Échos d'Évangile

«On parle trop»

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

17 mai 2022

Crédit photo : Bud Helisson / Unsplash

Dans le texte qui suit [1], la Source trace ce qu’on pourrait appeler la lignée historique de la foi : celle-ci part des prophètes [2], y compris Jean, passe par Jésus et est rendue dans le groupe des lectrices et lecteurs du document.

 

Q 7,18 Jean lui envoie demander par ses partisans :

   19 – Es-tu Celui qui vient ou nous faut-il encore attendre ?

  22 – Vous entendez ?  Vous voyez ?  Allez faire votre rapport à Jean :

                Les aveugles voient,

                les boiteux marchent droit,

                les lépreux sont purifiés,

                les sourds entendent,

                et les morts se lèvent.

Voilà de bonnes nouvelles pour les pauvres.

23 Et choyé celui qui ne sera pas démoralisé à cause de moi.

 

1. La question posée par les partisans de Jean (v 19), tout en étant formulée dans une perspective chrétienne, est néanmoins ancienne. Le point de vue est chrétien parce que Jean et ses partisans attendaient la venue d’une figure transcendante, celle du Juge de la fin, et non pas celle d’un personnage historique. Ce sont les chrétiens qui se sont posés la question des relations entre Jean et Jésus, et ont fait du premier le précurseur du second. Par contre l’expression «Celui qui vient» est primitive et remonte bien à Jean (voir Q 3,16b).

2. Le v 22 est évidemment le cœur de la péricope [3]. Il allait de soi, pour la Source des paroles de Jésus, que la question sur les choses à «entendre» avait préséance sur celles à «voir». Il faut la parole, en effet, pour faire comprendre le sens de ce qui arrive. Au fond, les deux questions n’en font qu’une et signifient : «Comprenez-vous ce qui arrive ?». En rédigeant ainsi son verset, la Source en donne donc la clef d’interprétation. En effet, la ligne finale du v 22 – «Voilà de bonnes nouvelles pour les pauvres» ­– n’est pas à comprendre comme une sixième sorte d’événements après les cinq manifestations de renouvellement de la vie qui précèdent, mais bien plutôt comme l’expression de leur sens.

 

Des bonnes nouvelles

 

Selon la Source, annoncer la bonne nouvelle ne se fait pas en disant des mots, mais en faisant arriver de bonnes choses pour ceux et celles qui ont mal à la vie. Le contenu de la bonne nouvelle n’est pas la parole elle-même, mais les deux sortes d’événements auxquels elle fait référence : celle qui est arrivée dans la vie des gens en difficultés, et celle du régime de Dieu lequel s’espère à partir de l’expérience des gestes qui l’annoncent.

Selon le v 22, proclamer la bonne nouvelle ce n’est donc pas parler de l’évangile ou discourir sur Jésus. La bonne nouvelle, c’est celle qui arrive à l’aveugle, quand il «voit» comment le monde fonctionne et comprend où veulent le conduire les aveugles qui guident le monde [4]. C’est celle qui arrive à celui qui marchait tout croche dans la vie, et qui finit, avec de l’aide, par trouver son chemin.

C’est le geste qui réintègre l’exclus dans la société. C’est le dialogue dans lequel entre à nouveau celle qui, à la fois, ne comprenait pas les autres et restait incomprise. C’est le rebranchement sur un dynamisme vital dangereusement affaibli. La bonne nouvelle, c’est celle du courant vital qui est rétabli, et de la Vie qu’il permet d’espérer.

 

Tenir bon face au système

 

Tout cela aurait dû suffire comme réponse à la question du v 19. Mais la Source a jugé bon d’ajouter le v 23, sur la démoralisation ou la démobilisation [5]. Le système ne peut pas permettre que les sourds, les aveugles, les zombies dont il a besoin pour se maintenir, se mettent à comprendre ce qui leur arrive, et commencent à se détourner de lui. Il fait donc des pieds et des mains pour leur rabaisser le moral et les remettre à leur place. Pour la Source, en conséquence, l’homme ou la femme qui tient bon est un être humain remarquable.

Il me faut souligner, en conclusion de ce bref commentaire, que ce texte est essentiel à la compréhension de ce que signifie proclamer l’évangile. Ça n’a rien à voir avec une lecture de textes, une récitation de guérisons miraculeuses, un rappel de paroles de Jésus ou un énoncé christologique.

Proclamer l’évangile, c’est faire arriver une bonne nouvelle dans la vie de quelqu’un qui en a besoin, pour contribuer à lui rendre la vie digne d’être vécue, et pour lui débloquer l’espérance. C’est poser un geste qui a du sens; les partisans de Jésus sont appelés à poser des gestes parlants [6].  Par contre, proclamer une parole qui n’est pas portée par un geste, et un sens qui n’est pas en train de naître dans l’âme de l’humain en détresse qui vient d’être aidé, est pur désastre.  C’est la racine même de la démobilisation et de la démoralisation que Jésus avait tellement en horreur.

 

NOTES :

 

[1] Un détail à remarquer : la Source, qui est substantiellement une suite de paroles, avait besoin du v 18, lequel est de l’ordre de la narration, pour indiquer le changement de locuteur, la question qui suit étant posé non par Jésus mais par Jean. Les rédacteurs devaient donc disposer d’un récit suivi concernant les faits et gestes de Jésus.

[2] Les prophètes – Moïse et Élie en particulier – partent la lignée, et sont les premiers à en avoir caractérisé le comportement, à preuve le contenu du «rapport» à Jean, lequel est tissé de réminiscences tirées du prophète Isaïe (29,18; 35,5-6; 42,7, etc.).

[3] Une «péricope» est un morceau d’évangile qui forme un tout, qu’il s’agisse d’un verset unique ou d’un long récit.

[4] Voir, en Jn 9,35-41, comment l’évangéliste interprète la guérison de l’aveugle de naissance.

[5] Elle avait fait la même chose en Q 6,20b-23, en énonçant les premières paroles de Jésus. Après avoir déclaré à ses partisans que leur tâche était de choyer les pauvres, il les dit eux-mêmes choyés si, ce faisant, ils deviennent socialement déconsidérés.

[6] Une parole peut être répétée telle qu’elle, pas un geste (à moins qu’il ait été figé en rituel). C’est pourquoi le contenu de la bonne nouvelle, étant fait de gestes non répétables, est continuellement à réinventer, compte tenu des personnes en cause, des cultures, des circonstances.

 

15e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

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