Chroniques

Qui est mon prochain?

photo Marguerite Denhez-Zeitouni

Par Marguerite Denhez-Zeitouni

Chroniques

6 décembre 2021

Crédit illustration : Annie Vallotton

Dans ce texte, je propose une analyse de la parabole du bon Samaritain (Lc 10,30-36) :

 

30 En réponse, Jésus lui dit : «Il y avait un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, quand il fut attaqué par des brigands. Ils lui arrachèrent ses vêtements, le rouèrent de coups et s’en allèrent, le laissant à moitié mort. 31 Or il se trouva qu’un prêtre descendait par le même chemin. Il vit le blessé et, s’en écartant, poursuivit sa route. 32 De même aussi un lévite arriva au même endroit, le vit, et, s’en écartant, poursuivit sa route. 33 Mais un Samaritain qui passait par là arriva près de cet homme. En le voyant, il fut pris de compassion. 34 Il s’approcha de lui, soigna ses plaies avec de l’huile et du vin, et les recouvrit de pansements. Puis, le chargeant sur sa propre mule, il l’emmena dans une auberge où il le soigna de son mieux. 35 Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, les remit à l’aubergiste et lui dit : ‘Prends soin de cet homme, et tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai moi-même quand je repasserai.’ » 36 Et Jésus ajouta : « A ton avis, lequel des trois s’est montré le prochain de l’homme qui avait été victime des brigands ?»

 

 

Aimer son prochain

 

Lorsque le docteur de la Loi demande à Jésus ce qu’il faut faire pour obtenir la vie éternelle, on s’entend qu’il connaît déjà la réponse par cœur : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ton énergie et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même» (Luc 10, 27). Il est légiste et il récite cet extrait au moins deux fois par jour dans sa prière. Dans son phylactère en cuir, qu’il met sur son front, il porte cette même parole. Il appelle Jésus «Maître», car il veut discuter avec un autre théologien. Les docteurs de la Loi adorent ça !

Moi, je suis portée à croire que cette question est une sorte d’introduction à une deuxième question, sa «vraie» question : «Qui est mon prochain?» Il voulait probablement avoir avec Jésus une «joute théologique» comme le font tous les rabbins jusqu’à aujourd’hui.

Pour un Juif, le prochain est le non-ennemi : «Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi» (Mt 5, 43). Dans sa parabole, Jésus ne donne pas de détails sur l’homme blessé. Ce dernier n’a pas d’étiquette. On ne sait pas s’il est Juif, Samaritain, Pharisien, Grec ou Romain. C’est un être anonyme et le choix est tout à fait volontaire de la part de Jésus.

Le chemin de Jérusalem à Jéricho est difficile, il s’agit d’une route déserte et abrupte, où il y a souvent de mauvaises rencontres. Le voyage se fait à pied et les gens préfèrent partir en caravane pour éviter d’être violentés et volés. Malheur à celui qui voyage seul!

 

Trois rencontres

 

D’abord, un prêtre surgit sur le chemin. La fonction du prêtre est essentiellement de faire des sacrifices au Temple, de tuer «liturgiquement» les animaux et de les déposer sur un autel auquel on met le feu. Le yemple de Jérusalem a été comparé à un gigantesque abattoir à ciel ouvert. Le texte ne dit pas si ce prêtre allait ou revenait du Jérusalem. S’il se rendait au Temple pour officier, le contact du sang ou d’un cadavre l’aurait rendu impur pour le service. Il lui était donc strictement défendu de toucher au blessé (Nb 19, 11-22).

Ensuite, on voit apparaître la figure du lévite. Assistant secondaire du prêtre, il est soumis aux mêmes règles que son supérieur. La pratique de sa religion lui a interdit la compassion. Alors, il s’agit d’une obéissance stricte de la Loi, ce que Jésus n’acceptait pas.

