Des femmes inspirantes

Les femmes vues par Jésus – suite

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

29 juin 2022

Crédit photo : Tim Marshall / Unsplash

Dans la liste des femmes auprès desquelles Jésus est intervenu, le cas de celle qui était atteinte d’une perte de sang depuis douze ans, et surnommée l’hémorroïsse est particulièrement intéressant. Pour une meilleure compréhension des textes évangéliques qui la concernent, il est utile d’avoir en tête les notions de pur et d’impur telles qu’elles étaient conçues à cette époque.

 

Impur ou sacré?

 

La Torah de l’Ancien Testament contenait beaucoup de prescriptions rituelles que les femmes, en raison de leurs contacts fréquents avec le sang, n’étaient pas à même d’observer parfaitement. Sans doute est-ce la raison pour laquelle une enceinte spéciale leur était réservée au Temple, entre les hommes et les Gentils (païens).

Pour nous, pur et impur sont des notions morales, ce n’était pas le cas à l’époque. Dans la législation biblique, par exemple, la femme qui accouche ou qui est menstruée est qualifiée d’impure (Lv 12,1-8; 15,19-32). Accomplir le rite d’ensevelir un mort rendait impur. Certains malades étaient considérés comme impurs parce qu’on les considérait sous l’influence de puissances malsaines (démons ou souffles «impurs»).

Chose pour nous extrêmement surprenante, le contact avec Dieu pouvait aussi rendre impur. À preuve cette rubrique qu’il il y a peu de temps encore, on pouvait lire dans les livres liturgiques catholiques : «Après la communion, le prêtre purifie le calice» (avec un linge appelé «purificatoire»). Comment le calice avait-il pu devenir «impur» au contact du sang du Christ ?

L’usage du terme, suivant une pratique multimillénaire, nous met sur la piste de sa compréhension. Dans le contexte de la célébration du rite de l’eucharistie, le calice avait contenu le «sang» du Christ. Or, le sang, c’est la vie, et la vie est de Dieu. Étant donc entré en contact avec le sacré, le calice avait été sacralisé, et donc interdit d’utilisation dans le monde profane. Pour qu’il redevienne utile dans la vie ordinaire, le calice devait donc être «purifié» du sacré qui l’avait pour ainsi dire contaminé. Une fois le rite accompli, le calice pouvait être remis au sacristain ou au non-prêtre, qui pouvait dès lors le toucher et le ranger (1).

Suivant cette manière de voir, il est évident que la femme qui vient d’accoucher doit absolument être «purifiée», puisqu’étant entrée dans la sphère du sang en donnant la vie, elle a été mise en contact avec Dieu et qu’elle doit donc passer par un rite pour revenir dans la sphère de la vie profane.

Les notions de pur et d’impur n’ont donc rien à voir avec la qualité morale des humains. Elle concerne plutôt des phénomènes que les mentalités anciennes associaient à des forces mystérieuses, bonnes ou mauvaises, dont on ne connaissait pas l’origine et dont il fallait éviter le contact à tout prix de peur de les voir se déchaîner contre soi ou contre la communauté. Vis-à-vis des personnes en état d’impureté, il fallait pratiquer un rite de purification, qui faisait échapper à la contagion de cette puissance, et au grand danger qu’elle comportait (2).

Cette question de pur et d’impur est très complexe car même si, pour le fond, ces notions s’apparentaient aux notions de tabou et de sacré, elles pouvaient parfois prendre un sens moral, même dans les récits bibliques. Il est tentant d’accuser de transgression morale quelqu’un qui n’a transgressé qu’une règle rituelle.

 

L’hémorroïsse (Mc 5,25-34; Lc 8, 43-48; Mt 9, 20-22)

 

Jésus est en route et une foule le suit de très près. Une femme qui souffrait depuis douze ans de règles incessantes s’était glissée dans cette foule. Essayons d’imaginer le quotidien de cette femme : elle est impure depuis douze ans; tout ce qu’elle touche à la maison devient impur comme elle, et donc inutilisable pour les membres de la maisonnée, lesquels deviennent eux-mêmes souillés au contact d’objets mis à sa disposition si elle ne prend pas soin de procéder à leur purification.

