Suggestions de lecture

Le regard d’un médecin de rue

photo Renée Thivierge

Par Renée Thivierge

Suggestions de lecture

19 août 2020

Crédit photo : Jonathan Kho/ Unsplash

Certains d’entre nous côtoient quotidiennement ces «poqués de la société». Ils nous inspirent quelquefois de la curiosité, parfois même de l’indifférence, mais la plupart du temps, nous connaissons mal cette sombre réalité qui recèle pourtant des trésors d’humanité et de fraternité.

 

Le Dr. Jean Robert a dirigé pendant plus de vingt ans le Département de santé communautaire de l’Hôpital Saint-Luc à Montréal, mais c’est dans la rue, avec les drogués, les prostitués des deux sexes, les fugueurs, qu’il passe la majeure partie de son temps, pour leur distribuer «des seringues stériles et des condoms, pour drainer et panser des abcès de consommation, pour administrer dans leurs repaires des vaccins, des antibiotiques et des médicaments aux malades délaissés par le système et la société.» Pour les écouter surtout

 

Un «maître-dieu intouchable» descend de son piédestal

 

Il ne s’était pourtant pas spécialement destiné à cette vocation devenue pour lui une mission. Jeune diplômé en médecine de vingt-cinq ans, il est soumis à une épreuve qui le prépare pour ainsi dire à la suite des choses. En novembre 1963, éprouvant une fatigue inhabituelle accompagnée de quintes de toux, lui qui ne fume pas, il passe une radiographie et le diagnostic tombe, implacable. Une tuberculose du poumon gauche. Habitué à diagnostiquer et à traiter d’autres patients que lui, se croyant un peu «un maître-dieu intouchable sur son piédestal», il doit se résigner à un séjour au sanatorium Saint-Joseph de Rosemont, où il devient «le 202B, le lit près de la porte».

 

J’ai connu et vécu “l’être-dans-la-rue”, commente-t-il, dans le corridor du pire de ce qu’est une communauté. J’ai niché dans les bas-fonds des mal foutus, des rejetés que l’on enferme pour les oublier et ne plus les voir, ceux qui n’ont en partage que cette maudite maladie.

Jean Robert

 

Une fois guéri, il n’oubliera jamais ce qu’il a ressenti à l’époque, et appliquera dans sa vie quotidienne cette mémorable leçon de vie.

Son approche est sans jugement, conscient que ces «paumés» n’ont pas eu la vie facile. «Une série de cataclysmes a menacé leur survie, écrit-il. Ils sont nés souvent non désirés, par accident, vulnérables dès le berceau, puis donnés en adoption ou simplement abandonnés. Dès la tendre enfance, ils sont déjà “vulnérabilisés” selon l’enchaînement des succès et des échecs dans leurs multiples foyers d’accueil.» Leur vie s’est continuée et est devenue «une suite ininterrompue de traumatismes». Comme la nature a horreur du vide, «ils découvrent une famille d’appartenance, celle de la rue, celle des violences, des rapines, celle aussi des solidarités, des partages plus ou moins intéressés, celle de l’itinérance, du sans-abrisme. Bref, celle de la survie.»

 

Les failles du système, mais la sagesse de la rue

 

En quatrième de couverture, on parle d’un essai qui se veut «un coup de poing sur la table de l’indifférence de notre société à l’égard de nos plus démunis et souffrants». Au passage, l’auteur écorche le système. «Le glas a sonné lors de la fusion des CLSC et des Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) sous le chapeau des hôpitaux. […] les modestes budgets des CLSC ont ainsi été détournés plus loin du terrain dans de nouveaux locaux de fonction.»

Cet ouvrage abonde en témoignages de «vraies personnes», qui se prénomment Sylvie, Francis, Véronique, Maxim, Lou ou Mallory, qui ont vécu la rue, ses souffrances, comme ses joies. Chacun à sa façon montre l’importance de faire confiance, de créer comme l’explique Frédéric Lenoir un «état d’esprit, un certain nombre d’attitudes de manières d’être, qui nous permettent de créer ce terreau propice à la venue de la confiance… ». Sinon, souligne Marie-Claude, travailleuse de rue, «on enlève sa propre voix à une personne qui n’en a déjà pas.»

L’auteur ne pouvait mieux résumer le message essentiel de son livre : «Ils vous parlent à cœur ouvert, ouvrez un peu le vôtre.» Songez-y lorsque, par hasard ou habitude, ils croiseront votre route.

Page couverture

 

À PROPOS DE RENÉE THIVIERGE

Journaliste, auteure, traductrice et dramaturge, Renée s’intéresse depuis toujours à la philosophie et à la spiritualité. La beauté et l’humain sont ses meilleures sources d’inspiration et elle croit passionnément au pouvoir des mots afin de repousser et teinter de poésie les limites d’un monde souvent filtré et médiatisé.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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