Du cœur à l'action

Vivre la solidarité pour changer les collectivités

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Du cœur à l'action

24 novembre 2020

Le Carrefour Familial Hochelaga est une maison pour les familles du quartier et un centre d’éducation populaire autonome. Sa naissance est issue de l’analyse sociale que des parents eux-mêmes ont faite au sujet de leur réalité et des défis auxquels ils étaient confrontés. Le Carrefour a changé ma vie.

 

En 1976, lors d’un congrès pastoral, plusieurs familles ont dit vouloir briser l’isolement et réclamaient un lieu communautaire afin de partager sur l’éducation des enfants, sur leur situation de pauvreté et sur les problèmes familiaux que cette situation engendrait. À partir de leurs expériences partagées, elles désiraient un lieu d’information, de formation et d’entraide. Par la suite, des personnes bénévoles ont répondu à l’appel en ouvrant un local au 2147, rue Cuvillier, à Montréal.

Après quatorze ans d’enseignement au primaire et au secondaire, je décide de prendre une année sabbatique afin de poursuivre mes études à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Je me trouve un logement dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, et fais vite connaissance avec un réseau de personnes œuvrant dans les groupes populaires.

En particulier, je rencontre le coordonnateur du Carrefour Familial Hochelaga-Maisonneuve. Il me demande de participer à une enquête auprès des familles du quartier afin de vérifier leurs besoins concernant les activités du Carrefour. Peu de temps après, je suis amenée à coordonner le Projet d’initiatives locales (PIL) visant à rejoindre les familles par le biais du porte-à-porte afin de prendre connaissance de plus près du vécu et des besoins des gens, surtout des femmes.

 

Lucie Lépine et Thérèse Trottier, cette dernière une sœur de la Miséricorde, au Carrefour familial Hochelaga à la fin des années 80.

 

Ce fut une expérience exigeante mais des plus enrichissantes. Il fallait d’abord établir un lien de confiance avec des personnes qui se méfiaient des enquêteurs de l’aide sociale. Cependant, une fois la porte ouverte, l’accueil était chaleureux.  Nous prenions alors contact avec de dures réalités, mais aussi avec des initiatives renversantes. C’est lors de ces rencontres, qui se sont poursuivies par la suite, que nous avons fait la connaissance d’une femme qui a été à l’origine des Cuisines collectives. Dans sa maison, elle réunissait des membres de sa famille et des amies pour, ensemble, faire des achats et des menus pour diminuer les coûts de l’alimentation.

 

Participation des hommes dans le communautaire

 

Le local, un peu plus grand que celui de la rue Cuvillier, était alors situé sur la rue Ontario, au coin de Chambly, au deuxième étage d’un triplex. Après six mois de chômage, durant lesquels je travaillais comme bénévole, un poste s’est libéré et je suis devenue permanente au Carrefour. Sur les entrefaites, un appartement est devenu disponible au troisième étage. Nous l’avons loué, ce qui nous a permis de former davantage de groupes.

Toujours à l’écoute des besoins, nous avons commencé à nous questionner sur le peu de place qu’occupaient les hommes au Carrefour par rapport à celle des femmes et des enfants. Nous avons donc engagé un intervenant, un homme de terrain qui passait son temps à «perdre son temps» comme il le disait si bien lui-même. Il retrouvait les hommes dans les lieux qu’ils fréquentaient. Je me souviens que, dans le local, accompagné par les sourires des femmes, il prenait soin d’un bébé dont le père avait la garde pendant que celui-ci allait visiter sa conjointe à l’hôpital.

Ce centre familial s’est agrandi au fur à mesure des besoins et des ressources financières. Un jour, un local attenant à celui de la rue Ontario s’est libéré. Nous avons alors fait une demande financière à Centraide, et l’avons loué afin de l’utiliser comme local pour la garderie, le jour et comme lieu d’hébergement pour les hommes, le soir. Ce travail avec les hommes a donné naissance aux maisons Oxygène dont la mission était d’accompagner les hommes en difficulté et de leur donner un lieu de répit.

 

Au-delà des préjugés

 

Ce passage au Carrefour a été un tournant dans ma vie. J’ai vu la pauvreté de près. J’ai connu des femmes débrouillardes, attachantes, courageuses, souvent seules pour élever deux ou trois enfants, avec peu de moyens financiers.

 

Ces femmes n’étaient pas des profiteuses du système, selon l’image propagée par tellement de préjugés, mais des victimes de ce même système. Leur histoire était tissée de moments de violence, de solidarité, de pauvreté, d’entraide. Des femmes qui gagnaient à être connues, aimées et, la plupart du temps, profondément admirées.

Lucie Lépine

 

Ces femmes voulaient apprendre. Elles participaient aux ateliers qui leur permettaient de se rencontrer, de partager leur vécu, de reconnaître leur valeur, de se regrouper pour changer des choses sur le plan social, d’affiner leur pédagogie vis-à-vis des enfants. Nous découvrions, ensemble, qu’elles n’étaient pas responsables de ce qu’elles vivaient. Le système crée des riches qui le deviennent sur le dos des pauvres.

En dehors des ateliers, il y avait un lieu important, la cuisine où se prenait le café (malheureusement, à cette époque, au milieu d’un nuage de boucane…) Il était essentiel que les intervenant-es y soient présents, parce qu’il leur fallait apprendre que le «jasage» est un outil important de conscientisation. C’est souvent dans la cuisine, autour de la table, que se partageaient les confidences, les inquiétudes au sujet des enfants, des situations familiales difficiles, des difficultés financières, des hésitations face à l’avortement… C’est souvent là que les femmes ensemble trouvaient des éléments de solution aux problèmes que, jusque-là, elles avaient affrontés dans la solitude.

Le premier jour où j’ai mis les pieds au Carrefour, j’ai découvert que c’était ça que, sans le savoir, j’avais toujours voulu faire : vivre la solidarité et garder bien vivant le désir de vouloir changer des situations inacceptables. Le Carrefour continue d’exister et se retrouve maintenant dans les anciens locaux du CLSC situés au 1611, de l’avenue d’Orléans, toujours fidèle à sa mission. Ici, il est intéressant de noter que, s’il a pu acheter ce bâtiment, c’est que, quelques années auparavant, une communauté religieuse qui devait quitter le quartier a voulu elle aussi rester fidèle à sa mission en donnant au Carrefour -moyennant 1,00$- le triplex qu’elle occupait…

 

Pour en savoir plus allez à http://carrefourfamilial.com

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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