Paroles de dimanches

Une histoire d’amour

Photo André Myre

Par André Myre

Paroles de dimanches

1 mai 2024

Crédit photo : Lê Tân / Unsplash

Le texte choisi par la Liturgie pour ce dimanche énonce l’attitude de fond qui permettra aux partisans de Jésus, qui sont branchés sur lui, de porter du fruit, faisant ainsi plaisir à son Parent (v 8). Le passage (Jn 15,9-17) est fait de deux péricopes formées d’un cadre entourant un centre.

Le sens qui ressort de l’ensemble est que, selon Jean,

l’attachement mutuel vient du Parent,

passe par Jésus,

se manifeste dans l’amour de ce dernier pour les siens,

puis dans l’amour de ceux-ci pour lui

et, enfin, dans leur amour les uns pour les autres.

 

Jn 15,9 Comme le Parent a eu de l’attachement pour moi, moi aussi j’ai eu de l’attachement pour vous. Gardez cette attache qui est mienne.

10 Si vous avez gardé mes directives, vous demeurerez attachés à moi, comme moi j’ai gardé les directives de mon Parent et que je demeure attaché à lui.

11 Je vous ai déjà dit ça pour que ma joie soit en vous et que la vôtre soit complète.

 

12 Ma directive est la suivante : que vous ayez de l’attachement les uns pour les autres comme j’en ai eu pour vous.

13 Personne n’a de plus grand attachement que celui-ci, à savoir quelqu’un qui dépose sa vie pour ses amis. 14 Vous, vous êtes mes amis si vous suivez mes directives.

15 Je ne vous dis plus esclaves, parce que l’esclave ne sait pas ce que fait son seigneur, aussi vous ai-je dits amis puisque je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu d’auprès de mon Parent.

16 Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis et installés pour que vous vous mettiez en marche, oui vous, et que vous portiez du fruit, un fruit qui dure, afin que le Parent vous donne tout ce que vous lui demanderez par moi.

17 Je vous donne ces directives afin que vous ayez de l’attachement les uns pour les autres.

 

 

 

Jésus

 

Comme le précédent, ce passage est typique du langage de la tradition johannique, et il vise la communauté des partisans de Jésus. Il se présente comme la charte de la famille terrestre du Parent de ce dernier. Le fond de scène en est une donnée culturelle très importante, soit celle de la famille, laquelle est responsable de l’ensemble de la vie de ses membres, du berceau à la tombe : choix des amis, du mari ou de la femme, du lieu de résidence et du métier. Hors de la famille, l’individu n’est rien. Les partisans et partisanes de Jésus, coupés de la leur par la foi que ne partagent d’ordinaire ni leur entourage ni leur milieu, ont donc besoin d’une nouvelle famille pour remplacer celle qu’ils ont perdue.

De là l’importance d’avoir un nouveau Parent, ainsi que des frères et sœurs qui forment leur nouveau milieu de vie. C’est dans ce contexte que s’exprime le scribe qui a rédigé le passage de Jean à l’intention de sa communauté. Et il s’adresse à elle en faisant parler le Jésus qui a terminé sa trajectoire terrestre et en qui la communauté johannique a foi.

 

Jean

 

Le rédacteur johannique semble avoir eu à sa disposition un certain nombre de ce qu’on appellerait des «bouts de papier», sur lesquels étaient écrits, en une ligne ou deux, des sujets distincts d’entretien. Il les a rassemblés selon sa logique propre, mais, pour nous, il est peut-être plus facile de les comprendre si nous les mettons en ordre chronologique.

La première série d’énoncés porte sur la vie du Nazaréen :

. le Parent a aimé Jésus (v 9a)

. ce dernier a suivi les directives de son Parent (v 10b)

. il a aimé les siens (v 9b)

. il en a fait ses amis en leur faisant savoir tout ce qu’il avait

  appris de son Parent (v 15b)

. il les a aimés jusqu’à mourir pour eux (v 13).

 

Ces énoncés disent l’accord fondamental entre Dieu et Jésus. Ce dernier a appris à connaître le Parent; il l’a traduit jusqu’à la fin dans sa vie d’homme, apprenant ainsi aux siens, avec amour, qui était leur Dieu; et ce dernier s’est reconnu en lui. Cette série d’énoncés vise à raffermir la conviction suivante chez les lecteurs et lectrices : Dieu était d’accord avec Jésus malgré son destin scandaleux.