C’est une situation intenable, source de grandes tensions. Du fait de sa maladie, elle est donc exclue de la société et complètement isolée, puisque personne ne peut l’approcher, même pas son mari avec qui elle n’a pas de relations maritales depuis douze ans. Sa détresse est aussi accentuée par le fait qu’en plus d’être malade, elle est ruinée financièrement, les médecins lui ayant coûté une fortune, sans la guérir.

Cette femme a donc impérativement besoin de Jésus un jour où il déborde d’activités. Mais même s’il avait du temps à lui consacrer, la demande de guérison est impossible : elle est en état d’impureté. Si Jésus la touche, comme il le fait dans ses gestes de guérison coutumiers, il contracte la souillure.

À défaut de requête explicite, elle opte donc pour la clandestinité. Elle se guérira elle-même à l’insu de tous, même de Jésus. Elle ne touche pas à son corps mais à son manteau et évite ainsi, par son geste délicat, de le contaminer. Elle est confiante que Jésus la guérira sans que celui-ci soit imploré, ni même averti. Soudain, elle sent dans tout son corps qu’elle est guérie pendant que Jésus découvre qui l’a touché. Il lui dit alors : «Ma fille, ta confiance t’a sauvée».

 

Réflexions

 

Le sang menstruel ne semble pas susciter de répugnance chez Jésus. Il est accepté comme une réalité de la vie. Dans le récit, Jésus apparaît libre par rapport au tabou d’impureté qui pèse lourd sur les femmes. En déclarant l’hémorroïsse guérie, Jésus contribue à libérer les autres femmes du poids d’une culture qui se méfie de leur sang et conséquemment de leur sexualité et de leur être, puisqu’il approuve son geste de désobéissance.

Par ailleurs, en appelant cette femme, «ma fille», Jésus la fait entrer dans une collectivité qui l’avait isolée, il la fait sortir de son exclusion sociale et il l’intègre dans une famille dont la vraie parenté est la confiance.

Je nous suggère de remplacer le mot impureté par le mot sacré. La femme, par son sang, touche au sacré et peut donner la vie. Toute la différence du monde pour le quotidien des femmes et le regard qu’on pose sur elles. Aujourd’hui, les inégalités hommes-femmes ne s’expliqueraient-elle pas par la peur qu’inspire le pouvoir des femmes à donner la vie et à en prendre soin ?

Une dernière ligne de réflexion. Dans l’Ancien Testament, les prêtres, en particulier, devaient veiller très soigneusement à éviter tout contact avec le sang quand approchait le temps où ils devaient officier en faveur de la communauté. Il n’est pas exagéré de voir là l’origine du refus d’accepter l’accession des femmes au sacerdoce. Et c’est un grand paradoxe, puisque les femmes se voient interdire l’accès au sacré, elles qui l’ont dans le sang…

 

Notes :

 

1) Les personnes les plus âgées se souviennent sûrement du temps où, à genoux, les mains sous le long tissu blanc qui recouvrait la balustrade, ils devaient tirer la langue pour qu’y soit déposée l’hostie. Il leur était interdit de toucher cette dernière, et tout un rituel était prévu au cas où, ayant échappé à la vigilance de l’enfant de chœur qui tenait la patène sous le menton des communiants, l’hostie tomberait par terre. On ne touchait pas au sacré.

 

2) L’illustration par excellence du danger qu’il y a à toucher le sacré est le cas de Ouzza, chargé d’accompagner l’arche d’alliance au cours d’un de ses déplacements, qui s’est précipité pour la redresser alors qu’elle menaçait de basculer. Bonne volonté ou pas, il est tombé raide mort (1 Chr 13,9-12).

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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