Chroniques

Un homme avait deux fils

photo Michel Laberge

Par Michel Laberge

Chroniques

18 janvier 2023

Crédit photo : seb_ra / iStock

Nul ne peut avoir la prétention de mériter le salut. S’il était accordé au mérite, nous serions tous exclus. Mais tous nous l’obtiendrons par l’amour gratuit du Père sauf si quelqu’un décline cette gratuité toujours reliée à l’amour, au nom d’une fausse liberté comme le fils aîné, dans la parabole du fils prodigue (Luc 15, 11-32), qui ne veut pas entrer dans la salle du banquet parce qu’il refuse l’amour sincère du Père envers son frère cadet.

Pourtant, le père, lui, il est là pour l’accueillir. Il l’invite à entrer pour festoyer car son frère est revenu.

Plus je crois à l’amour, plus le mobile de mes actions s’éloigne de l’intention de mériter, mais se rapproche de la reconnaissance et de la gratitude pour un salut qui m’est déjà donné par amour.

Puisque tu crois que le salut individuel est gratuit, pourquoi ne pas t’adonner aux plaisirs du monde ? Tu n’as pas à te soucier de ton salut. Pourquoi te soucier du prochain, de la justice ? Pourquoi ne pas t’enrichir au dépend des autres ? Pourquoi tenir à l’honnêteté ? Pourquoi ne pas t’adonner aux plaisirs de la sexualité avec le plus de partenaires possibles ?

Ceux qui réfléchissent de la sorte sont ceux qui sont incapables de croire à la gratuité de l’amour de Dieu. Donc, ils continueront à agir servilement selon une éthique orientée sur la crainte du châtiment ou l’empressement à mériter une récompense éternelle. La croyance à la gratuité conduit au contraire à une éthique basée sur la reconnaissance d’un bien infini déjà promis et même déjà reçu. C’est la nouvelle éthique de la reconnaissance, de la gratitude qui vient tout naturellement de la foi en la gratuité de l’amour.

J’aime plaire à Dieu non pas pour mériter quoi que ce soit mais parce que j’ai déjà tout reçu. La motivation de mon agir pour la construction de la Nouvelle Société est un attrait et non une exigence. Elle est une liberté et non une servilité. Il s’agît d’une traction avant et non d’une poussée arrière. Y a-t-il plus intéressant que d’accomplir une volonté déjà orientée vers le bonheur de l’humanité entière y compris le sien ? Telle est la volonté de Dieu. Loin de moi les préoccupations de mérite et de châtiment.

 

Pour une vraie liberté

 

L’attitude du frère aîné traduit son incompréhension du geste gratuit du père à l’égard de son frère cadet. Il n’entre pas dans la grandeur de l’amour du père. Il se situe dans un paradigme de mérite et de récompense qui le conduit à un manque de confiance en l’amour du père qu’il perçoit comme injuste. Il nous laisse percevoir ainsi son degré de servilité envers son père. Il fait tout pour mériter la récompense ou éviter le châtiment.

Le fils prodigue, quant à lui, devra prendre fait et conscience de cette gratuité à travers le pardon du père puisque, lui aussi, exprime ce manque de confiance en demandant d’être traité en esclave plutôt qu’en fils. Sa frasque de jeunesse marquait une recherche de liberté qui l’a conduit à la déchéance et à l’esclavage. L’attitude du père qui lui redonne gratuitement sa dignité de fils sans que celui-ci la lui ait demandée, le conduira enfin à la vraie liberté de fils aimé qui voudra à son tour transmettre librement cet amour.

Quant au fils aîné, il devra attendre à l’extérieur de la salle du banquet jusqu’à cette prise de conscience qui lui permettra d’accepter l’invitation gratuite du père d’entrer pour festoyer à l’endroit qui lui est réservé, c’est-à-dire là où le couvert est encore libre tout près de son frère cadet. Certes, un temps de cheminement s’imposera pour le conduire à la beauté de la gratuité et au pardon envers son frère.

