Paroles de dimanches

Période de questions

Photo André Myre

Par André Myre

Paroles de dimanches

3 mai 2023

Crédit photo : Artem Maltsev / Unsplash

Le texte de ce dimanche (Jn 14,1-12) fait partie du «testament» de Jésus, qu’un rédacteur johannique a inséré dans une section située après l’œuvre de l’évangéliste proprement dit (ch. 2-12) et avant le récit de la Passion (ch. 18-19).

Les chapitres 13-17 contiennent des matériaux très diversifiés, transmis dans les Églises johanniques[1].

 

Jn 14,1 Ne soyez pas tout à l’envers, faites confiance à Dieu, et faites-moi confiance. 2 Il y a plusieurs pièces dans la maison de mon Parent, sinon vous aurais-je dit que je m’en allais vous préparer une place ? 3 Si donc je m’en vais et que je vous prépare une place, je reviens et je vous prends près de moi pour que là où moi je suis vous soyez vous aussi. 4 Et là où je me dirige, vous savez le chemin.

5 Thomas lui dit :

Nous ne savons pas où tu te diriges, comment pourrions-nous savoir le chemin ?

6 Jésus lui dit :

C’est moi, l’authentique chemin de vie. Personne ne vient vers le Parent si ce n’est par moi. 7 Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Parent. D’ailleurs, dès maintenant, vous le connaissez et vous l’avez vu.

8 Philippe lui dit :

Seigneur, montre-nous le Parent, nous n’en demandons pas plus.

9 Jésus lui dit :

Tout ce temps avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? Me voir, c’est voir le Parent. Comment peux-tu dire : Montre-nous le Parent ? 10 Tu n’as pas confiance que je suis par le Parent, et que le Parent est par moi ? Les propos que, moi, je vous dis, je ne les parle pas de mon propre chef, c’est le Parent, demeurant en moi, qui fait ses propres œuvres. 11 Faites-moi confiance : je suis par le Parent et le Parent est par moi. Au moins, faites-confiance aux œuvres…

 

12 Écoutez bien ce que je vous dis : Qui a confiance en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais, et il en fera même de plus grandes parce que moi je m’en vais vers le Parent. 13 Et ce que vous demanderez en faisant référence à moi, je le ferai afin que le Parent soit valorisé par le fils. 14 Si vous me demandez quelque chose en faisant référence à moi, moi je le ferai.

 

 

Traduction

 

L’authentique chemin de vie (v 6). Littéralement : «le chemin, la vérité et la vie». L’expression signifie que suivre Jésus, c’est suivre le bon chemin qui conduit à la vie.

Par le Parent, par moi (vv 10.11). La préposition grecque en reproduit ici l’hébreu be et a le sens de «par». Le Parent et l’envoyé se révèlent mutuellement «par» leurs œuvres.

En faisant référence à moi (vv 13.14). Littéralement : «en mon nom». La vie de Jésus est la référence obligée de toute demande.

 

Vérité historique

 

Du Jésus de l’histoire, dans ce texte, il n’y a peut-être que l’appel à la confiance, et les mots «Parent, chemin, œuvres». La concentration sur le «je» de Jésus est tout-à-fait johannique, et tout autant étrangère au mode d’expression de Jésus. Pourtant, ce passage est rempli de «lui». C’est le génie de l’évangéliste que d’avoir réussi à créer un langage à la fois inconnu de Jésus et apte à le dire, tout en étant susceptible d’être réutilisé par ses successeurs.

 

Traditions

 

Le langage est pure tradition johannique. Il n’y a que le mot «seigneur» dans la bouche de Philippe (v 6) qui témoigne de l’influence – en fin de siècle, en Asie Mineure – de la christologie développée par les scribes chrétiens de Jérusalem.

 

Jean

 

La péricope est en trois morceaux, avec un cadre (vv 1-4 et 12-14) qui entoure un échange à trois (vv 5-9). Le cadre et le dialogue s’interprètent mutuellement.

 

1. Selon l’évangéliste, à l’époque de Jésus, le Parent a décidé de visiter la terre en y faisant descendre des cieux l’Humain. Ce personnage traditionnel sert donc à combler la distance qui sépare l’En-haut de l’En-bas. Et Jésus est interprété comme étant délégué par le Parent pour être la face visible de cette trajectoire. L’expression la plus ancienne de cette conception d’origine galiléenne se trouve dans le texte suivant de la source Q :

 

Q 10,22 Mon Parent m’a tout confié, et seul le Parent connaît le fils, tout comme seul le fils connaît le Parent, de même que celui à qui le fils veut bien le dévoiler.

