditionnelle que la durée d’une vie était déterminée par Dieu, a profité du fait qu’elle contenait le verbe «se tracasser» pour lui trouver une place plus ou moins heureuse dans l’exhortation (v 25).

La péricope a certes du bon : il est toujours utile de se faire rappeler qu’il est contreproductif de sombrer dans l’inquiétude, et qu’il faut en priorité se soucier de l’essentiel. Elle a cependant culturellement vieilli, et est à considérer comme un témoin historique de la façon dont les Anciens considéraient la vie. De nos jours, sceptiques vis-à-vis de l’activité d’une «Providence», nous sommes davantage sensibles aux effets désastreux de l’activité humaine sur la nature : espèces animales menacées ou disparues, forêts dévastées, sols contaminés, milieux humides asséchés, etc. Et nous sommes plutôt portés à nous scandaliser de la non-intervention de Dieu, tant dans la nature que dans les affaires humaines.

Ce qui nous tracasse, c’est notre incapacité à contrer la rapacité des grands, lesquels ont organisé le Système à leur profit et l’ont verrouillé pour qu’il soit intouchable. Aussi, nous concentrons-nous sur la parole finale, de Jésus celle-là : cherchons le régime de Dieu. Créons des lieux de partage, inventons une façon de vivre qui nous rendra heureux, ensemble, et fera que le Système en tremblera d’horreur. La terre entière découvrira ainsi que la vie goûte bon, et le monde entier qu’il y a de la lumière au bout du tunnel (Mt 5,13a.14a).

 

Note :

 

[1] Noter que la parole des vv 26-28 est elle aussi faite d’un cadre (vv 26 et 28) et d’un centre (v 27).

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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