Suggestions de visionnement

Le jardin secret

Par Sophie Archambault

Suggestions de visionnement

12 mars 2025

Image prise du site https://www.rottentomatoes.com/

Sorti en 1993, ce un film est inspiré du roman éponyme de Frances Hodgson Burnett, publié au début du XXe siècle. Il raconte l’histoire d’un jardin oublié qui, en retrouvant sa splendeur grâce aux soins des personnages, devient le symbole de la guérison tant désirée de ceux-ci.

Mary Lennox a grandi toute sa vie en Inde et a été élevée par des parents terriblement absents et indifférents, faisant d’elle une jeune fille froide, solitaire et repliée sur elle-même. Un jour, une catastrophe survient : un tremblement de terre prend d’assaut le territoire indien, et la jeune fille se retrouve du jour au lendemain sans maison, sans parents, sans repères. Mary est alors envoyée vivre chez son oncle, lord Archibald Craven, et elle se retrouve à habiter dans un immense manoir du nom de Misselthwaite, situé au cœur des landes anglaises. La fillette découvre un domaine tout droit sorti d’un roman gothique d’Émily Brontë : c’est un lieu labyrinthique aux innombrables couloirs, perdu dans l’immensité des landes, où chaque porte semble la séparer d’un mystère.

Rapidement, elle se heurte à l’autorité de la gouvernante du manoir, madame Medlock, qui lui interdit catégoriquement de circuler librement sur le domaine. Pourtant, l’enfant refuse de se plier aux règles. C’est au fil de ses déambulations qu’elle révèle au grand jour les secrets dissimulés dans les ombres du manoir Misselthwaite. Elle y fait la découverte d’un jardin mystérieux, laissé à l’abandon depuis la mort tragique de la maîtresse des lieux dix ans plus tôt ‒ la femme de Craven, qui est aussi la sœur jumelle de la mère de Mary ‒, et également l’existence de Colin, son cousin malade et reclus dans une chambre du manoir, caché des regards et du monde extérieur.

 

Le manoir Misselthwaite : un lieu hanté par le passé

 

Lord Archibald Craven ne s’est jamais remis de la mort de sa femme. Rongé par le deuil, il en vient à négliger son fils, Colin, sur qui il projette ses angoisses. Convaincu que l’enfant est malade et condamné, il préfère garder ses distances plutôt que de s’attacher davantage à lui et risquer une nouvelle perte. C’est pourquoi il n’est presque jamais au manoir. Mais en voulant se protéger du chagrin, Craven enferme surtout son propre fils dans une existence recluse et oppressante, le poussant paradoxalement vers son trépas. En rencontrant Colin pour la première fois, Mary découvre à cet effet un enfant à mi-chemin entre la vie et la mort, incapable de marcher, seul, alité, privé de lumière et d’air frais ainsi que terrifié à l’idée que le moindre courant d’air ou la moindre particule venue de l’extérieur puisse aggraver son état. Or, ce n’est pas uniquement le jeune Colin qui paye le prix de la mort de sa mère. Partout dans le manoir plane encore l’aura de la femme décédée, et chaque personnage, désirant à tout prix éviter à nouveau que la faucheuse ne vienne enlever un membre de la famille Craven, se laisse entièrement contrôler par cette peur.

Le manoir est donc véritablement marqué par une immobilité symbolique : la mort de la femme de Craven y a figé le temps. L’atmosphère pesante qui y règne laisse bien entrevoir les traces d’un passé qui refuse de disparaître. Cela est d’ailleurs représenté par le jardin que Mary découvre. Abandonné, interdit, laissé pour mort, il incarne une métaphore de ces souvenirs du passé qui persistent néanmoins. La mémoire de la femme disparue est effectivement imprégnée dans chaque recoin du domaine, empêchant les gens qui y vivent d’évoluer et de se régénérer, de finalement tourner la page. Le manoir Misselthwaite est donc réellement hanté. Non pas par des fantômes qui errent dans les couloirs de la demeure, mais bien par le poids des souvenirs, du chagrin et des non-dits.

