Suggestions de lecture

Une sentinelle sur le rempart

photo Renée Thivierge

Par Renée Thivierge

Suggestions de lecture

3 février 2021

Ce livre décrit le parcours du docteur Jean Lemieux, à partir de ses rêves d’enfance en passant par son séjour aux Îles-de-la-Madeleine, jusqu’à ses années de pratique médicale dans l’unité de médecine d’un hôpital psychiatrique de la ville de Québec, sans oublier son «combat comme chef de service aux prises avec la réforme de la santé».

L’auteur a longtemps jonglé entre deux professions : médecin ou écrivain. Il adoptera les deux, comme ses idoles Jacques Ferron et Anton Tchékhov. Il publie plusieurs romans, dont certains primés. Enfin, il devient ce «médecin qui écrit aux Îles-de-la-Madeleine». «Je suis sorti de ma seule vie, commente-t-il, je me suis téléchargé dans un nuage de mots, ces vaisseaux de papier qui voyagent d’esprit en esprit, de main en main.»

À la fin de ce qu’il appelle son «long voyage abracadabrant au bout de la médecine», il entreprend cette autobiographie, qu’il résume en quelques lignes : «Au bout, il y a juste moi, Jeannot, qui patinait seul sur la patinoire des Frères, qui s’immergeait dans des romans d’aventures en arrière de la classe, qui recousait l’arcade du boxeur à l’urgence de l’hôpital Saint-Luc, qui débarquait à Cap-aux-Meules un soir d’été, qui entrait dans la grande bâtisse de pierre un matin d’été, qui va en ressortir dans sept jours pour de bon.»

L’ouvrage se lit en parallèle. Les chapitres sur l’enfance et l’adolescence puis sur les études en médecine qui le mènent aux Îles, alternent avec ce séjour à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec.

 

L’attrait des Îles

 

Jean Lemieux commence sa pratique en région éloignée dont il avait subi les charmes à l’époque. «Un après-midi de mars, raconte-t-il, je prends place dans un bimoteur de la Eastern Provincial Airways, direction Québec-Charlottetown-les Îles. À la nuit noire, tandis que l’avion vibre, plonge et roule sous l’effet d’un vent à décoiffer un chauve, je découvre soudainement, grappes de phares au milieu de l’océan, les lumières de l’archipel. Des galettes blanches se bousculent sur une mer hérissée de courtes vagues. Les vertes collines, les dunes blondes, entrevues trois étés plus tôt, sont grises, ceinturées de battures et de lagunes glacées.»

Son travail «s’articule autour de plusieurs pôles : l’urgence, l’hospitalisation, le bureau, une mineure en psychiatrie» sans compter les «visites au dispensaire de L’Île-d’Entrée». Il a adoré cette expérience, qu’il a partagée avec son épouse, et ses trois «pistous». «Les Madelinots m’acceptent comme je suis. Depuis plus de deux siècles, les saisons et les naufrages déposent sur leurs grèves leurs marées d’originaux, d’orphelins et de déserteurs.»

Il est ce «docteur qui joue de la guitare, qui écrit des livres et qui s’intéresse à la santé mentale». L’histoire des Madelinots l’intéresse tellement qu’il passe une partie de son temps au Musée de la Mer, «à fouiller dans les registres et les vieux papiers du père Landry».

 

Un long séjour en milieu psychiatrique

 

À l’hôpital de Québec, douze ans plus tard, c’est différent. «Le lundi 4 juillet 1994, j’entre dans l’immense bâtisse de pierre grise, sur le chemin de la Canardière. Pendant plusieurs semaines, je n’y pénétrerai pas sans ressentir un serrement dans la poitrine : le centre hospitalier psychiatrique, avec ses sept étages, ses huit ailes, ses mille cinq cents patients, ses pavillons annexes accessibles par des tunnels, m’angoisse».

Pourtant, c’est son choix. Sans être psychiatre, il soigne au plan physique ces personnes malades, par exemple des schizophrènes, qui y cherchent et trouvent souvent un havre. Les séjours sont souvent longs, et l’hôpital devient parfois un refuge.

 

Classiquement, la schizophrénie s’apaise quelque peu quand les patients passent le cap de la cinquantaine. Les symptômes dits ‘négatifs’ , l’apathie, le désintérêt, le retrait, l’apragmatisme prennent le dessus sur les ‘positifs’, l’agitation, les délires. Chez certains, spécialement chez ceux qui ont des traits obsessifs, la maladie se cristallise en un ensemble de traits peu compatibles avec la vie en société. Le malade est incapable de s’adapter aux changements. Aux prises avec des délires encapsulés, des circuits soudés aussi solidement que les garde-fous de la galerie, qu’aucun médicament ne peut entamer, il ne tolère qu’une routine immuable, dans un espace adapté, muni d’objets rassurants.

Jean Lemieux

 

Les aléas du système

 

Son poste de chef de service lui fait vivre les aléas et les failles du système. Il parle d’une «suite de réunions, d’apartés, de conférences téléphoniques» entre les plus hauts gradés de l’institution et «ces interlocuteurs occultes, les sous-ministres de la Santé et des Services sociaux». «Les sous-ministres, écrit-il, dont certains n’ont jamais mis les pieds à l’Institut et ne connaissent rien du quotidien de la pratique de la psychiatrie, sont conseillés par de hauts fonctionnaires anonymes, non élus, non imputables, dont les dadas, les penchants idéologiques ou les intérêts personnels peuvent varier.»

Ce n’est qu’en 2017 qu’il pose le point final, annonçant neuf mois à l’avance la fin de cette aventure, où il a dû à la fois s’impliquer et se détacher pour conserver son équilibre et sa boussole. Le 25 mai 2018, il sortira de l’immense pavillon gris pour retrouver une autre vie, un autre horizon.

Voilà un livre à découvrir absolument que vous lirez probablement jusqu’à la dernière ligne. C’est le regard d’un écrivain qui manie la plume avec habileté et tendresse, et nous permet d’explorer, page après page, cet univers complexe et difficile, mais tellement près de l’humain.

 

À PROPOS DE RENÉE THIVIERGE

Journaliste, auteure, traductrice et dramaturge, Renée s’intéresse depuis toujours à la philosophie et à la spiritualité. La beauté et l’humain sont ses meilleures sources d’inspiration et elle croit passionnément au pouvoir des mots afin de repousser et teinter de poésie les limites d’un monde souvent filtré et médiatisé.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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