[M 12,11] Prenons le cas de n’importe lequel d’entre vous, ne possédant qu’un seul mouton, lequel tombe dans un fossé un jour de sabbat. N’allez-vous pas aller le prendre pour le remettre sur pied ? 12a Or, un être humain vaut bien plus qu’un mouton !
Matthieu a placé ce bout de tradition à l’intérieur d’un récit qu’il avait reçu de Marc, celui du travailleur incapable de se servir d’une de ses mains (Mc 3,1-6). Le contexte original était peut-être perdu.
Il faut savoir qu’à l’origine, le sabbat était une institution socialement très avancée. En Judée, pendant vingt-quatre heures, contrairement à ce qui se passait ailleurs, l’être humain n’avait pas à travailler, et pouvait penser à lui, à sa famille, à ses amis. Ce jour se situait dans la ligne de la libératrice sortie d’Égypte. Une femme, un homme n’existe pas pour servir un système, quel qu’il soit : politique, social, religieux, culturel, etc.
C’est le contraire qui est vrai, toutes les organisations doivent se considérer au service des humains. La plupart ont d’ailleurs été créées dans ce but. Mais, avec le temps, elles ont toutes tendance – les religions surtout – à vouloir survivre à tout prix, quitte à imposer leur volonté à celles et ceux qui les ont mises sur pied. De là l’importance du sabbat, un jour de réflexion, destiné à relativiser tous les systèmes, dans l’intention de se libérer de leur emprise. Entreprise très difficile.
L’emprise des systèmes sur nous
Dès le moment de la promulgation du sabbat, les grands propriétaires terriens – ancêtres de nos commerçants – ont évidemment tout fait pour contourner cette institution contraire à leurs intérêts. Et, de leur côté, les avocats à leur service ont soigneusement veillé à détourner ce jour du but qui avait présidé à sa création. Au lieu d’inviter les gens à réfléchir sur la liberté ce jour-là, ils les ont obligés à se demander ce que voulait dire ne pas travailler, et ont développé tout un système centré sur les activités «permises» ou «défendues».
On faisait tellement attention à ne pas travailler, qu’il ne restait plus de temps pour réfléchir à la raison pour laquelle il ne fallait pas travailler.
André Myre
En homme de Galilée, Jésus résiste à l’imposition d’une législation d’origine judéenne, devenue inhumaine. Même s’il n’a pas le droit de le faire, il guérit un travailleur alors que cela est défendu un jour de sabbat (sauf s’il y a danger de mort). Il viole donc une des innombrables lois créées par le système, et se le fait sérieusement reprocher. Sa réplique à ceux qui l’accusent est typique.
Il ne fait nullement appel à la religion, pas même à Dieu. Il renvoie les avocats à leur propre comportement, non sans une note de sarcasme : vous, vous violez le sabbat quand ça fait votre affaire, et, ce faisant, vous traitez vos animaux mieux que les humains. Or, il n’est jamais permis d’être inhumain.
Ce texte pose le problème de l’application du concept de «volonté de Dieu», de la vérité de notre échelle de valeurs, et de la cohérence de notre comportement, sans parler de notre relation avec les animaux. Il nous pose surtout la question de l’emprise des systèmes sur nous, et de notre réalité d’esclaves volontaires. Beaucoup de raisons pour rétablir le subversif sabbat, comme jour de réflexion collective sur la libération.
À PROPOS D’ANDRÉ MYRE
André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.
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