Des femmes inspirantes

Marie, une croyante en cheminement

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

27 avril 2022

Antonello da Messina, Virgin Annunciate, vers 1470, huile sur bois, Galerie Régionale de Sicilie, Palermo

Après avoir fait connaissance avec quelques grandes femmes de l’Ancien Testament, nous verrons, à partir d’ici, certaines de celles dont parle le Nouveau. Il allait de soi de commencer par Myriam (Marie), la mère de Jésus.

 

À noter que le présent article, tout en n’étant pas une présentation scientifique du personnage, n’est pas non plus un cours de Bible 101. Je tiens pour acquis, par exemple, que la naissance de Jésus à Bethléhem, le massacre d’enfants ou la fuite en Égypte ne sont pas des faits historiques.

Ces récits ont pourtant un sens pour la foi. C’est pourquoi il m’apparaît légitime d’imiter les générations passées, et d’imaginer Marie avec des mots qui, tirés de l’évangile ou non, cherchent à la dire d’une façon qui respecte nos sensibilités. Un poème est-il moins vrai qu’un article scientifique? Tout est affaire de genre littéraire.

 

MARIE SE RACONTE

 

Après le drame de ma grossesse, Joseph et moi étions bouleversés et avons souffert des racontars qui ont circulé à mon sujet. Mais, Joseph et moi avons décidé d’élever ensemble cet enfant et de faire de notre mieux pour qu’il devienne quelqu’un de bien.

 

Pas facile, ce garçon-là

 

J’ai dû me rendre à Bethléem pour le recensement alors que l’allais bientôt accoucher. J’ai hésité, mais le goût du défi a été plus fort. Le voyage a été long et comme nous n’avons pas pu trouver de logement, j’ai donné naissance à mon fils dans une étable. J’étais jeune dans le temps et la joie l’a vite emporté sur les fatigues entraînées par cette aventure.

Jésus a été ma consolation jusqu’à l’adolescence où les confrontations ne furent pas faciles. Les conflits que j’ai vécus avec lui à cette époque m’ont demandé beaucoup d’énergie. Je ne le comprenais plus, tant il avait changé. Sa fugue au Temple m’avait beaucoup inquiétée, et, quand je lui ai demandé le pourquoi de sa conduite, il m’a répondu froidement qu’il avait des choses importantes à réaliser, et qu’il devait faire la volonté de son père. J’ai demandé à Joseph de quoi il en était, mais, tout comme moi, il l’ignorait.

Son caractère rugueux me désarçonnait souvent. Il est resté de longues années à la maison, après avoir pris la relève de Joseph comme charpentier du village, sans parler de se marier, contrevenant ainsi à la Loi. Il a refusé toutes celles que nous lui avons présentées. Je me sens encore coupable dans mon rôle de mère. Peut-être n’ai-je pas su comment m’y prendre? Peut-être a-t-il manqué d’encadrement? Depuis que Joseph est mort, je me sens seule et je crois que son père lui manque. Ah si Joseph était là…

Un jour, il a décidé de partir après avoir entendu parler de Jean-Baptiste, un homme contesté, qui dénonçait les injustices provoquées par un système qui produit la pauvreté. Il nous a quittés avec son baluchon, abandonnant son métier, ses frères et sœurs, et moi aussi…

 

Mère d’un «décrocheur»

 

J’aurais voulu lui donner des conseils, un peu de provisions, il m’a répondu qu’il n’avait besoin de rien. «Au jour le jour, Dieu nourrit les oiseaux», c’était sa devise. J’avais un itinérant comme fils; ses frères et sœurs me reprochaient de ne pas l’avoir retenu, et tout le village me mettait son départ sur le dos.

J’ai appris qu’il se promenait dans les rues, se tenant avec des femmes de mœurs douteuses, allant manger chez l’un et chez l’autre, sans avoir d’endroit où dormir. Il parlait contre les institutions et les lois qui étouffent l’être humain.

Il semonçait les Pharisiens, qu’il trouvait trop légalistes. Ceux-ci ripostaient en disant qu’ils n’étaient pas, eux, des fils de la prostitution. Cela m’a fait mal. Je me faisais du souci pour lui, le croyant marqué par les secrets entourant sa naissance. J’aurais tellement aimé qu’il arrête de temps en temps pour me donner de ses nouvelles…

Je pense qu’il m’en voulait pour certains accrochages que nous avons eus. Il m’avait un jour confié qu’il avait un don, et qu’il ne savait pas trop quand ni comment l’utiliser. Je m’en suis souvenue au cours d’une noce à laquelle nous avions été invités. Ces gens étaient pauvres, et, à la fin de la journée, ils étaient humiliés de manquer de vin. Je lui ai donc suggéré d’y voir. Il m’a sèchement répondu de me mêler de mes affaires.