 

Le jardin : lieu de la réconciliation avec la vie

 

Mary, elle, reste tout sauf passive devant l’atmosphère étouffante du manoir. C’est ainsi qu’elle amorce un mouvement salvateur : elle s’aventure hors de celui-ci pour en savoir plus sur le jardin qui appartenait autrefois à la maîtresse de Misselthwaite. Là-bas, elle fait la rencontre du jeune fermier du manoir, Dicken, avec qui elle apprend à redonner vie au jardin. Dès lors, chaque jour, Mary et son nouvel ami s’y rencontrent pour y faire renaître la vie, semant des graines de toutes sortes, prenant soin des animaux et s’occupant des fleurs qui commencent peu à peu à redonner au jardin ses couleurs d’antan. Le manoir, lieu clos et triste, contraste ainsi de plus en plus avec le jardin, espace de tous les possibles où fleurit maintenant la vie dans toute sa puissance. En s’immergeant dans la nature, Mary s’ouvre d’autant plus à la possibilité du changement, amorçant ainsi un processus de guérison intérieure : prendre soin du jardin, c’est aussi, par extension, prendre soin d’elle en réparant les blessures laissées par l’ignorance de ses parents.

Au fil des jours, le lien entre Mary et le jardin grandit, transformant aussi son regard sur ce qui l’entoure. Plus attentive, elle passe davantage de temps avec Colin. En l’observant, elle comprend que sa faiblesse vient moins d’une maladie que de l’isolement et de la peur. Déterminée à lui prouver qu’il peut guérir, elle l’emmène un jour au jardin avec l’aide de Dicken. Ce premier pas hors du manoir marque une rupture : Colin découvre un monde vibrant, loin de ses angoisses. Là, entouré de ses amis, il tente de se lever et, contre toute attente, y parvient. Peu à peu, il marche et retrouve confiance en ses capacités. À l’image du jardin qui reprend vie, Colin connaît une véritable renaissance. C’est que, tous ensemble, en s’occupant du jardin, ils prennent, pour reprendre les mots de la philosophe Sandra Laugier sur le care environnemental, «conscience de ce qui importe, ce qui compte pour [eux] — à la fois de ce dont [ils] [se] souci[ent], et de ce dont [ils] dépend[ent].[1]» Ils apprennent à prendre soin de leur environnement, à interagir de manière plus bienveillante avec celui-ci, et, par extension, avec eux-mêmes et les autres.

 

Le jardin secret est toujours ouvert maintenant. Ouvert et éveillé et vivant. […] Si on regarde de la bonne manière, on peut voir que le monde entier est un jardin, nous dit Mary.

 

En ce sens, le jardin, à la fin du film, n’est plus seulement un lieu de secret et de deuil, mais un espace d’ouverture et de vie. La mémoire de la mère de Colin, associée à ce jardin, cesse ainsi progressivement d’être un poids paralysant pour devenir une présence bienveillante. Craven, qui s’était enfermé dans son chagrin au point de fuir son propre fils, retrouve d’ailleurs enfin Colin dans le jardin. Cette rencontre achève le cycle de la guérison de la famille Craven. Ce n’est pas anodin si le père de Colin, après avoir vu son fils sur ses jambes, se tourne vers la fillette pour lui murmurer, plein de reconnaissance : «Tu nous as ramenés à la vie, Mary.»

Ainsi, Le Jardin secret n’est pas seulement un récit sur la découverte d’un lieu caché, mais un témoignage de la manière dont l’humain peut transformer son rapport à la mort en prenant soin de ce qu’il l’entoure, soit les autres et le monde.

 

Note :

 

[1] Sandra Laugier, «Care, environnement et éthique globale», Cahiers du Genre, n° 59, 2015, p. 130. L’éthique du care environnemental est une approche qui propose de penser l’écologie en mettant l’accent sur l’attention, la responsabilité et la vulnérabilité des êtres vivants et des écosystèmes. Le care environnemental se base sur le fait que les humains et la nature sont interdépendants.

 

À PROPOS DE SOPHIE ARCHAMBAULT

Candidate au doctorat en études littéraires à l’UQAM, Sophie lit et écrit pour mieux saisir l’humain, la société, mais surtout le monde dans lequel elle évolue. Oiseau de nuit, c’est en multipliant des lectures nocturnes sur la spiritualité et le phénomène religieux que son intérêt marqué pour le concept du sacré s’est doucement développé. Amoureuse de la nature et de ses dangereuses beautés, de la mythologie, de l’histoire de l’art et de tout ce qui requiert de la créativité, Sophie prend plaisir à se rencontrer elle-même à travers ces passions pour ensuite mieux s’ouvrir au monde qui l’entoure.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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