Suggestions de visionnement

Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan

Par Sophie Archambault

Suggestions de visionnement

24 septembre 2025

Crédit de l’image : Canal +

Sorti en salles en avril 2025, Ken Scott nous livre une comédie dramatique des plus touchantes où se raconte le cheminement d’un garçon vers l’autonomie, porté simultanément par l’amour et la foi maternelle ainsi que par la voix rêveuse de Sylvie Vartan.

Inspiré d’une histoire vécue, Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan suit la vie de Roland Perez, un petit garçon né en 1963 avec un pied bot, ce qui le condamne à ne pas pouvoir se tenir debout, à ne pas pouvoir marcher. Malgré l’avis des médecins qui préconisent un appareillage pour offrir à cet enfant une vie relativement normale, sa mère, Esther, s’oppose farouchement à cette finalité, refusant ce qu’elle perçoit comme une manière d’officialiser le handicap de son fils. Au contraire, pour elle, l’état de Roland est loin d’être une fatalité. «Mon fils, son premier jour d’école, il ira tout seul en marchant», affirme-t-elle.

Mue par «une foi plus vaste que l’océan», Esther, femme têtue et inarrêtable, multiplie les prières à Dieu et consulte de nombreux médecins ‒ qui s’avèrent être plus imposteurs les uns que les autres ‒ dans un seul et unique but : l’accomplissement d’un miracle qui guérirait la malformation de son fils. C’est alors qu’elle rencontre la femme de feu monsieur Vergepoche, un rebouteux spécialisé dans les pieds bots, qui accepte de reproduire les techniques de son mari sur Roland. L’enfant est alors immobilisé jour et nuit pour suivre ce traitement, et finit par trouver une échappatoire à celui-ci dans la voix de la grande chanteuse française Sylvie Vartan. Ses chansons deviennent pour lui, d’une part, une école à part entière, grâce à laquelle il apprend à lire et à écrire, et, d’autre part, une occasion de s’évader de sa réalité, de rêver. Toute la famille, et surtout Esther, part alors à la recherche de chaque disque, chaque affiche, chaque magazine consacré à la chanteuse pour les offrir à Roland afin d’adoucir l’épreuve de son traitement. Un jour, défiant tous les pronostics, le petit garçon ‒ tel un Lazare moderne ‒ se lève et marche. À travers cet exploit se dessine ainsi une ode aux mères qui se donnent tout entières à leur enfant, un hommage à ces femmes dont l’amour engendre lui-même des miracles. Et Roland, que l’on croyait condamné, peut alors goûter à la vie, la vraie. À la fin du film, Roland nous dit :

 

Un britannique a très justement écrit que puisque Dieu ne pouvait être partout, il a donc dû inventer les mères.

 

L’amour maternel : force ou enfermement?

 

Tout au long du film, et jusqu’à l’âge adulte de Roland, Esther appelle toujours ce dernier «mchikpara». Dans la tradition juive, ce mot, qu’une mère réserve à son enfant, n’est pas seulement un signe d’affection, mais une promesse. Lorsque le petit Roland demande à Esther ce que ce terme signifie, elle lui répond simplement : «mchikpara, ça veut dire que je te donne ma vie.»

Depuis la naissance de son garçon jusqu’à son dernier souffle, tout ce qu’Esther aura fait, tout ce qu’elle aura été, n’aura effectivement eu qu’un seul objectif, soit permettre à Roland de vivre pleinement la vie qu’il mérite. Lorsqu’il se met à marcher, Esther l’inscrit d’abord à la meilleure école des enfants du spectacle, avant de comprendre qu’une école de droit lui offrirait un avenir plus solide. Elle l’encourage ensuite, lorsqu’il est devenu adulte, à se rapprocher d’une camarade de classe jusqu’à ce qu’ils se marient et, plus tard, répète sans cesse à ses petits-enfants qu’elle leur trouvera, à eux aussi, des épouses. Elle travaille par la suite comme secrétaire dans la firme où Roland, devenu avocat, se sent contraint de l’employer. Et tandis que, par le plus heureux des hasards, Roland devient l’ami et le conseiller juridique de Sylvie Vartan, Esther multiplie les tentatives ‒ au grand désespoir de son fils ‒ pour avouer à la chanteuse qu’elle a grandement contribué, sans le savoir, à la guérison du pied bot de Roland. Figure résolument double, à la fois d’une bienveillance extrême à l’égard de son fils et d’une autorité possessive qui empêche par moment celui-ci de s’autonomiser, Esther incarne toute l’ambiguïté d’un amour maternel capable de sauver, mais aussi de retenir prisonnier.

