Suggestions de visionnement

Ru, entre résilience et espoir

Par Sophie Archambault

Suggestions de visionnement

27 mars 2024

Détail d’un des affiches promotionnels du film

Réalisé à partir du roman autobiographique de Kim Thúy, le film Ru de Charles-Olivier Michaud retrace l’arrivée à Montréal de Thin et sa famille après avoir fui un Vietnam communiste meurtri par la guerre. Ce film fait voir la résilience, mais surtout la force tranquille d’une famille qui doit se reconstruire à partir de leurs propres cendres.

Après une périlleuse et pénible traversée de l’océan Pacifique, Thin et sa famille ‒ sa mère Nguyen, son père Minh et ses deux frères Quôc et Duc – arrivent à Granby, désormais vêtus de leur statut de réfugié. Ils sont immédiatement pris en charge par la ville et parrainés par une famille québécoise constituée de Normand, Lisette et leur jeune fille Johanne, avec qui Thin développera une amitié empathique et très humaine. Au Québec, la vie des réfugiés change drastiquement. Bien que Normand et Lisette fassent tout en leur pouvoir pour divertir et aider les nouveaux arrivants, ces derniers, face à l’hiver et à une nouvelle culture, doivent apprendre à se retrouver eux-mêmes tout en étant confronté quotidiennement aux souvenirs traumatisants et envahissants de la guerre vietnamienne et de leur fuite en bateau.

Le spectateur suivra plus précisément le parcours de Thin, timide jeune fille de dix ans qui devra apprendre à trouver sa place dans un pays qui n’est pas le sien, mais qu’elle s’appropriera graduellement. Grâce à une plongée dans l’intériorité de Thin combiné à une vue extérieure sur la situation des «boat-people», le film se propose surtout de retracer, à coups de douceur, de rire et de pleurs, le parcours d’une écrivaine en devenir, d’une jeune femme qui, en se découvrant elle-même, découvre aussi les beautés d’un monde dans lequel elle renaît à son rythme.

 

Pour composer l’univers de Ru, je me suis fait observateur discret, captant l’essence des détails de [la] prose [de Kim Thúy], de ses souvenirs vifs et sensoriels, et surtout des rencontres marquantes qui l’ont façonnée. Ru est plus qu’un voyage entre Saigon et le Québec. C’est l’éveil d’une artiste sensible à la splendeur du monde qui l’entoure, son originalité et ses imperfections.

Charles-Olivier Michaud

 

Le silence pour construire l’identité

 

Si le film suit la nouvelle vie d’une famille réfugiée à travers les yeux de Thin, cette dernière, étonnamment, ne parle que très rarement, et c’est là tout le génie du film de Charles-Olivier Michaud. Ce silence reflète tout aussi bien le passé de Thin et son présent gouverné par de nouveaux apprentissages que son avenir sur lequel elle peine à mettre des mots.

Alors que la jeune fille est d’abord contrainte au silence par la barrière linguistique du Québec, son apprentissage progressif du français ne libère pas pour autant sa voix. Comme spectateur, nous comprenons que ce silence ne débute pas dès son arrivée à Granby; il est déjà présent lors de leur fuite du Vietnam, dans leur camp de réfugiés en Malaisie et plus encore durant leur traversée en bateau. C’est que, en fuite, on ne peut pas parler. On écoute, on est sur nos gardes, mais on ne parle pas. À cet effet, durant une majorité des scènes où la famille de Thin se sauve de la guerre, les seuls bruits que les spectateurs entendent sont ceux produits par les cris, les pleurs, la cale du bateau ou les soldats communistes vietnamiens. En ce sens, les «boat-people» perdent leur voix durant leur périple. Et sans voix, que reste-t-il de l’identité?

Arrivés à Granby, Thin et sa famille n’ont plus rien, et ne se reconnaissent d’autant plus en rien. C’est à cet égard que le film envoie un très beau message d’ouverture, de compréhension, de patience et de bienveillance, car les parrains qui accueillent les réfugiés jouent un rôle essentiel dans la guérison psychologique de ces gens qui doivent reconstruire leur vie et leur personne. D’ailleurs, Kim Thúy, durant la présentation du film au théâtre Outremont, a affirmé que

 

dans un camp de réfugiés, vous perdez votre identité. La première fois que je me suis revue, ce n’était pas dans un miroir. C’était vraiment dans le regard [des gens qui nous ont accueillis à Granby]. Je ne me suis jamais vue aussi belle qu’à ce moment-là, parce qu’ils nous ont redonné tout de suite notre humanité, notre dignité qu’on avait perdue en cours de route.

 

Ainsi, si le silence de Thin est d’abord causé par la fuite de son pays natal, il prend une autre forme une fois la jeune fille arrivée à Granby. En effet, en arrivant au Québec, elle retrouve une partie de son identité, même si la consolidation de celle-ci est entrecoupée de souvenirs douloureux. Le silence devient donc un instrument qui ne lui permet plus uniquement de se cacher, mais aussi de contempler et d’observer. C’est de cette manière que Thin se familiarisera avec la nouvelle culture, les mœurs et les coutumes québécoises auxquelles elle est confrontée. Dans son silence, elle arrive à plonger plus profondément en elle. Le film nous montre d’ailleurs de très belles scènes où Thin, en observant comment sa famille interagit avec les Québécois, en écoutant les histoires qui lui sont racontées et en contemplant les paysages hivernaux du Québec, découvre de nouvelles facettes d’elle-même, des autres et du monde. Le réalisateur affirme même que «la seule vérité du film est l’intimité de Thin. Elle devient universelle, car elle est partagée.»

Le silence culmine finalement dans l’amorce de la construction identitaire de la jeune vietnamienne. En effet, les derniers mots du film ne sont pas prononcés, mais bien écrits. Ils sont pourtant plus criants de signification que n’importe quelle voix.

 

Je suis venue au monde pendant l’offensive du Têt, aux premiers jours de la nouvelle année du Singe, lorsque les longues chaînes de pétards accrochées devant les maisons explosaient en polyphonie avec le son des mitraillettes.

 

Ces mots sont ceux qui ouvrent le roman de Kim Thúy, Ru. Ces derniers, s’ils racontent d’où l’autrice vient, expriment surtout que la jeune fille du film comprend maintenant qui elle est après avoir traversé tant d’épreuves. C’est bien là la naissance d’une écrivaine en devenir.

 

En savoir plus sur Kim Thúy

 

Suite au succès de Ru, l’écrivaine a écrit plusieurs autres récits acclamés par la critique. C’est le cas, entre autres, d’À toi, de mãn, de Vi, et d’Em (vous pouvez lire notre compte-rendu de ce dernier en cliquant ici).

 

À PROPOS DE SOPHIE ARCHAMBAULT

Étudiante à la maîtrise en études littéraires, Sophie lit et écrit pour mieux saisir l’humain, la société, mais surtout le monde dans lequel elle évolue. Oiseau de nuit, c’est en multipliant des lectures nocturnes sur la spiritualité et le phénomène religieux que son intérêt marqué pour le concept du sacré s’est doucement développé. Amoureuse de la nature et de ses dangereuses beautés, de la mythologie, de l’histoire de l’art et de tout ce qui requiert de la créativité, Sophie prend plaisir à se rencontrer elle-même à travers ces passions pour ensuite mieux s’ouvrir au monde qui l’entoure.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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