C’est toute la différence entre l’accomplissement de la volonté de Dieu par servilité ou par liberté. Quand on apprend que la volonté de Dieu c’est notre bonheur et celui de l’humanité entière, on ne peut que la désirer de tout notre cœur. Dieu tolère mal l’obéissance à la loi considérée comme condition de reconnaissance de sa part. Il n’accepte que les comportements libres auxquels seul l’amour nous donne accès. La loi exige, l’amour attire. Je crois que c’est en ce sens que Saint Augustin disait : «Aime et fais ce que tu veux».

L’être humain est un être faillible. Il lui faut revenir souvent à ses motivations profondes. Quand la peur refait surface, elle nous conduit à la servilité. Je me souviens des mots étonnants de Jean-Paul II dans son allocution lors de sa visite à Québec en 1984. Il a lancé cette recommandation qui fut d’abord une surprise pour moi. : «N’ayez pas peur». J’en suis venu à comprendre que la peur peut jouer un rôle d’invitation à la prudence mais non de motif déterminant dans les décisions.

Après avoir pris toutes les précautions, la peur doit être enrayée pour permettre d’avancer. Quand l’ensemble de nos décisions sont orientés vers le statu quo, il faut se poser des questions sur la place de la peur dans nos vies alors qu’on est fait pour avancer. Ultimement, elle est mauvaise conseillère. Elle nous paralyse. Elle nous fait poser des gestes qui nous gardent toujours dans un état stationnaire. Quand elle est partagée par un grand nombre d’individus, elle retarde l’accomplissement du plan divin ou même nous fait reculer.

La peur nous fait adhérer à une croyance selon laquelle tout changement est dangereux. On devient des adeptes du passé considérant que le présent est un moindre mal et que le futur est à proscrire. Au contraire l’amour nous lance vers l’avant, nous libère du présent. Ce qu’on ne connaît pas encore n’est pas nécessairement moins beau que ce qu’on connaît dans la situation présente.

 

Il n’y a pas de crainte dans l’amour, l’amour parfait bannit la crainte; car la crainte implique un châtiment, et celui qui reste dans la crainte n’a pas atteint la perfection de l’amour.

1 Jean 4, 11-18

 

Mon Dieu est amour

 

Le dieu souvent rejeté par ceux qui se disent athées est aussi celui que je rejette. Il est le dieu qu’on tient responsable de nos malheurs, celui qu’on prie pour que la vie soit meilleure alors qu’on agit comme si on n’avait rien à faire par soi-même pour y arriver. Nous sommes souvent des spectateurs passifs de la condition du monde qui est le nôtre. Nous refusons souvent d’en être au moins un des acteurs.

Ce dieu, c’est celui qui récompense et qui punit, celui qui sanctionne nos faits et gestes. C’est le dieu que rejette Sartre, Camus, Simone de Beauvoir, et d’autres. Ce dieu-là, je refuse qu’il ait un rôle à jouer dans ma vie. Je le renierais s’il existait vraiment. Comme il n’existe pas, je n’en ai que faire.

Si je ne me déclare pas athée, c’est que je crois à un autre Dieu, celui que j’écris avec un «D» majuscule, celui de la gratuité, de l’amour, de la compassion sans condition, sans rétribution. Un Dieu qui aime et non qui châtie ou récompense. Je me dois de changer quelques mots du crédo canonique car je ne crois plus en celui qui viendra juger les vivants et les morts mais plutôt en celui qui viendra accueillir les vivants et les morts.

 

À PROPOS DE MICHEL LABERGE

L’auteur est marié et père de 4 enfants. Depuis sa retraite, il s’intéresse à l’organisme Développement et Paix (D&P) qui ont des partenaires dans plusieurs pays du sud. Il s’est joint à un groupe de huit personnes en 2010 pour aller visiter des partenaires en Bolivie. Michel a vu comment des organismes travaillaient à l’édification d’un monde meilleur, ce que Jésus appelait le Royaume de Dieu. Il a été vice-président de D&P du diocèse de Québec entre 2011 et 2014.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Toutes les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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