 

Dans le film, on a cette première partie avec cette mère protagoniste qui aide son fils à s’affranchir de son handicap, puis on a cette deuxième partie où le fils est le protagoniste, et où il doit cette fois s’affranchir de sa mère. Une mère trop présente, mais une mère qui lui a quand même tout donné.

Ken Scott[1]

 

À travers cet amour maternel absolu, cette dévotion totale et cette abnégation de soi s’exprime simultanément l’immiscion constante d’Esther dans la vie de son fils, une présence qui, avec les années, devient pour Roland aussi intrusive qu’indispensable. Tout l’enjeu du film est là : l’amour inconditionnel d’une mère peut-il être à la fois une bénédiction et un fardeau?

 

Sylvie Vartan comme figure de résilience

 

Alors que le jeune Roland est alité pour le bon déroulement du traitement de son pied bot, la musique de Sylvie Vartan s’impose à lui comme une véritable religion. À cet effet, le théologien allemand Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher écrit que

 

La religion et l’art se côtoient comme deux âmes amies qui n’ont pas encore connaissance de leur parenté intérieure bien qu’elles en aient le même pressentiment.[2]

 

Roland ne manque aucune des apparitions de la chanteuse à la télévision, dévore chaque article publié sur elle, connaît par cœur ses chansons et va même jusqu’à tracer une ligne au crayon sur ses dents pour imiter le diastème caractéristique de son modèle, comme si cela pouvait le rapprocher encore davantage d’elle. La musique de Vartan confère ainsi un véritable sens à cette épreuve traversée par le garçon, lui donnant la résilience nécessaire pour franchir son traitement, une étape décisive vers la guérison.

D’ailleurs, l’artiste qu’est Sylvie Vartan, tout au long du film, incarne véritablement ce qui pousse Roland à se surpasser lui-même, confirmant à quel point l’art, à l’image de la religion, peut tracer des chemins vers la réalisation de soi. En effet, alors qu’il est étudiant, Roland est choisi pour mener une entrevue avec la chanteuse. Terrassé d’abord par l’anxiété, il trouve néanmoins le ressort nécessaire pour aller au-delà de sa peur et réussir l’entretien avec brio. Cette scène illustre parfaitement ce que représente Vartan pour Roland : une figure inspirante lui rappelant qu’il peut franchir ses propres limites et transformer ses faiblesses en force. Mais le moment le plus symbolique est sans doute celui où Sylvie Vartan, devenue l’amie de Roland, vient chanter chez lui à l’occasion de son anniversaire. La boucle est alors bouclée. La chanteuse, autrefois inaccessible et sacrée, performe désormais en chair et en os devant Roland et, surtout, pour Roland, témoignant que ce qui n’était qu’une rêverie d’enfant prend désormais corps dans la réalité d’une vie d’adulte accomplie.

Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan met ainsi véritablement en lumière la complémentarité entre l’amour maternel et la puissance de la musique. Ce sont deux forces qui, chacune à leur manière, permettent à Roland, ultimement, de se tenir debout et d’aller de l’avant.

 

Notes :

 

[1] François Lévesque, «Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan : l’histoire d’une dévotion maternelle», Le Devoir, 2 avril 2025, en ligne, [https://www.ledevoir.com/culture/cinema/862963/critique-cinema-mere-dieu-sylvie-vartan-devotion-maternelle].

[2] Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher, De la religion. Discours aux personnes cultivées d’entre ses mépriseurs, Paris, van Dieren, 2004, p. 94.

 

À PROPOS DE SOPHIE ARCHAMBAULT

Candidate au doctorat en études littéraires à l’UQAM, Sophie lit et écrit pour mieux saisir l’humain, la société, mais surtout le monde dans lequel elle évolue. Oiseau de nuit, c’est en multipliant des lectures nocturnes sur la spiritualité et le phénomène religieux que son intérêt marqué pour le concept du sacré s’est doucement développé. Amoureuse de la nature et de ses dangereuses beautés, de la mythologie, de l’histoire de l’art et de tout ce qui requiert de la créativité, Sophie prend plaisir à se rencontrer elle-même à travers ces passions pour ensuite mieux s’ouvrir au monde qui l’entoure.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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