Chroniques

Un enfant est né…

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Chroniques

23 décembre 2020

Myriam s’apprête aux derniers préparatifs, dépose dans le berceau les couvertures qu’elle a tissées avec amour pour accueillir l’enfant qui naîtra bientôt. Elle demande à Yôseph de ne pas s’éloigner, car elle pense même que la naissance pourrait avoir lieu cette nuit.

 

Elle s’assied pour se reposer un peu et se met à réfléchir :

 

Que deviendra cet enfant? Il ne sera peut-être pas très fier de ses origines. Notre histoire de famille n’est pas très reluisante. Je m’inscris dans une lignée de femmes dont l’exercice de la sexualité s’est écarté des normes reconnues : Tamar qui devient enceinte de son beau-père; celui-ci avait manqué à son devoir en ne lui accordant pas son troisième fils qui lui aurait assuré une descendance; Rahab, une prostituée qui sauve les deux espions de Josué envoyés en reconnaissance des lieux; Ruth, qui par fidélité et malgré son veuvage accompagne sa belle-mère en terre d’Israël et se donne un mari en se glissant de nuit sous le manteau de Booz; la femme d’Urie, qui fut victime du désir du roi David qui la viola.

 

Myriam retourne dans un passé pas si lointain et se remémore des moments qui ne furent pas faciles :

 

J’étais mariée à Yôsep et je deviens enceinte alors qu’on ne vivait pas encore ensemble. Quelle humiliation, quel secret lourd à porter. Je n’ai parlé de l’événement à personne, car qui m’aurait crue ? Je gardais toutes ces choses dans mon cœur. Yôseph, un peu choqué, a voulu rompre notre engagement en secret pour ne pas me mettre dans l’embarras. J’ai eu beaucoup de peine, car on s’aimait beaucoup, mais je comprenais.

Après mûres réflexions, il accepte qu’on vive ensemble. Yôseph est un homme bon et voulut aussi être un bon père pour cet enfant. Je suis heureuse avec lui malgré tous les jugements que j’ai dû subir. J’espère que mon enfant ne souffrira pas trop de cette situation. Les gens se posent des questions. Mais je suis sûre que Dieu est présent dans les situations d’humiliation : “Il détrône les souverains et élève ceux qu’ils ont piétinés. Les affamés sont comblés; les riches sont congédiés les mains vides… Yahvé  sois dans la vie de mon enfant…”. Yôseph ! j’ai déjà des contractions, va chercher la sage-femme.

 

Entouré de l’amour de Yôseph et des soins de la sage-femme, un beau garçon naît. Avec ses cheveux noirs, son teint basané, il est un vrai Nazaréen.

 

Nous l’appellerons Yéchoua, un nom qui s’inscrit dans la tradition, qu’en penses-tu Yôseph?

 

Devenir quelqu’un à travers sa fragilité

 

On ne sait pas beaucoup de choses sur l’enfance de Yéchoua. Dans l’évangile on dit qu’il grandissait plein de sagesse. J’ose l’imaginer avec un fort caractère, réagissant aux conseils de Myriam. J’adore la représentation de Max Ernst, peintre et sculpteur du 20e siècle : «La Vierge corrigeant l’enfant». J’aime cette peinture qui représente Yéchoua comme un enfant récalcitrant, qui en perd son auréole. Qu’on se rappelle sa fugue lors d’un voyage à Jérusalem. Il a dû apprendre le métier de charpentier de son père adoptif et il a sûrement eu une belle relation avec celui-ci puisque plus tard il appellera Dieu, Abba, papa.

 

«La Vierge corrigeant l’enfant», 1926, Max Ernst.

Le Nazaréen a été confronté aux duretés de la vie dès les débuts de sa vie. Il a sûrement été écorché par les plaisanteries et les questions que les gens se posaient au sujet de ses origines. C’est le fils de Marie. Que peut-il sortir de bon de Nazareth? Il en restera toujours marqué, humilié, marginalisé. Départ d’une vie dans la fragilité et dont la fin sera un drame.

J’aime Yéchoua dans sa vulnérabilité parce que sa souffrance lui a permis de comprendre celle des autres. Ma prière de Noël est celle-ci : «Je veux avoir le courage de marcher sur tes pas, de bâtir avec d’autres un nouveau projet de société où l’égalité existe, où chaque personne est reconnue dans sa dignité et a droit au pain.»

Sa priorité pour les marginalisé-es, sa passion pour la liberté l’ont conduit à la crucifixion. Mais la vie est encore possible : on peut devenir quelqu’un à travers sa fragilité.

 

Pour en savoir plus : Gn 38; Jos 2; Livre de Ruth; 2 Sam 11; Mt 1,3.5.6.16é.

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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