Échos d'Évangile

Une directive insensée

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

18 octobre 2021

Crédit photo : Lucas Favre / Unsplash

Après le texte de la « claque sur la gueule » en 6,29, la source Q parle argent :

Q 6,30    À qui te demande,

     donne.

                À qui te fait un emprunt,

                ne réclame rien.

 

Cette parole d’évangile fait partie du groupe nombreux de celles sur lesquelles, en Église, on garde pour ainsi dire un silence total. Sans doute parce qu’elles traitent de sujets jugés trop compromettants ou non pertinents pour la foi. Imaginons que le texte aurait eu la formulation suivante :

     À qui te demande de faire l’amour,

     fais-le.

     Celle qui t’annonce qu’elle va se faire avorter,

     écoute-la.

 

On peut être sûr qu’il y aurait des bibliothèques remplies de livres écrits là-dessus, tous expliquant, avec grande autorité, qu’il ne faut pas répondre positivement à toutes les demandes de sexe, ou qu’écouter l’annonce d’un avortement ne veut surtout pas dire approuver. Or, si l’évangile ne traite pas de ces sujets, courants dans toutes les sociétés, c’est qu’ils ne l’intéressent pas. Pourtant on ne cesse d’en parler comme s’ils étaient affaire de foi, voire au centre de la foi. Et ceux dont l’évangile traite, on les ignore. Intéressant.

 

Évangile et économie

 

La parole de la Source, laquelle est souvent proche des préoccupations de Jésus, traite de la relation à l’argent. Il est remarquable que les textes touchant à l’économie soient nombreux dans l’évangile. Et, à lire le mot cité au début, il est évident qu’il vise les gens à l’aise plutôt que ceux de la base. Ce sont les premiers, évidemment, qui ont pour ainsi dire quotidiennement le problème de recevoir des demandes de dons ou de prêts.

Or, la directive – au sens de direction de vie – qui leur est adressée est à proprement parler insensée. En effet, s’ils se mettent à répondre positivement à toutes les requêtes qu’ils reçoivent, ils seront vite obligés de se mettre au bout de la file des démunis. Ce n’est certainement pas l’objectif du texte.

La Source dira elle-même, un peu plus loin, comment interpréter cette parole. Pour l’instant, cependant, il est quand même possible de tracer quelques lignes de réflexion. D’abord, le mot est typique de la façon courante qu’a Jésus de s’exprimer : lapidaire et radicale.

L’homme ne parlait pas beaucoup et quand il le faisait, après de longs silences, les mots sortaient drus, étonnants, souvent déstabilisants. Il fallait alors prendre son courage à deux mains, et aller lui demander ce qu’il avait voulu dire. Tout cela relève de ce que la Bible a coutume d’appeler la «crainte de Dieu».  En effet, s’il est vrai que Dieu est superbement intelligent, amoureux fou et radicalement libre, il est évident que la folie des organisations et des comportements humains l’indispose souverainement, et que le fréquenter ne peut donner que des résultats étonnants. Il n’y a donc pas à se surprendre que les paroles de Jésus aient comme conséquence de bouleverser le jeu humain.

 

La chance de devenir soi-même

 

Par ailleurs, quiconque est désireux de se mettre à l’écoute de la parole doit nécessairement remplir quelques conditions. D’abord, il faut la prendre pour ce qu’elle est. Il ne s’agit évidemment pas d’un commandement strict auquel un être humain pourrait obéir. En effet, le mot est formulé de telle façon qu’il est impossible de lui donner une interprétation juridique. Son contenu ne peut être que de l’ordre d’une directive, d’une orientation, d’une direction qui est tracée pour l’existence.

Dans ta vie, propose-t-il, prends des décisions qui vont faire de toi un être humain sensible aux besoins des autres. Et fais bien attention, sinon tu vas rater la chance qui t’est donnée de devenir toi (il faut savoir que, pour l’évangile, le pécheur est un raté, quelqu’un qui est passé à côté de sa vie; ça n’a rien à voir avec la désobéissance de quelqu’un à une législation).  On ne peut évidemment pas formuler de commandement obligeant quelqu’un à être fidèle à l’être humain qu’il devrait devenir.

En second lieu, la décision d’écouter la parole suppose qu’on accepte la situation d’insécurité dans laquelle elle met quiconque cherche à s’en inspirer. En effet, si le texte trace une direction, il reste muet sur la longueur du bout de chemin à effectuer, sur la vitesse de croisière, sur les pauses à prendre, ou sur les étapes à parcourir.

 

La responsabilité de décider de sa vie

 

L’être humain qui a certains biens ne saura donc jamais s’il a assez donné ou prêté; s’il l’a fait aux bonnes personnes et pour les bonnes raisons; si on s’est joué de sa bonne foi ou non, ni si, demain, il devra faire autant, ou moins, ou plus. Et personne ne peut le renseigner. La parole désarçonne le lecteur ou la lectrice, car elle l’entraîne dans un monde où la responsabilité lui revient de décider de sa vie, et où la densité humaine d’un être ne se commande pas, ne se jauge pas, ne se transige pas, mais augmente ou diminue, selon les choix qu’on fait, sans qu’on s’en rende compte.

Voilà qui est très embêtant pour les humains, en général, qui aiment bien savoir ce qu’ils ont à faire dans la vie, et pour les responsables religieux, en particulier, qui aiment bien divinement ordonner aux autres quoi faire. C’est pourquoi il est beaucoup de paroles d’évangile dont on n’entend jamais parler. Et encore beaucoup plus d’autres qui n’ont rien à voir avec l’évangile et dont on ne cesse de nous rabâcher les oreilles. Façons pour les humains de faire savoir à Dieu qu’il ne nous a pas parlé comme il aurait dû. Heureusement que la Source voyait les choses autrement.

 

8e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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