Échos d'Évangile

Miracle refusé, miracle reconnu

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Par André Myre

Échos d'Évangile

20 avril 2022

Crédit photo : Rudall30 / iStock

Ici s’ouvre une section dans laquelle la Source traite de l’identité des partisans de Jésus (Q 7,1-35). Elle avait dit, au début de la première section, que Dieu était capable de se servir de pierres pour susciter des enfants à Abraham (Q 3,8); pour parler ici des siens, elle commence par raconter un événement qui illustre qu’on ne peut jamais prendre Dieu pour acquis.

 

Pour ce faire, elle sort de sa bulle. Elle, qui se définit comme une source de paroles, utilise ici un récit. Se servant d’une tradition qui faisait état d’un «miracle», comme on dit, elle évite pourtant d’écrire que Jésus en a fait un. Mettant en scène un «païen», comme on dit aussi, elle le présente comme la plus belle illustration d’un croyant.

Bien que, de son côté, elle n’emploie jamais à son propre compte les titres de «seigneur», de «messie», ou de «fils de Dieu», elle met pourtant le premier dans la bouche de l’interlocuteur de Jésus comme si elle le faisait sien. Situant la rencontre en Palestine occupée, elle fait d’un gradé de la légion romaine, à la fois crainte et haïe, une émule d’un Jésus qu’il situe dans une ligne d’autorité. La Source écrit de façon tout à fait paradoxale parce que la situation l’exige. En effet, traiter de l’identité des partisans de Jésus dans le monde n’est pas chose simple.

(Je me permets ici une parenthèse. Il nous faut nous habituer à lire de tels textes en nous alignant sur la perspective suivie par les auteurs anciens. Ces derniers étaient des intellectuels sophistiqués, qui traitaient de questions complexes en leur cherchant des solutions intelligentes. S’ils étaient là, devant nous, ils seraient horrifiés de voir ce que nous leur faisons souvent dire.)

 

Voici donc comment Q raconte la rencontre entre le militaire romain et le charpentier de Nazareth (Q 7,1-9) :

 

Q 7,1Après avoir dit ces paroles, il entre dans Capharnaüm. Un centurion vient à lui, le supplie :

    – Mon serviteur est malade.

    – Est-ce à moi d’aller le guérir ?

    – 6bSeigneur, lui répond le centurion, qui suis-je pour que tu te déplaces chez moi ? 7Tu n’as qu’une parole à dire et mon serviteur est guéri. 8Moi aussi je me situe dans une ligne d’autorité. J’ai des soldats sous mes ordres. Si je dis à l’un : Va, il y va. Ou à un autre : Viens, il vient. Ou encore à mon esclave : Fais telle chose, il le fait.

9À ces mots, Jésus est émerveillé. Il se tourne vers ceux qui l’accompagnent :

     – Je vous le dis, je n’ai jamais rencontré tant de confiance, même en Israël.

 

La ligne d’autorité et la foi

 

Au début du v 6a, la Source fait référence à ce qu’elle a fait dire à Jésus dans la deuxième section (Q 6,20a-49). Elle passe ensuite à autre chose. Quand Jésus entre à Capharnaüm, il y a toujours une tension, car c’était un centre très important où résidaient en permanence des scribes envoyés pour mettre la Galilée au pas, et pour l’obliger à suivre les façons de faire décrétées par Jérusalem; c’était aussi un centre de taxation des marchandises transportées sur la route commerciale qui traversait la ville; et Hérode Antipas y stationnait des troupes, qui veillaient à ses intérêts. Toutes choses qui n’étaient pas sans contrarier le Nazaréen.

Or, ne voilà-t-il pas qu’arrive un gradé de la légion. «Mon serviteur[1] est malade.» La réponse de Jésus équivaut à : «Ça ne me regarde pas». C’est qu’il en avait plein les bras avec les pauvres et les malades en Israël (Mt 15,24); un de plus, c’était un de trop. L’autre, alors, lui attribue le titre de «seigneur», se situant ainsi sous son autorité. Il faut bien comprendre ce que signifie cette partie du récit. Elle n’a pas en vue l’homme de Nazareth, mais le Jésus ressuscité, établi seigneur, messie et fils de Dieu en vertu du don du souffle de Dieu qui lui a été fait.

Or, ces termes pour dire la foi sont précisément ceux qui ont été développés à Jérusalem, par les scribes chrétiens de là-bas, qui avaient façonné leur foi en Jésus à partir de leur idéologie davidique. Or, en Galilée, et en particulier dans la Source, ce n’est pas ainsi qu’on disait la foi. La Source n’utilise pas les concepts de résurrection et de seigneurie pour exprimer sa foi en Jésus après sa mort. Ici, elle met donc la foi de l’Église de Jérusalem dans la bouche du soldat romain.

Et, en écrivant le long développement sur la ligne d’autorité des vv 6b-8[2], et en disant que Jésus «aussi» était soumis à une autorité supérieure, la Source fait référence à la ligne d’autorité tracée par l’Église de Jérusalem, avec, tout en haut, le Parent (1), puis, au milieu, le fils qu’il a établi seigneur (2) en lui faisant don de son souffle (3), lequel est à l’œuvre tout en bas, dans la communauté[3].

Pour la Source, voilà bien le «miracle», non pas le retour à la santé d’un malade – dont elle ne dit rien –, mais l’accès à la foi d’un militaire étranger, une foi qui se dit en d’autres termes que ceux que la Source elle-même aurait utilisée, et, surtout, une foi qui dépasse celle d’Israël lui-même (v 9).

Il y a là matière à grande réflexion pour les lecteurs et lectrices de la Source : à Jérusalem, ils ont des sœurs et frères croyants qui disent la foi autrement qu’eux; et, dans l’Empire, ils ont des sœurs et frères croyants d’origine étrangère, dont la foi est reconnue par Jésus. Et, par-dessus tout, une telle foi ne se rencontre pas dans leur propre peuple d’Israël. Qui sont-ils donc, et que sont-ils appelés à devenir ? La Source écrit pour baliser les réponses à ces questions.

Il y a aussi là matière à aussi grande réflexion pour tous ceux et celles qui, de nos jours, se veulent partisans de Jésus. Il y a, tout autour, beaucoup d’hommes et de femmes qui luttent courageusement contre la maladie, contre la guerre et contre les changements climatiques. Gens qui, pour dire la foi, se servent de mots non religieux.  Gens de qui Jésus s’émerveille pourtant : «Je vous le dis, je n’ai jamais rencontré tant de confiance, même dans l’Église.» De qui sommes-nous vraiment les frères et les sœurs?

 

Notes :

[1] Le mot grec peut être traduit par «serviteur» ou «enfant».  Alors que Matthieu ne sent pas le besoin de préciser de qui il s’agit (8,5-13), Luc en fait un esclave (7,1-10), et Jean un fils (4,43-54).

[2] La plus longue intervention d’un interlocuteur de Jésus dans les évangiles.

[3] Voir les paroles du Ressuscité en Mt 28,18-19.

 

14e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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