Échos d'Évangile

Choses que les experts ignorent

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Par André Myre

Échos d'Évangile

18 janvier 2023

Crédit photo : Annie Spratt / Unsplash

Dans la partie sur la vie des partisans et partisanes, tout de suite après avoir traité de la mission, la Source entreprend de parler de la prière. Elle le fait en quelques versets qui sont situés précisément au centre du document (Q 10,21-11,13). C’est dire l’importance qu’elle leur accorde.

Pour s’en faire une idée, il faut savoir que, depuis toujours, la prière était à proprement parler une activité qui relevait du souverain. En effet, puisque ce dernier avait la responsabilité d’assurer la paix aux frontières, la fécondité du sol et des vivants ainsi que le comportement favorable de la nature, il se devait d’entretenir de bonnes relations avec la divinité.

Pour ce faire, il était de son devoir de mettre sur pied un sacerdoce compétent, d’ériger des temples, et de dégager les sommes nécessaires à l’exercice d’un culte propre à attirer les faveurs d’En-Haut. De tout temps, y compris à l’époque de l’Ancien Testament, la prière a été aux mains d’hommes compétents, qui savaient prononcer les bons mots, aux bons endroits, aux bons moments.

Le Psautier, par exemple, était l’instrument de travail des prêtres qui, au Temple, les utilisaient dans les cérémonies officielles, ou dans leurs rencontres avec des fidèles désirant confier leurs demandes à des experts qui connaissaient les bons chemins pour les rendre à destination[1]. Il faut avoir cette pratique millénaire en tête pour comprendre la scandaleuse révolution que Jésus a entrepris de faire, et à laquelle la Source s’apprête à convoquer les siens[2] (Q 10,21-24).

 

Q 10,21 Parent, Seigneur du ciel et de la terre, dit-il alors,

je te suis reconnaissant d’avoir caché ces choses aux savants et aux grands esprits, et de les avoir dévoilées aux tout-petits.

Oui, Parent, je te suis reconnaissant d’avoir bien voulu que ce soit le cas.

22 Mon Parent m’a tout confié, et seul le Parent connaît le fils, tout comme seul le fils connaît le Parent, de même que celui à qui le fils veut bien le dévoiler.

23 Choyés les yeux qui voient ce que vous voyez.  24 Je vous le dis, que de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, mais ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, mais ne l’ont pas entendu.

 

La péricope est faite de trois paroles, celle du centre (vv 21b-22) étant encadrée par les deux autres (21a et 23-24). Le cadre contient les deux paroles les plus anciennes, et soulève un scandale aussi profond que celui de l’appel à la prière lancé à l’ensemble des partisans et partisanes de Jésus.

  1. Le contenu du v 21a, en effet, est inacceptable pour tout système religieux :

 

Parent, Seigneur du ciel et de la terre, dit-il alors,

je te suis reconnaissant d’avoir caché ces choses aux savants et aux grands esprits, et de les avoir dévoilées aux tout-petits.

 

Si j’avais à choisir le verset le plus significatif de tous les évangiles, je choisirais celui-là. C’est la prière de Jésus, qu’il prononce en son propre nom[3]. Il s’adresse certes au Maître de l’univers, mais il lui donne un autre nom que Yhwh ou Seigneur : Parent, qu’il l’appelle, parce qu’il est à l’origine d’une famille. Et cette famille, c’est la famille des «tout-petits», à qui il se dévoile, tout en se cachant délibérément de tous les experts en religion et en prière. Dans ce verset, Jésus déclare qu’il a découvert son Parent à la base de la société, et pas ailleurs : pas chez les prêtres, pas chez les scribes, pas au Temple, pas à la synagogue.

Dans les évangiles, on ne dit jamais que Jésus va prier dans ces deux derniers endroits; c’est en dehors d’eux qu’il le fait, dans des lieux non fréquentés, là d’où le système est absent. Son Parent n’est pas d’En-Haut, mais d’En-Bas. Et les gens du sommet de la pyramide sociale et religieuse ne savent rien de lui.

C’est tellement scandaleux qu’à 2000 ans de distance, le sens de cette parole est tu et ignoré, comme si elle n’était pas éternelle parole d’évangile, mais simple conséquence de la non-foi des experts judéens de l’époque. Qui songerait à appliquer une telle parole aux papes, cardinaux, évêques, prêtres, théologiens ou exégètes d’aujourd’hui ? Sans parler des pasteurs, rabbins, imams, moines, gourous, chamans et autres experts de tout acabit.

  1. La finale de la péricope prend la relève de celle du début et insiste : la parole de Jésus vaut aussi pour les petites gens de la communauté, humbles partisanes et partisans tirés de la base sociale. Eux «voient et entendent» – au sens de comprendre – des choses ignorées des plus grandes autorités de jadis : les rois et l’opposition officielle qu’étaient les prophètes. Tout ce beau monde cherchait Dieu en haut alors qu’il est toujours en bas.

La parole du centre, enfin, plus récente que les deux autres, était le fait d’un scribe chrétien sensible au scandale causé par les termes choisis par Jésus. Il faisait de ce dernier le récepteur par excellence de la révélation du Parent, et celui qui la communiquait à ses partisans et partisanes. Selon lui, le Parent se rencontrait dorénavant dans la communauté chrétienne plutôt qu’à la base de la société.

Il est intéressant de voir que la Source, tout en acceptant d’intégrer cette façon de voir à son œuvre, l’a encadrée de deux paroles qui faisaient porter le regard ailleurs. De la sorte, le «fils qui connaît le Parent», est celui qui l’a appris des «tout-petits» et qui pousse les siens à «voir et entendre» ce qui se passe à la base de la société.

De tout temps, les lectrices et lecteurs de ces paroles sont interpellés à décider de leur justesse. Est-il vrai que le Parent se dévoile toujours aux tout-petits, et seulement à eux ? Est-il vrai que le fils pousse les siens à fréquenter ces derniers afin d’y voir et entendre des choses sur Dieu impossibles à percevoir ailleurs ? Qu’en est-il alors de nos experts en religion et de nos édifices religieux ? Qui croire ? Quoi croire ? Qui prier ? Où prier ? Lire la Source, c’est décidément s’aventurer sur un chemin plein de questionnements et de surprises.

 

Notes :

 

[1] L’habitude de «faire dire des messes pour les défunts» est une manifestation de cette façon de faire qui remonte à loin dans le temps et traverse les cultures et les religions.

[2] Un scandale similaire est provoqué, de nos jours, quand les partisans de Jésus sont invités à tirer les conséquences du fait que le «faites ceci en mémoire de moi» visait tous les croyants et croyantes; que, dans le Nouveau Testament, le rite de le Cène n’est jamais réservé à un officiel, et que le sacerdoce ministériel chrétien est tout à fait absent des évangiles.

[3] Dans la Source, il ne prie pas le Notre Père, il l’apprend aux autres.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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