Échos d'Évangile

Pas le temps de s’installer

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

12 octobre 2022

Crédit photo : Ying Ge / Unsplash

Quand elle traite de la vie des partisanes et partisans de Jésus, la Source accorde d’abord une grande importance à leur envoi en mission. Pour s’adresser à ses gens, la Source reproduit de vieilles traditions, fondées en Jésus.

On y retrouve des paroles que ce dernier avait adressées aux Douze en les envoyant dans les villages autour de Capharnaüm, lesquelles avaient été ensuite reformulées à l’intention des envoyés itinérants que les communautés chrétiennes dépêchaient dans les environs.

Pour comprendre le texte qui suit, il faut savoir que le but de l’envoi de ces hommes n’était pas de trouver des adeptes pour grossir les rangs des communautés chrétiennes, mais de créer un peu d’espoir chez des gens écrasés par le système. Le Jésus de la Source ne s’intéresse pas à l’Église, mais au monde pour qui l’Église existe. La péricope contient cinq morceaux (Q 10,2-12).

 

Q 10,2 Voici ce qu’il dit à ses partisans.

 

La moisson est abondante, mais il y a pénurie d’ouvriers.

Priez donc le Seigneur de la moisson d’y envoyer des ouvriers.

 

3 Allez ! Voyez ! Je vous envoie comme des agneaux chez les loups :

4 pas de porte-monnaie,

pas de sac à dos,

pas de sandales,

pas de bâton,

pas de «salut !» à personne en chemin.

 

5 Vous entrez dans une maison ? Commencez par lui dire «Paix soit à vous.»

6 S’il se trouve là une femme ou un homme de paix, votre paix l’atteindra.  Sinon, elle vous reviendra.

7 Restez dans la même maison, à manger et boire

ce qu’on vous donne.  L’ouvrier, en effet, a droit à son salaire.  Mais ne passez pas de maison en maison.

 

8 C’est dans une ville que vous entrez et êtes accueillis ?

9 Soignez ses malades et dites-leur bien ceci : Le régime de Dieu vient de se rapprocher de vous.

10 Si vous entrez dans une ville qui refuse de vous recevoir, sortez de là 11 en secouant la poussière de vos pieds.  12 Je vous le dis, le jour vient où Sodome trouvera cela plus supportable que cette ville-là.

 

Analyse

 

  1. La première ligne du v 2 contient le premier morceau. L’intérêt de ces quelques mots vient du fait qu’ils faisaient nécessairement partie d’un récit qui montrait Jésus en train de s’adresser à ses partisans. Dans la Source, essentiellement ensemble de paroles, de telles indications scéniques sont très rares.

 

  1. Le deuxième morceau (v 2bc) étonne un peu. Le fond de scène nous est certes familier, à savoir que le système est une faillite totale, destiné à être remplacé par le régime de Dieu. Mais la parole contient une note rarement explicitée dans l’évangile : «la moisson est abondante», ce qui signifie qu’à la base opprimée de la société, il se trouve beaucoup de gens prêts à accueillir le nouveau Régime. Par contre, les envoyés sont bien peu nombreux et manifestement fort démunis face à l’ampleur de la tâche. Pour qu’elle soit remplie il faut qu’un plus grand qu’eux y mette du sien.

 

  1. Le troisième morceau (vv 3-4) est interpellant. Il est d’abord remarquable que l’acte d’envoi ne contienne aucune parole que les envoyés devraient prononcer; il se contente d’indiquer que le sens de la mission réside dans le lieu où elle sera remplie et dans l’apparence des envoyés. Ceux-ci devront se rendre au cœur du système, en lui signifiant qu’ils partagent d’autres valeurs que les siennes : pas la puissance financière (porte-monnaie), pas l’accumulation de biens (sac à dos), pas la montée dans l’échelle sociale (pieds nus), aucun pouvoir s’exerçant avec violence (bâton), pas d’amitiés puissantes depuis longtemps cultivées (silence).  Des agneaux, absolument pas menaçants. Pourtant, leur simple présence provoquera la violence incontrôlée du système qui cherchera à les dévorer vivants (loups). Sans rien dire, ils auront forcé le système à révéler son vrai visage, et donc à justifier la nécessité de la venue du régime de Dieu.

 

  1. Les deux derniers morceaux (vv 5-7.8-12) supposent un assez long exercice de la mission, et en balisent la pratique. Il faut toujours se souvenir que le but de cette dernière est de créer de l’espoir à la base, mais l’expérience révèle que le système a des esclaves partout.