Finalement arrive le Samaritain, un citoyen du nord de la Palestine, méprisé des Juifs qui le considéraient comme hérétique. On qualifiait les Samaritains de «sang-mêlé». L’animosité était réciproque. Le fait que Jésus choisisse un Samaritain avait de quoi «scandaliser» les auditeurs, en particulier le docteur de la Loi.

Et c’est le Samaritain qui soigne le blessé avec les moyens du bord et ses provisions. Ainsi, il utilise de l’huile et du vin pour désinfecter ses blessures. Il le place sur sa monture, marche à côté de lui, le mène dans une auberge et paye pour lui.

 

Question retournée

 

Jésus ne répond donc pas directement à la question du docteur de la Loi, mais il l’invite à transformer sa pensée et son cœur. Ainsi, Jésus ne demande pas si le blessé était le «prochain» des trois personnages qui l’ont rencontré, mais plutôt lequel des trois était le «prochain» du blessé.

Le légiste est un Juif pieux, il veut faire les choses comme il faut. Il enseigne aux autres comment agir pour plaire à Dieu. Il veut être en règle, ce qui est facile quand on sait qui est notre prochain. Il aimerait avoir un «portrait-robot» du prochain!

La leçon de Jésus est claire. Il essaie de nous faire comprendre que ce n’est pas moi qui choisis mon prochain, mais plutôt lui qui me choisit et qui fait de moi son prochain. En outre, il arrive lorsqu’on ne l’attend pas et souvent il est celui qui «dérange mon agenda».

 

Vivre l’Évangile à toute heure

 

Il y a quelques années, j’ai été témoin de ce qu’a dit Jésus. Un soir, je me trouvais à bord d’un autobus de la ligne 45, qui roulait sur l’avenue Papineau en direction sud. Il était autour de 17 heures et il faisait un temps épouvantable ! Il «pleuvait à seaux», comme on dit, et il faisait déjà noir! L’autobus était plein de gens fatigués après leur journée de travail.

À l’arrêt de la rue Beaubien, un monsieur aveugle monte dans l’autobus. Un passager lui cède sa place tout près de la chauffeuse. L’homme est inquiet, car il veut descendre au coin de la rue Mont-Royal pour aller au McDonald’s, qui se trouve au coin de Papineau. Plusieurs fois, il demande à la dame qui conduit l’autobus : «Est-ce qu’on est à Mont-Royal?» Patiemment, celle-ci lui répond : «Non, monsieur, je vais vous avertir quand on sera rendus».

Finalement, on arrive à Mont-Royal, mais l’arrêt se trouve à quelques mètres avant le coin de rue. Le McDonald’s est situé de l’autre côté de la rue. La conductrice informe le passager qu’il est arrivé à son arrêt, et il descend. Alors, le monsieur tourne à gauche puis à droite. Il se retourne, il est évident qu’il est déboussolé et il ne sait pas où aller. Alors, la chauffeuse se lève et descend de l’autobus. Elle prend le monsieur par le bras et ils se dirigent ensemble au McDonald’s. Durant 5 minutes environ, nous tous, les gens qui se trouvaient dans l’autobus, avons regardé cette scène en silence. On aurait pu entendre une mouche voler…

J’étais émerveillée et tellement émue! C’était l’Évangile mis en pratique! Arrivée à mon arrêt et avant de descendre, j’ai dit à la chauffeuse : «Madame, vous avez fait ma journée!» Je n’ai jamais oublié cet incident.

Nous devons demander au Seigneur de nous rendre attentifs aux signes. Il y a toujours des gens qui ont besoin de nous; à nous d’accepter de bousculer notre emploi du temps.

 

À PROPOS DE MARGUERITE DENHEZ-ZEITOUNI

Marguerite a deux passions : Dieu et la musique. Détentrice d’un baccalauréat en sciences religieuses, elle a été conseillère pédagogique en enseignement religieux dans les écoles de la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM). Elle a également formé des équipes d’enseignants et fait l’animation pastorale. Actuellement, Marguerite anime des cours bibliques aux adultes et donne des concerts de chant dans les résidences pour retraités.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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