Échos d'Évangile

La priorité des priorités

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Par André Myre

Échos d'Évangile

16 juin 2021

Crédit photo : Jon Tyson / Unsplash

Tout de suite après avoir présenté le baptême de Jésus et la résistance de ce dernier au détournement de sa mission suggéré par «l’examinateur», la Source Q passe à une section qui porte sur la pratique (Q 6,20a-49).  Cette façon d’écrire est caractéristique de la Source.  Pour elle, la foi ne se dit pas dans un credo, mais dans une façon de faire.

La première péricope va droit au but :

 

Q 6,20a Il regarde ses partisans et leur parle.

20bChoyés les pauvres, le Régime de Dieu est en leur faveur.

21 Choyés les affamés, ils seront rassasiés.

    Choyés les endeuillés, ils seront consolés.

22 Choyés, vous l’êtes bien,

quand on vous insulte,

quand on vous pourchasse,

quand on dit du mal de vous, à cause de l’Humain.

23 Soyez joyeux, radieux même, les cieux vous réservent une rente élevée, et, d’ailleurs, c’est ainsi qu’ils ont traité les contestataires, vos devanciers.

 

Le texte commence d’une façon inusitée dans la Source, puisqu’il s’ouvre sur une ligne narrative, alors que le document est surtout fait de paroles.  Dès le début, les lectrices et lecteurs sont censés savoir que Jésus a des partisans (1), de qui il attend un comportement précis.

Le morceau lui-même est en deux parties : la première, manifestement la plus importante, traite de celles et de ceux en faveur de qui les partisans de Jésus doivent intervenir (vv 20b-21), tandis que la seconde s’applique à la communauté chrétienne à l’intention de qui la Source est rédigée (vv 22-23).

A) Dans sa façon de parler, la Source reprend à son compte le style provocant et le langage paradoxal de Jésus. «Choyés» (ou : chanceux, heureux, comblés, privilégiés…) sont les pauvres (v 20b) ! La formule vise évidemment à faire sursauter.  La finale du verset – ainsi que celle des deux suivants – en donne l’explication et oriente l’interprétation de tout le morceau.

Parce que les pauvres (2) sont mis de côté par le système ou le régime actuel, dans lequel ils ne sont jamais gagnants, le régime de Dieu, sur le point d’être instauré, sera, de façon «systémique», organisé en leur faveur.  En son centre, la Source expliquera la raison de cette orientation de Jésus : c’est parmi les petites gens qu’il a découvert ce parti pris de Dieu, le «Parent» (ou Père), de délaisser ceux et celles qui ont monté le régime actuel à leur profit, pour valoriser les «tout-petits» (Q 10,21).

 

Prendre parti et endurer les conséquences

 

Dès le début, la Source présente le cœur de la foi, l’essentiel, le noyau de la confiance, la personnalité de Dieu, le lieu où le rencontrer et les personnes en faveur de qui intervenir dans la vie.  Ce morceau de littérature, auquel on donne traditionnellement le nom de «Béatitudes», n’est évidemment pas à proclamer auprès des «pauvres».  Il serait ridicule et mal avisé de parcourir les rues d’un milieu populaire en annonçant aux petites gens qu’ils sont «choyés» dans la vie, ce qu’ils ne sont évidemment pas.

Ce texte est rédigé à l’intention des partisans potentiels de Jésus.  Eux doivent absolument savoir qu’en dépit de leur vision «normale» des choses, à l’encontre de leurs préjugés, malgré les efforts du système pour assujettir les humains et les mettre à son service, les «pauvres» sont les privilégiés de Dieu, et qu’on ne peut pas être partisan de Jésus qu’en leur étant proche.

Après avoir été rencontré par Jean, tout ce que Jésus a voulu dire et faire dans la vie se trouve condensé dans les versets 20b-21.  L’évangile se trouve donc tout entier dans ces trois lignes.  Et tout ce que la Source trouvera à dire par la suite découlera de ce passage.

B) La seconde partie du texte, de façon très honnête et typique de l’évangile, énonce à quoi les partisans de Jésus peuvent s’attendre s’ils prennent au sérieux les orientations proposées par Jésus. Il est très intéressant de voir que le mot provocant de Jésus («choyés») est à nouveau utilisé, sauf que, cette fois, il s’applique à la communauté chrétienne. Et il ne faut pas mêler les cartes.  Les partisans de Jésus ne sont pas dits «choyés» au même sens que dans la partie précédente.  Ils ne sont pas les privilégiés de Dieu, et il n’est pas dit que le Régime de Dieu sera instauré en leur faveur.

Ils sont paradoxalement «choyés» parce que leur engagement en faveur des pauvres les aura mis en difficultés auprès de leurs familles, de leurs voisins, de leurs amis, de leurs patrons, de leurs camarades de travail.  Le système, ainsi que celles et ceux qui le servent, n’accepteront jamais de perdre les privilèges qu’ils ont gagnés de haute lutte, aussi feront-ils toujours tout pour les conserver.

C’est pourquoi les partisans de Jésus seront toujours soumis à toutes sortes de vexations, plus ou moins graves et plus ou moins fréquentes.  Mais eux aussi verront leur sort renversé par l’intervention du Dieu vivant.  Ce dernier ne laisse jamais tomber celles et ceux dont la vie est alignée sur celle des «contestataires» (les «prophètes»).

 

Le texte de la Source fait clairement la distinction entre les pauvres («ils»), et les partisans de Jésus («vous»). Les premiers sont, de façon scandaleuse, les privilégiés de Dieu, les seconds non. Les premiers seront aux premiers rangs dans le régime de Dieu, les seconds non. Ces derniers ne sont que les serviteurs et servantes des premiers (3). Dure leçon d’humilité, mais qu’il faut apprendre dès le début. La Source n’a pas l’habitude de ménager ses lectrices et lecteurs.

 

NOTES :

 

1) Le mot grec est d’ordinaire traduit par «disciple», mais j’utilise plutôt le mot «partisan», parce que Jésus n’était pas un enseignant qui avait des élèves, mais un homme d’action à la recherche de compagnons qui prendraient «parti» comme lui dans la vie.

2) De «vrais» pauvres, celles et ceux qui sont affamés et qui perdent parents et amis trop tôt, emportés par le stress, le découragement, le suicide ou la maladie.

3) Des «esclaves inutiles», d’ailleurs, précisera Luc (17,10).

 

6e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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