Échos d'Évangile

Seulement ça

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

13 septembre 2023

Pour comprendre la portée du texte qui suit, il est utile de faire un effort d’imagination et de se projeter près de 2 000 ans en arrière. Ces invectives ne sont évidemment pas adressées à un auditoire de scribes et d’avocats. Elles décrivent le comportement de ces derniers à la communauté de la Source, pour que celle-ci prenne ses distances vis-à-vis d’eux.

Or, tandis que les membres du groupe sont presque tous des illettrés de la base, les autres font partie de ceux qui savent lire et écrire, qui ont le pouvoir, qui contrôlent, qui sont au courant des décisions de la divinité et des grands de ce monde. Ce sont ceux qui sont régulièrement consultés, interrogés, implorés, suppliés.

Dans le contexte du temps, les personnages ainsi présentés sont les équivalents de gens faisant autorité chez nous : femmes et hommes considérés comme savants, experts, influenceurs, chroniqueurs, chercheurs, universitaires, leaders dans leur domaine. Ces gens ont du poids, il est dangereux de les prendre à la légère. Or, voici comment la Source (Q 11,39b-52) les décrit :

 

Q 11,42     (1) Rejetés êtes-vous, Séparés, vous qui payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, tout en vous fichant de la justice, de la compassion et de la fidélité.

Voilà ce qu’il fallait mettre en pratique d’abord, sans négliger le reste.

39b (2) Rejetés êtes-vous, Séparés, vous qui purifiez l’extérieur de la coupe et de l’assiette, alors que l’intérieur regorge d’escroquerie et de rapacité.

41 Il fallait purifier l’intérieur avant l’extérieur.

43 (3) Rejetés êtes-vous, Séparés, vous qui aimez bien les places d’honneur dans les banquets, les premiers sièges dans les assemblées et les salamalecs sur les places.

44 (4) Rejetés êtes-vous, Séparés, vous qui êtes comme les tombes invisibles.

Les gens marchent dessus sans le savoir.

 

46b (5) Rejetés êtes-vous, gens de loi, vous qui attachez des fardeaux pour les charger sur les épaules des autres.

Vous vous gardez bien de les déplacer, ne serait-ce que du bout du doigt.

52 (6) Rejetés êtes-vous, gens de loi, parce que vous fermez le régime de Dieu devant les autres.

Non seulement vous n’y entrez pas, mais vous ne laissez même pas entrer ceux qui le voudraient.

47 (7) Rejetés êtes-vous, vous qui bâtissez des tombeaux aux prophètes es que vos ancêtres ont tués.

48 Vous témoignez ainsi contre vous-mêmes que vous êtes bien les descendants de vos ancêtres.

 

La Source semble avoir uni deux textes qui visaient les mêmes personnages, soient les scribes du mouvement des Séparés (les «pharisiens »). Les invectives sont au nombre de sept, signifiant ainsi qu’elles font le tour du sujet et que le portrait est définitif.

La première invective se fonde sur ce magnifique texte du prophète Michée, dans lequel l’évangile est d’avance résumé :

 

Mi 6,8 Hé l’humain ! on te l’a dit ce qui était bon

et ce que Yhwh attend de toi

seulement ça :

faire la justice

aimer avec tendresse

et marche humblement avec ton Dieu

 

Seulement ça, mais tout ça. C’est évidemment beaucoup trop pour les grands qui, prenant Dieu à témoin de leur interprétation de la Torah et l’imposant à leur peuple, inventent toute une série de directives ridicules qu’ils observent religieusement, s’imaginant plaire ainsi à la divinité.

Les deux suivantes s’attaquent au même comportement. Il faut à tout prix sauver les apparences : avoir l’air pieux et aligné sur le divin, faire des pieds et des mains pour occuper les places d’honneur. Tout pour cacher la pourriture intérieure.

La quatrième, énigmatique pour des lectrices et lecteurs d’aujourd’hui, est encore plus dure que les premières. Elle se fonde sur la peur des morts et sur le fait que les toucher rendait impur pour le culte : si donc, par exemple, on marchait sur une tombe «sans le savoir», on n’en était pas moins rendu impur. Les scribes sont donc comparés à ces tombes : si on les contacte, on est rendu impur sans le savoir. Un avertissement lancé à la communauté de la Source de se tenir loin de ces êtres infects.

La cinquième vise la pratique des gens de loi : ils savent utiliser le droit pour opprimer les autres, et inventer toutes sortes de pirouettes juridiques pour se déprendre des contraintes de la loi.

La sixième est à la fois la plus dure, et la plus significative pour les lectrices et lecteurs de la Source : la racaille des scribes et des gens de loi ne se contente pas d’être à l’extérieur du régime de Dieu, elle se sert de ses connaissances et de son influence pour s’attirer les autres et en faire des êtres déterminés à rester eux aussi à l’extérieur. Les grands font tout pour empêcher l’humanité d’être humaine.

La septième les présente comme des meurtriers hypocrites. Ils vouent un culte aux prophètes du passé que leurs pareils ont assassinés, tout en se débarrassant de leurs concitoyens qui contestent leur autorité.

Ces invectives visent des personnages d’aujourd’hui. Même mépris de l’essentiel et concentration sur l’accessoire : ce qu’il faut manger ou pas, quand manger ou pas, quel vêtement porter ou pas, quelles activités sexuelles sont permises ou pas. Même recherche effrénée de ce qui est tendance ou mode, de ce qui fait les manchettes, de ce qui mène à une invitation aux «spectacles de la parole», de ce qui fait augmenter le décompte des «amis», de ce qui rend influent.

Même pourriture intérieure sous le maquillage et les froufrous. Même influence néfaste sur la société, sans parler de la planète. Même utilisation honteuse du droit pour opprimer les petites gens. Même opposition aux valeurs du régime de Dieu et aux hommes et femmes qui y consacrent leur vie.

Malheur à quiconque fait passer le Dieu de Michée pour un idiot.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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