La deuxième série d’affirmations porte sur le Jésus d’après sa mort :

. il continue d’être attaché à son Parent (v 10c)

. il continue d’aimer les siens (v 9c)

. c’est lui qui les a choisis (vv 16a).

 

Ces textes disent la continuité. La mort de Jésus ne signifie pas qu’il y a eu rupture de la dynamique de vie proposée par Jésus, puisque celle-ci leur est à nouveau proposée. Ce qu’il y a de plus significatif dans ces textes, c’est le fait qu’aucun des contenus d’ordinaire présentés comme étant l’essentiel de la foi chrétienne n’est utilisé : ni résurrection, ni seigneurie, ni titres allant de pair. La foi johannique n’est pas dans ce qui est arrivé à Jésus après sa mort, mais dans la reconnaissance du fait que perdure l’appel à vivre comme lui.

La troisième série de déclarations, la plus longue, porte sur la vie communautaire :

. les siens doivent continuer à aimer Jésus en suivant ses

  directives (v 10a)

. ils seront ses amis s’ils suivent ses directives (v 14)

. ce faisant, ils cessent d’être des esclaves (v 15a)

. ils doivent donc se mettre en marche (v 16a)

. la principale directive à suivre est qu’ils s’aiment les uns les

 autres (v 17)

 comme lui les a aimés (v 12)

. ce faisant, ils seront joyeux (v 11), porteront du fruit (v 16b), et

 verront leurs demandes écoutées par le Parent (v 16c).

 

La manifestation fondamentale de la foi n’est pas la proclamation d’un credo, mais une vie qui suit le tracé des orientations de Jésus.

L’amour auquel la foi appelle n’est pas affaire de sentiment mais d’agir. Le Parent a aimé Jésus parce qu’il en a dirigé la vie. Jésus l’a aimé parce qu’il s’est laissé orienter par lui. Et il a aimé les siens en leur montrant comment vivre. Ces derniers, à leur tour, l’aimeront s’ils suivent ses directives, en particulier s’ils s’aiment les uns les autres.

 

Ligne de sens

 

Le passage d’aujourd’hui permet de se faire une bonne idée de la façon dont le rédacteur johannique comprenait la foi. Il faut cependant rappeler ce qu’il avait écrit précédemment sur les paroles de Jésus qui demeurent à l’intérieur des partisans (v 7). En effet, il est impossible de s’aligner sur les directives de Jésus si l’orientation de fond n’est pas présente à l’intérieur des partisans. Ceci dit, il faut reconnaître que la foi johannique est chose simple à penser et à dire :

il existe un mode de vie qui vient de Dieu,

il a été adopté par Jésus,

il est proposé aux siens à travers l’Histoire

et il donne un air de famille à celles et ceux qui le font leur.

 

Pour toute personne qui dit «je crois» face à cet énoncé, trois questions se posent, lesquelles exigent discernement :

. «Avec qui puis-je chercher à vivre comme Jésus?»

. «Que signifie concrètement vivre comme Jésus pour moi,  pour nous, ici, aujourd’hui?»

. «Quelle organisation faut-il nous donner pour nous faciliter la vie?»

 

Chaque aujourd’hui est le début de l’Église. Chaque aujourd’hui est une Pentecôte. À chaque aujourd’hui la parole de Jésus est prononcée à l’intérieur de ses partisans et de ses partisanes pour leur faire part des résultats de son propre discernement (v 15b). Il s’y prononce sur l’état de leur monde, sur le mode de vie qu’ils ont à adopter pour s’orienter à sa suite, et sur la sorte d’Église dont ils ont besoin pour ce faire. Les réponses aux trois questions se trouvent donc à l’intérieur des partisanes et partisans, et personne d’autre qu’eux ne peuvent les trouver. Et les réponses données ici ne valent pas nécessairement pour ailleurs, tout comme les réponses découvertes aujourd’hui ne valent pas nécessairement pour demain. Le mode de vie de Jésus se fait découvrir dans toutes les cultures, à travers l’Histoire.

Il en va de la foi comme de l’amour. L’amour est un, mais la vie est faire d’une infinité d’histoires d’amour toutes plus différentes les unes que les autres. La foi se dit donc de façon aussi foisonnante et imprévisible que la vie, et n’est jamais dite une fois pour toutes.

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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