Une autre fois, fatiguée d’entendre les enfants me reprocher le départ de leur aîné, je suis partie avec eux pour lui faire comprendre le bon sens et lui éviter des ennuis. Il fallait qu’il revienne à la maison. Pour toute réponse, il s’est tourné vers ceux et celles qui l’entouraient, leur disant que, désormais, ils étaient sa famille.

Je ne comprenais pas qu’il soit aussi bon pour le pauvre monde et les malades, et si dur pour sa famille. J’ai eu très mal, et très peur aussi, peur que son histoire finisse mal car il disait les choses maladroitement. Un charpentier n’est pas outillé pour avoir raison du pouvoir en place.

 

Et s’il avait raison…

 

Par contre, il y a des choses qu’il disait qui me touchaient beaucoup. Il savait exprimer ce que je gardais dans mon cœur depuis longtemps. Il parlait de liberté, il voulait le bonheur pour tous dès maintenant, et il donnait à Dieu le nom de Père, ce qui montrait que Joseph avait été un bon père pour lui.

Il aimait les enfants, et les femmes se sentaient respectées et valorisées par lui. Il voulait changer une société injuste qui marginalisait des personnes. J’ai toujours pensé, moi aussi, que les situations d’oppression seraient un jour renversées, et que Dieu voulait des êtres humains égaux. Je m’étonnais moi-même en étant portée à croire qu’il avait raison…

 

J’ai compris

 

L’an dernier, quelques jours avant la Pâque, j’ai reçu de bien mauvaises nouvelles. J’étais morte d’inquiétude. On me dit que mon fils était accusé de troubler l’ordre établi, de s’opposer à la présence des Romains chez nous, et qu’il y avait danger d’émeute dans la foule. Je vous épargne ce que j’ai enduré quand j’ai su qu’il avait subi une mort horrible et que je ne le reverrais jamais.

Un de ses amis, Jean, a eu la délicatesse de passer me voir, et de me raconter tout ce qu’il savait. Jamais je n’aurais pu imaginer tout ce qu’il avait fait, son amour pour les petites gens, et son courage pour s’opposer à tous ceux qui nous font du mal. Ça nous a fait du bien à tous les deux d’en parler. Puis un jour – ne me demandez pas ce qui s’est passé, je ne pourrais vous le dire – j’ai compris qu’il était présent au milieu de nous. Depuis, je vois les choses autrement, j’ai enfin compris ce qu’il avait voulu nous dire. Depuis, je me redis souvent la prière de mon père et de ma mère :

 

Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit s’est rempli d’allégresse à cause de Dieu, mon Sauveur, parce qu’il a porté son regard sur sa servante humiliée. Il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles; les affamés, il les a comblés de biens et les riches, il les a renvoyés les mains vides…

[Lc 1,46-54]

 

(Extraits, retouchés, de Denise Caron, Lucie Lépine, Nos sœurs oubliées, les femmes de la Bible, Éditions Paulines, 1990)

 

Le cheminement de Marie dans la foi

 

Croire, ce n’est pas adhérer à des dogmes. Croire c’est s’engager sur un chemin sans fin dans une certaine direction, celui de Jésus. Foi et confiance ont la même racine. Croire c’est faire confiance.

Comme le dit si bien André Myre : quand une mère dit à sa fille de 16 ans qui part pour une soirée avec ses ami-es : «Je te fais confiance», c’est qu’elle est morte d’inquiétude. La foi s’inscrit toujours sur un fond d’incertitude.

Une théologienne que j’admirais beaucoup; Aldina Da Silva, disait quant à elle : «Foi et certitude sont des vases communicants : quand la foi monte, la certitude baisse, et quand la certitude monte, la foi baisse». Avoir la foi, c’est faire confiance en n’étant sûr de rien.

Marie a appris lentement à faire confiance à son fils. Elle a cheminé avec ses questions, ses incompréhensions, et elle a finalement adhéré à la façon d’être de Jésus. Cette grande femme m’invite à prendre la bonne direction, à suivre les chemins de l’évangile, à mon rythme, avec succès et erreurs, en compagnie de ceux et celles que la vie me donne comme frères et sœurs dans la foi.

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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