Échos d'Évangile

L’enjeu de la foi

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

15 janvier 2025

Crédit photo : Raden Prasetya / Unsplash

Le contexte dans lequel se situe la péricope qui suit (Q 14,26-27; 17,33), s’il est tout à fait désordonné, n’en est pas moins plein d’intérêt. Il se présente comme un tableau impressionniste fait de toutes sortes de petites touches qui, à distance, disent la vie.

Le thème des lignes qui suivent est précisément la vie des partisanes et partisans de Jésus. Les trois premières sont bâties sur le même modèle : quoi faire pour devenir partisan? Sont d’abord traités les relations familiales (14,26), puis celles avec la société en général (v 27). Suit un élargissement de la perspective sur la conséquence d’une telle vie (17,33). Le langage des deux premières lignes est typiquement sémitique : on y parle de «haïr» les membres de sa famille, au sens de leur préférer Jésus :

 

Q 14,26 Il faut me préférer à son père et à sa mère

pour être un de mes partisans.

Il faut me préférer à son fils et à sa fille

pour être un de mes partisans.

27 Il faut prendre sa croix et se mettre à ma suite

pour être un de mes partisans.

17,33 Qui aura trouvé sa vie la perdra,

et qui aura perdu sa vie à cause de moi la trouvera.

 

Ce qui est frappant dans cette péricope, tout en étant typique de la tradition évangélique dans son ensemble, c’est d’abord le ton. L’atmosphère est sombre, le contexte familial et social, tendu. En gros, la Bonne Nouvelle est mal reçue. Il fallait s’y attendre, compte tenu du sort du porteur initial de cette dernière. Mais il faut y insister vu la tentation de gommer cette réalité. Non! les familles des partisans et partisanes de Jésus n’étaient pas heureuses des choix de vie de leurs enfants ou de leurs parents. Et l’entourage non plus. Et parents et enfants le faisaient savoir, parfois rudement. Et les connaissances, la famille élargie, les amis, les voisins ne manquaient pas de donner leur avis, défavorable la plupart du temps. Et quand tout cela remontait les paliers sociaux jusqu’aux autorités, s’ensuivaient convocations et remontrances. Endurer tout cela, jour après jour, c’était ce que le scribe appelle «prendre sa croix» à la suite de Jésus.

Bien sûr, le texte n’explicite pas le contenu des reproches. Il est rédigé de façon à les signifier de façon générale. Mais dans le contexte de ces familles et de ces sociétés orientales, on l’imagine facilement. On ne met pas en danger l’honneur de la famille. On ne fait rien qui puisse attirer la désapprobation de l’entourage. On obéit à ses parents, on prend la place qu’ils assignent à leurs enfants dans la société, et on épouse celui ou celle qu’ils ont cru bon de choisir. On prend soin du patrimoine, et on épargne pour les enfants. On respecte la tradition et les sages chargés de la véhiculer. Et on ne fait surtout rien qui puisse alerter les autorités.

Tout cela permet de comprendre ce que signifiait, à l’époque, «avoir la foi». C’était une façon de vivre, un ensemble de choix qui distinguaient les partisanes et partisans de Jésus par rapport à ceux de leur famille, de leur entourage, de la société en général. Le chemin de la Bonne Nouvelle est par essence tensiogène parce qu’il trace une manière distincte de définir la vie humaine en société, manière qui a la saveur amère d’un jugement négatif puisqu’elle est orientée vers le changement radical de système que sera le régime de Dieu.

En deux lignes, le verset de conclusion dit l’enjeu de la foi : c’est moi, ma vie, la sorte d’être humain que je suis en train de devenir. Si je décide de m’investir totalement dans la voie tracée par le système – familial, social, communautaire, religieux –, je ne me trouverai jamais comme être humain. Par contre, si je perds ma vie à ses yeux, je vais me rencontrer et mourir fier de moi, en me disant que, pendant ma vie, j’aurai eu la foi… En tout cas, c’est ce que dit l’évangile, mais le système pense autrement. Pour savoir qui a raison, je n’ai qu’à regarder les partisanes et partisans de Jésus que je connais, aux côtés des serviteurs et servantes du système. Je veux ressembler à qui?

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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