Juan de Flandes, La tentation du Christ, vers 1500-1504, huile sur bois, 21.3 x 16 cm, Galerie nationale d’art, Washington DC.

Le texte précédent de la Source se terminait alors que Jésus, acceptant de suivre la voie tracée par Jean, se fait plonger dans l’eau par lui; à cette occasion, le souffle de Dieu l’investit (Q 3,21). La présente péricope, un des très rares récits rapportés par la Source, fait état de la rencontre entre Jésus et le «satan».

Dans ce récit, ce dernier personnage n’est pas l’adversaire traditionnel de Dieu, mais un de ses serviteurs. Pour comprendre son rôle, il est bon de lire le premier chapitre du livre de Job. Le satan y est clairement présenté comme faisant partie des «fils de Dieu», de sa garde rapprochée, pourrait-on dire. Et il a un rôle très ingrat, soit de vérifier l’authenticité des humains. Il va donc gratter sous les apparences pour voir à qui son Patron peut se fier ou non.

D’ordinaire, il n’a pas grand succès. Au temps de Job, par exemple, il n’a trouvé personne de fiable. Oh ! il y a bien Job, comme le souligne Yhwh, mais le satan lui réplique que l’autre n’est fidèle que parce qu’il est son protégé. Dans le reste du livre, il va donc s’employer à vérifier la sincérité de l’ami de Dieu. Dans ce récit de la Source Q, nous le voyons également en train de remplir sa fonction. Dieu peut-il avoir confiance en celui à qui il vient de faire don de son souffle ? L’«examinateur» sort donc de son sac la batterie de ses meilleurs tests. Il n’a pas le droit de laisser son Patron s’illusionner.

Q 4,1 Le souffle amène Jésus au désert, 2 pour y subir le test de l’examinateur.

Il reste quarante jours sans manger, puis il a faim.
– 3 Tu es le fils de Dieu ? lui dit l’examinateur, alors ordonne à ces pierres de devenir des pains.
– 4 Ça prend plus que du pain pour vivre, lui répond Jésus. C’est pourtant bien écrit, non ?

9 L’examinateur l’amène à Jérusalem et le place au sommet du Temple :
– Tu es le fils de Dieu ? alors jette-toi en bas,10 car il est écrit : Il donnera des ordres te concernant à ses messagers. 11 Ceux-ci te prendront dans leurs mains et ton pied ne touchera pas la moindre pierre.
– 12 Tu ne feras pas passer de test au Seigneur ton Dieu. Cela aussi est écrit, lui dit Jésus.

5 L’examinateur le conduit sur une montagne et lui fait voir, dans leur éclat, tous les royaumes du monde.
– 6 Tout cela est à toi 7 si tu te soumets à moi.
– 8 Soumets-toi au Seigneur ton Dieu, lui dit Jésus, et
sers-le, lui seul. C’est bien écrit.

13 Sur ce l’examinateur le laisse là.

Le récit est fait d’un cadre très simple (vv 1-2a et 13), à l’intérieur duquel sont racontés trois tests (2b-4.9-12.5-8) . Dans la bouche du satan, la Source présente Jésus comme «fils de Dieu» (vv 3.9), un des deux grands titres de Jésus (avec «messie»), selon la foi chrétienne. C’est une façon de signifier aux croyants et croyantes que les tests dont elle va parler leur sont également administrés.

Les épreuves de l’examinateur

1. Selon le Nouveau Testament, après sa résurrection, Jésus a reçu le pouvoir d’action de Dieu, son souffle, qui l’a fait fils de Dieu. Ainsi équipé, il devrait donc pouvoir tout faire. Pour définir sa première épreuve, l’examinateur se présente comme le promoteur de la gloire de Dieu : rien ne révèle davantage la grandeur de ce dernier que sa toute-puissance et sa compassion.

Rien de mieux pour Jésus, par conséquent, que de présenter Dieu, de façon éclatante, comme un pourvoyeur, ou un responsable de la santé, de la nourriture, du logement, du climat, et de la réparation générale des dégâts causés à l’environnement et au monde par la folie humaine. La réplique de Jésus signifie que ce n’est pas à coups de miracles que Dieu agit, mais en faisant arriver l’essentiel. À tout le monde, en effet, il donne la vie, la force vitale (son souffle), c’est déjà magnifique. Aux humains ensuite de voir à organiser une humanité et une planète qui ont de l’allure . Dieu ne le fera pas à leur place, miraculeusement.

2. Le deuxième test se passe au sommet du Temple. Cette fois, l’examinateur se déguise en homme de foi, une foi éminente : pour les croyants et croyantes, en effet, il n’y a rien de plus grand que de mettre sa vie en danger dans le but de permettre à la grandeur de Dieu de se manifester. La réponse de Jésus signifie qu’il n’y a rien de plus fou, pour la croyante ou le croyant, que de croire à toutes les folies religieuses qui mènent à détruire sa propre vie ou celle des autres. La seule conséquence sera la perte de la vie, car Dieu n’accepte pas d’être follement mis au défi.

3. Pour le dernier test, l’examinateur se présente comme le maître du monde, faisant miroiter tous les avantages du système, capable de garantir le bonheur à jamais. «Il est où le bonheur ? Il est là !» La réplique de Jésus signifie que c’est faux. L’être humain se perd s’il se met au service du système.

Selon la Source, Jésus a donc donné trois réponses à l’examinateur :
– Dieu ne fera pas de miracle pour lui faciliter la vie.
– Il ne viendra pas à son secours s’il écoute la religion et met follement sa vie en danger pour lui.
– Il va se perdre s’il met toutes ses énergies au service du système qui l’entoure.

À la fin de ce test, la Source n’a pas jugé bon de donner une note à Jésus. Elle a laissé à ses lectrices et lecteurs le soin de le faire en continuant leur lecture ou en arrêtant dès là. Ils sont en mesure de le faire car le ton est donné.

5e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

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