Échos d'Évangile

Impossible d’être correct

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Par André Myre

Échos d'Évangile

17 novembre 2021

Crédit photo : Toa Heftiba / Unsplash

Je me souviens d’un homme qui, toute sa vie, a cherché à être scrupuleusement fidèle à une entente que, dans sa jeunesse, il avait conclue avec Dieu. Lui respecterait toutes ses volontés, et, en contrepartie, ce dernier lui viendrait en aide au jour de grand besoin. Aussi, quand il a appris qu’il souffrait d’un grave cancer, était-il convaincu qu’en vertu de l’engagement mutuel qui avait été pris, il serait guéri.

 

Il s’est donc considéré cruellement trahi quand il a senti la mort s’approcher de lui. Sans doute aurait-il vécu autrement s’il avait fait siennes les paroles suivantes de la source Q :

 

Q 6,31 Ce que vous attendez des autres,
             faites-le pour eux.

       32 Quelle rente mériteriez-vous pour avoir aimé ceux qui vous aiment ?
             Les rapaces ne font-ils pas la même chose ?

       34 Ou pour avoir prêté de façon désintéressée ?
             Les étrangers ne font-ils pas la même chose ?

       36 Devenez aussi tendres que votre Parent.

 

La Source a réuni trois morceaux d’origine diverse, révélant par le fait même comment elle les interprétait.

 

1. Se mettre à sa place

 

Tout le poids de ces paroles porte sur la première :

 

Q 6,31 Ce que vous attendez des autres,
             faites-le pour eux.

 

La suite de Jésus s’exprime dans un faire. Elle implique un effort constant pour sortir de la bulle de son petit moi, en vue de se mettre au service des autres. En quelques mots simples, une direction de vie est donnée qui contredit de plain-pied un dogme culturel courant de nos jours.

 

Je ne suis pas le centre de l’univers, lequel a autre chose à faire que d’adorer l’important individu que je suis, et de vérifier que, partout, toujours et par tous, l’ensemble de mes droits soient dûment reconnus et respectés. Je ne deviendrai pas un être humain décent en utilisant les autres dans le sens de mes intérêts, encore moins en les écrasant pour accentuer mon pouvoir.

André Myre

 

Je ne réussirai jamais ma vie si je ne m’occupe prioritairement que de mon propre bonheur. Aux yeux des scribes qui ont rédigé la Source, un être humain grandit, s’approfondit, et trouve de la densité, dans la mesure où il veille sur celles et ceux qui l’entourent. Il faut donc bien voir que, croire à l’évangile, est tout autre chose que l’adhésion à un quelconque credo, ou la conviction que Jésus a été conçu virginalement, a effectué des guérisons, a marché sur l’eau ou a multiplié les pains.

Croire à l’évangile se manifeste dans la décision, à chaque moment de sa vie, de se mettre à sa place pour que les autres occupent toute la place. Or, une telle foi se présente comme une interpellation qui vise tout être humain, quelle que soit sa religion ou sa non-religion.

Dieu n’est pas sectaire, et n’a curé des religions que s’inventent les humains en lui en attribuant la paternité. Le verset qui ouvre cette suite de paroles ne contient donc que quelques mots très simples, mais il ouvre le long et difficile chemin de la vie. Tout un contrat!

 

2. Ça ne se fait pas

 

Les rédacteurs de la Source savaient bien que l’interpellation formulée dans la première parole n’allait pas de soi, aussi l’ont-ils fait suivre d’une deuxième qui témoignait d’un certain inconfort.

 

Q 6,32 Quelle rente mériteriez-vous pour avoir aimé ceux qui vous aiment ?
              Les rapaces ne font-ils pas la même chose ?

        34 Ou pour avoir prêté de façon désintéressée ?
              Les étrangers ne font-ils pas la même chose ?

 

La parole centrale est couchée dans un langage reflétant des sensibilités qui ne sont plus les nôtres. Le concept de gestes méritoires ne nous sourit guère, non plus que la référence à des cultures étrangères ou à des groupes méprisés pour signifier sa propre supériorité. Mais l’essentiel n’est pas là.

En rapportant cette parole, la Source manifeste qu’elle a conscience de tracer un chemin qui va à l’encontre du comportement ordinaire des humains. Il n’est pas «normal» de se préoccuper du bien-être des autres avant le sien, surtout quand il s’agit de personnes étrangères à la famille, au cercle des amis, au clan ou à la nation. Voilà qui est hors norme, jusqu’à dépasser l’entendement. Pourquoi donc faudrait-il se conduire différemment des autres ? Le questionnement suscité par la suite des deux premières paroles conduit nécessairement à la formulation de la troisième, une des plus importantes de toute la tradition évangélique.

 

3. Il n’y a pas de limite

 

La parole finale est une clef d’interprétation qui vaut pour toutes les directions de vie tracées par la tradition évangélique :

 

Q 6,36 Devenez aussi tendres que votre Parent.

 

L’objectif qui est formulé à l’intention de quiconque entend se mettre à la suite de Jésus est donc d’avoir un comportement identique à celui de Dieu. Dans la version parallèle à celle de Luc, Matthieu, qui a bien compris le sens de la parole originale, invite ses lectrices et lecteurs, plus largement, à devenir aussi «parfaits» que Dieu (Mt 5,48).

Il est évidemment impossible d’atteindre pareille cible, ce qui colore l’interprétation des directives évangéliques. Si l’interpellation trace la direction à suivre et repousse à l’infini le but visé, il relève nécessairement de la responsabilité des partisanes ou partisans de Jésus de voir, chacun pour soi, jour après jour, à quel rythme marcher, avec qui, et jusqu’où.

 

L’évangile n’a rien d’un ensemble de lois, de commandements, de choses imposées. Je ne saurai jamais si j’en fais trop ou pas assez pour les autres, si j’aime mon ennemi comme il faut, si j’ai assez ou trop donné à celui-ci ou à cette cause-là, si je fais bien de divorcer ou non, si j’ai bien fait de me faire avorter ou non, si je prie assez ou comme il faut, ou, ou, ou…

André Myre

 

On est toujours déstabilisé face à l’évangile, on ne peut jamais avoir le sentiment d’être correct, d’en avoir assez fait, d’être allé jusqu’au bout de soi. Il faut apprendre à s’aimer dans l’incertitude, à être serein sans se culpabiliser, à se laisser interpeller sans stresser indûment.

Et, surtout, il ne faut jamais, avec Dieu, faire d’entente qui supposerait qu’on puisse être correct face à lui. Il n’aime pas les lois, les règlements, les modèles imposés, les dogmes, les rites, les modes, les logarithmes et autres gadgets inventés par les humains pour se sécuriser. Aussi bien apprendre à s’y faire, et donc à se méfier de tous ceux et celles qui prétendent savoir mieux que lui ce que nous avons à faire dans la vie pour devenir un être humain digne de ce nom.

 

9e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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