 

Selon la Source et l’évangéliste, Jésus, sachant «tout» ce qu’un être humain peut savoir du Parent, lit la réalité comme lui, pense comme lui, parle comme lui et agit comme lui. La conclusion qu’en tire l’évangéliste, c’est qu’une fois la trajectoire de Jésus terminée, le chemin d’une authentique vie humaine aura été tracé. Et qui aura appris de Jésus à vivre comme lui ressemblera au fils, lequel ressemble au Parent. Toutes les déclarations du cadre – mises dans la bouche de Jésus – sont ancrées dans cette conception :

. faire confiance à Dieu ou à Jésus, c’est tout un (v 1);

. un jour la famille entière sera réunie dans la maison céleste : le Parent, le fils et tous les autres enfants (v 3);

. la maison est assez grande pour accueillir tout le monde (v 2);

. on s’y rend en suivant le chemin tracé par Jésus (v 4), c’est-à-dire en faisant comme lui, et même mieux que lui (v 12);

. le fils, lequel est déjà rendu au bout de sa course (v 12) quand l’évangéliste écrit, continue à «valoriser» son Parent en aidant les siens à discerner leur chemin (vv 13-14).

Implicitement, ce texte est une invitation à garder en tête la lecture qui a été faite de la vie de Jésus dans les chapitres 2-12 de l’évangile, car c’est là que le chemin a été tracé. Il faut aussi noter que l’appel à faire confiance à Jésus est exprimée sans aucune référence à la seigneurie ou à la résurrection. La foi s’y exprime autrement, avec une insistance remarquable sur l’importance du «chemin» à suivre, et des «œuvres» à faire.

 

2. L’échange se présente comme l’équivalent littéraire d’une période de questions-réponses après un exposé.

 

. D’abord une question : c’est quoi ce fameux «chemin» (v 5) ? Réponse : c’est celui qu’on emprunte dans la vie en étant dynamisé par Jésus qui l’imprime en soi (v 6). C’est un chemin par lequel Jésus conduit au Parent, car connaître l’un, c’est connaître l’autre; et avoir vu l’un, c’est avoir vu l’autre (v 7).

. Objection : nous n’avons jamais vu l’Autre (v 8). Réponse : bien sûr que si (v 9). Jésus a été travaillé par le Parent qui l’a fait ce qu’il a été, et a provoqué ce qu’il a dit. En retour, la perception du Parent dans l’Histoire dépend de ce que Jésus a fait et dit de lui (vv 10-11a). Jésus, c’est le Parent, dans la mesure où un être humain peut le signifier.

. Pas sûrs ? Oubliez tout ça, et concentrez-vous sur ce que Jésus a fait dans la vie (les «œuvres» – v 11b).

 

Conclusion de la période de questions : si vous ne voulez rien savoir de Dieu et de Jésus, concentrez-vous sur ce qu’il a fait et voyez que ça mérite d’être reproduit.

 

Ligne de sens

 

1. Il y a un chemin qui conduit de la vie sur terre à l’Ailleurs où se trouve déjà Jésus et où il y a de la place pour tout le monde. Ce chemin – il faut faire confiance – il est possible de le trouver. Il s’agit de regarder Jésus agir, et de chercher, avec son aide, à faire comme lui. C’est la pure foi johannique, à la portée de tout être humain, religieux, agnostique ou athée. Faire comme Jésus mène au devenir d’un authentique être humain : «faites confiance aux œuvres».

2. Pauvres humains que nous sommes, nous ne savons rien de Dieu. Et, au fond, l’évangile ne nous dit rien de lui. Tout ce que nous apprenons, c’est qu’il se rencontre à la base de l’humanité souffrante plutôt qu’en-haut, en dehors des systèmes, en dehors des lieux officiels pour le trouver, là où les humains de pouvoir ne veulent tellement pas le voir qu’ils le mettent à mort s’il s’y trouve. L’évangile ne nous dit pas qui ou ce qu’est Dieu, il se contente d’affirmer qu’un être humain qui fait les œuvres de Jésus témoigne dans sa vie de la valeur de Dieu. C’est paradoxal, mais tout cela a du sens même si personne ne sait ce qu’est ce Sens et si même il existe.

3. Oui, il y a les pandémies meurtrières, les guerres ignobles, la planète dévastée. Mais, sur de petits sentiers peu fréquentés de la planète, cheminent des humains magnifiques – ignorant, bien sûr, qu’ils le sont – qui, faisant de petites choses encore plus grandes que celles de Jésus, sont de la famille de Dieu. Ces gens-là font en sorte, toujours sans le savoir, que le chaos n’arrive pas.

4. Confiance ! un jour, à notre place à la maison, nous saurons.

 

Notes :

 

[1] Ap 2-3 permet de voir dans quelle aire géographique étaient situées les Églises johanniques.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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