 

. Commencez donc par souhaiter la paix à tout le monde – vous souvenant que la paix est la conséquence de la justice et non du maintien de l’injustice par la force. Ensuite, si une maison s’oppose à la paix, allez-vous-en doucement ailleurs en reprenant la paix avec vous. Il est normal d’accepter l’hospitalité des gens, mais pas question de faire la fine bouche, ni de passer de maison en maison pour trouver l’endroit où on mange le mieux. Il ne convient pas que l’exercice de la mission crée tensions et jalousies chez les gens.

. Il vous faut vous montrer sensibles à l’entourage des familles chez qui vous résidez. Si la réintégration des malades dans leur milieu se fait bien, tant mieux; cela crée de l’espoir d’un changement de régime. S’il naît des tensions, ne collez pas là, allez-vous-en ailleurs. Cela signifie que le système est bien implanté, et que le régime de Dieu sera refusé par ces gens, qui auront volontairement choisi de rester dans leur malheur.

 

Les missionnaires de la Source se déplacent constamment et voyagent léger.  Ils vivent pour le court terme, et n’ont pas à se préoccuper de bâtiments à entretenir pour les siècles à venir.

Il y a dans cette péricope un ensemble intéressant d’expériences, qui témoignent d’une pratique chrétienne diversifiée et d’une réflexion sur le comportement à adopter suivant les circonstances. Mais tout cela s’est vécu à l’intérieur d’un contexte culturel particulier, avec une vision précise de la foi en Jésus. Tout ne peut évidemment pas être revécu tel quel de nos jours. Mais il se trouve dans cette péricope des interpellations qui méritent notre attention.

 

. Le but de la mission n’est pas de recruter des croyants, mais de créer de l’espoir chez les gens qui ont la vie difficile, même s’il faut pour cela enrager le système. Les «envoyés» d’aujourd’hui se trouvent parmi les militants écologistes, les jeunes qui osent s’opposer à la guerre en Russie, les femmes qui luttent contre l’obligation de porter le voile en Iran, les défenseurs des droits humains en Chine ou en Arabie Saoudite, les partisans de l’ouverture des frontières, etc. Le drame est, que la plupart du temps, tous ces gens aient dû s’envoyer eux-mêmes, n’ayant pas rencontré d’Église pour leur transmettre la mission de Jésus.

. Si tous les partisans et partisanes de Jésus n’ont pas à partir aux quatre coins du monde, tous, néanmoins, se doivent d’être unis dans le partage de l’espérance du régime de Dieu, vivant dans leur milieu en supportent l’agir de ceux et celles qui endurent les pressions du système.

. L’opposition au système, dans l’espérance du régime de Dieu, se manifeste dans la relation qu’on tient à l’argent, dans le lieu où l’on habite, dans les objets dont on est entouré, dans la place qu’on occupe dans l’échelle sociale, dans la façon dont on traite les autres, dans le genre de réseau dont on fait partie. Tout cela «parle» et dit, ou non, la foi, en faisant l’objet d’un discernement permanent, sans que l’on sache jamais si on est «correct».

. Si la Source a raison, l’offre de la mission, vis-à-vis des personnes rencontrées – qu’il s’agisse d’individus ou de groupes –, est l’affaire d’un moment. L’envoyé est de passage, sa parole formule une chance à prendre ou à laisser, sa présence est déconcertante, sans qu’aucun pouvoir ne l’appuie. La rencontre une fois terminée, l’envoyé s’en va ailleurs. Seules quelques personnes, réunies dans un salon ou un sous-sol, se rappellent de lui ou d’elle, et vivent de sa parole. La naissance d’une Église qui accepte sa mission est toute proche de nous : il ne manque qu’une étincelle pour que les «envoyées et envoyés», prenant conscience d’eux-mêmes, décident de prendre la route, pour créer l’espoir et amener partisanes et partisans de Jésus à se reconnaître.

 

Ce que nous avons à apprendre, en lisant nos vieux écrits sacrés, c’est que la fonction des anciennes paroles qui s’y trouvent est de nous ajuster à la Parole qui, jour après jour, se prononce en nous. Et, Celle-là, nous avons intérêt à l’écouter, parce qu’elle est ajustée au monde différent en train de naître sous nos yeux.

 

19e texte de la série La source des paroles de Jésus

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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