Des femmes inspirantes

La Samaritaine

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

28 septembre 2022

Jésus et la Samaritaine,  17e siècle, huile sur toile, 257,5 x 338 cm, Musée de Valence, Espagne. Photo prise par Studio Basset

En revenant de Judée en Galilée, Jésus doit passer par la Samarie. Il y arrive donc dans une ville du nom de Sychar, à proximité du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. C’est l’endroit où se trouve la fameuse source de Jacob, près du Mont Garizim. Selon l’évangéliste Jean (Jn 4, 1-42), Jésus y rencontre une femme vis-à-vis de laquelle il a une attitude différente de celle qu’il a eue avec la Cananéenne, selon le récit de Mc 7,24-30 dont j’ai déjà parlé.

 

Fatigué, il s’arrête et il adresse la parole à une Samaritaine en train de puiser de l’eau. Il lui demande à boire, ce qui étonne grandement la femme, puisqu’un homme n’est pas censé adresser la parole en public à une femme autre que la sienne. Encore moins à elle, une non-juive à la vie sentimentale plutôt hors-norme. De quoi inquiéter aussi les disciples! Car on sait que les Samaritains détestaient les Galiléens tout autant que les Judéens qui, en 128 avant Jésus Christ, par l’entremise du grand prêtre Jean Hyrcan, avaient détruit leur temple érigé sur le mont Garizim, temple qu’ils n’avaient pas encore pu reconstruire. Tout semble donc séparer ces deux personnes : l’inimitié entre les nations, les désaccords religieux, la différence des sexes, l’impureté rituelle de la femme.

Pourtant un dialogue s’installe, Jésus et la Samaritaine étant prêts à contrevenir aux normes sociales. Jésus demande à boire. Pourtant, si elle savait ce que Dieu donne et si elle connaissait son interlocuteur, c’est elle qui lui demanderait de l’eau «vivante»[1]. La Samaritaine ne comprend pas. Les questions se bousculent. Jésus commet-il un impair? Il n’est pas équipé pour puiser de l’eau et elle n’a jamais imaginé qu’il puisse y avoir de l’eau «vivante» autour. S’il utilise le seau auquel elle a touché, il devient impur selon la Loi. Il ne connaît pas la Loi? Serait-il une exception pour lui parler si humainement? Qui peut être cet homme? Elle l’appelle «Monseigneur», ce qui montre qu’elle a du respect pour cette personne qu’elle ne connaît pas vraiment.

Puis Jésus parle de la soif. S’il y a bien une eau qui étanche la soif pour un moment, il y en a une autre sorte, qui peut combler la soif de vivre. Celle-là, «… une fois qu’on l’a bue, on n’a plus jamais soif car il s’agit d’une eau qui jaillit de l’intérieur de soi et fait vivre pour toujours». Je ne suis pas certaine que sur le moment la femme ait bien compris le message; elle veut probablement de cette eau parce qu’elle n’aura plus besoin de revenir au puits chaque jour…

Et Jésus, apparemment pour lever l’ambiguïté de la rencontre, de rajouter : va d’abord chercher ton mari. La réponse de la femme, à l’effet qu’elle n’a pas de mari, une demi-vérité, n’en révèle pas moins qu’elle reconnaît les limites de son être, et c’est par là qu’elle peut accepter de rencontrer la «soif» qu’elle ignorait. Une femme, une étrangère aux mœurs sexuelles assez légères, se découvre donc proche de Jésus. Et ce dernier, capable de sentir la souffrance derrière l’aveu de cette femme, reconnaît qu’elle est vraie.

Au même moment, la Samaritaine se met à considérer Jésus comme un prophète qui ne s’accroche pas aux «credo» pour juger les êtres humains. Puis, elle ose poser la question de la légitimité des lieux de culte respectifs des Judéens et des Samaritains,  mais, au fond, c’est de la dignité humaine dont elle parle : «toi, le prophète, as-tu autant de considération pour nous que pour les tiens?» Et arrive le cœur important du récit : il n’y a plus de lieux précis qui soient nécessaires pour rencontrer Dieu. Aucun endroit n’a préséance sur un autre. «Dieu est le Parent de tout le monde». Il se rencontre dans l’intimité de l’être humain.

La Samaritaine croit qu’il faudra un nouveau pouvoir politique pour établir le changement. Mais l’évangéliste, qui écrit longtemps après la résurrection de Jésus, pense que c’est plutôt Jésus qui a reçu le pouvoir de bâtir ce nouveau projet de société.

Sur les entrefaites, arrivent les disciples, qui s’étonnent de voir Jésus causer avec une femme. Celle-ci, craignant la réprobation, abandonne sa jarre et s’en va dans sa ville annoncer son aventure. Les disciples invitent alors Jésus à manger, mais c’est pour se faire dire que, pour lui, la seule nourriture est de faire ce que Dieu attend des êtres humains. Finalement, les Samaritains alertés par cette femme viennent rencontrer Jésus et décident de lui faire confiance.

 

Réflexions

 

Texte difficile, plein de références symboliques à la manière de l’évangéliste Jean, mais texte très beau où nous pouvons approfondir le sens de notre vie.

  • Une femme étrangère, aux mœurs légères, découvre qu’elle est proche de Jésus. La foi existe partout, et elle refuse quelque entrave que ce soit au dialogue entre êtres humains.
  • Une femme vraie laisse tomber le mur de l’hostilité culturelle et accepte les limites de son être avec les souffrances qui viennent avec. L’ouverture sur l’autre et sur soi-même permet à l’être humain de découvrir le chemin de sa vie, qu’il espérait trouver sans le savoir.
  • Jésus interpelle sans condamner; son accueil sans condition enlève le poids du mépris qui pesait doublement sur son interlocutrice : femme et Samaritaine; puis, parce que Jésus éclaire sans condamner, la Samaritaine accepte la vérité sur elle-même, et c’était justement de cette vérité que lui avait soif. Il est illusoire de penser pouvoir convaincre un autre être humain, pouvoir lui apporter la vérité ou le salut; on ne peut que s’entraider à faire la vérité sur soi et, peut-être, à découvrir qu’on peut faire un bout de chemin ensemble.
  • L’enseignement par excellence à retenir dans le récit : depuis Jésus, Dieu a décidé de ne plus rencontrer les humains dans des établissements religieux, mais plutôt au cœur de leur être, à l’intérieur du dynamisme de vie qui les anime. Me permettez-vous de m’étonner qu’après 2000 de christianisme, ce dernier semble encore l’ignorer ?
  • Quand les disciples incitent Jésus à se nourrir, il répond : «Ce qui me nourrit, c’est d’accomplir le désir de celui qui m’a délégué» (v 34).

 

«Ce que l’évangéliste est en train de dire…ce n’est pas Jésus qui compte, mais l’orientation qu’il donne à son agir… Jésus ne cherche pas à faire porter le regard sur lui-même, mais plutôt à tracer la ligne d’un engagement qui nourrit. L’évangéliste n’appelle pas à croire en Jésus mais à croire Jésus… les seuls à vivre vraiment sont celles et ceux qui sont nourris par une orientation de vie dans la ligne de celle de Jésus.»[2]

Le texte est une invitation à garder l’esprit ouvert pour découvrir, avec surprise, une fraternité de fond avec les «Samaritaines» que la vie nous fait rencontrer.

 

Notes :

 

[1] Cet article s’inspire de André Myre, «Crois-tu ça ?» Un commentaire contemporain de l’Évangile de Jean, Novalis, 2013, pp. 224-240.  Les citations en sont tirées.

 

[2] P. 237.

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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