Chroniques

La valeur de la différence

Par Denis Gauthier et Pierre Brulé

Chroniques

19 avril 2023

Crédit photo : Vackground / Unsplash

Reconnaître l’autre comme différent de soi et de nos attentes constitue réellement un pilier central dans nos relations humaines. L’autre a son histoire personnelle constituée de myriades d’expériences uniques.

Au premier contact, ou en cours de route, nous nous faisons une première impression, voire une image de l’autre qui peut dominer, ou se transformer en préjugé sans fondement. Et pourtant, nous sommes en face d’une partie de son être, qui nous plaît ou non. C’est l’œuvre de la perception : nous structurons l’autre à notre façon. Et nous agissons de la même façon avec nos propres expériences. Ainsi, nous pouvons dire «oui», puis nous enfoncer dans le regret, ou dire «non» et nous enliser dans la culpabilité. Cette culpabilité, il est fort possible que nous allions la projeter envers une autre personne.

Le phénomène de la perception tire son origine dans la différence entre la réalité telle quelle et la façon dont nous la captons avec nos sens. Ceux-ci sont peu louangés comparativement à notre intelligence et pourtant sans eux, nous ne serions qu’un être biologique en évolution, sans possibilité de contact avec le monde extérieur, voire la réalité elle-même. Grâce à nos sens, nous décodons la réalité à notre façon, nous la rendons subjective. Le tout se fait généralement de façon automatique. C’est par le pouvoir de notre conscience que nous pouvons en saisir les différences ou demeurer fixés sur un point de vue.

 

L’ambiguïté de la perception

 

La figure très connue de Boring illustre bien le phénomène de la perception, car certaines personnes voient une jeune fille et d’autres identifient les traits d’une femme âgée. Selon le point de notre concentration, on voit l’une ou l’autre. Nous ne pouvons pas voir les deux en même temps alors que les deux font partie de la même figure. Ainsi, cette figure démontre que ce que nous percevons n’est qu’une partie de la réalité elle-même.

 

Dessin de Willam Ely Hill fait en 1915 et qui porte le titre Ma femme et ma belle-mère. Lors de sa publication, une légende mentionnait : «Les deux se trouvent dans l’image – trouvez-les».

 

Imaginons une personne devant un arbre qui attire agréablement son attention, puis le contourne et y voit un insecte qui la fait fuir, telle une araignée dont elle a peur. Imaginons maintenant cette même personne qui rencontre une autre personne pour la première fois. Avant de lui parler, son impression est très agréable, mais après avoir échangé quelques phrases, cette première impression change et devient négative. Ou bien, pensons au cas d’un couple dont l’un des partenaires reproche à l’autre d’être comme sa mère ou son père, une remarque qui peut s’avérer être de la rétroaction inspirante ou un jugement très biaisé !

Plaçons maintenant la figure de Boring devant un groupe de douze personnes : six voient la vieille femme et les six autres, la jeune. Prenons deux individus, l’un voyant la jeune et l’autre la vieille. Ils se confrontent, se campent sur leurs positions et commencent à se juger en s’accusant mutuellement : «tu es sexuellement obsédé de voir une jeune» ou «tu es malade de voir une vieille». Si le débat s’envenime, ils ne pourront pas arriver à s’entraider pour voir les deux «vérités». À l’inverse, s’ils se concentrent sur la figure elle-même (la réalité telle quelle), en décrivant précisément ce qu’ils voient pour favoriser des changements de point de vue et voir l’autre partie de la réalité, le visage auparavant caché devient alors visible.

Pour que ce changement s’opère, il faut revenir à la valeur du tout et du détail. En regardant la figure, une forme globale se structure spontanément, puis par le détail et le changement d’attention, une nouvelle structure peut émerger. La personne verra ainsi la jeune ou la vieille femme. Une fois que l’une est captée, l’autre demeure inaperçue. Pour permettre à l’autre profil d’apparaître, il faut changer le point de notre concentration tout en mettant en doute certains détails. Par ce changement, nous prenons de la distance, nous nous rendons disponibles, nous nous ouvrons intérieurement, nous regardons différemment et cherchons à voir autrement. Nous demeurons ouverts à quelque chose de nouveau.

Dans notre vie de tous les jours, nous pouvons rapidement buter sur notre perception et juger. Par exemple, lors d’un différend qui s’intensifie avec l’autre, il est possible de se braquer sur une position, ce qui dégénérera en une escalade. L’intensité ne peut pas être illimitée. À un niveau de surcharge de tension électrique, il y a le point irréversible et le courant se coupe. De même, dans les relations humaines il existe une zone limite et nous devons apprendre à mettre des crans d’arrêt, à «ne pas peser sur le bouton rouge». Ceci permet, par la voie du pouvoir de notre conscience, de prendre un recul pour capter d’autres détails et envisager différemment le point de vue de l’autre sans avoir à modifier ou à rejeter le sien.

Or, cette zone de changement est très mince. En nous éloignant du centre de pouvoir, notre position peut se métamorphoser en fixation et en expression explosive, puis en action ou expression, bête et regrettable. Il est alors très important d’apprendre à ressentir son intensité émotive pour éviter cette escalade en soi-même et apprendre à la gérer avant que la situation dérape. Sinon, on devient impulsif, on ne cherche plus à voir l’autre autrement, à en assumer la différence. On ne cherche qu’à défendre une position, la nôtre, avec la conviction d’avoir raison, en attaquant, en jugeant, en accusant, en mettant la faute sur l’autre.

Un tel exercice ne s’avère pas que psychique, mais aussi spirituel. Il ne peut que nous aider à développer nos capacités de bienveillance envers l’autre et celles d’indulgence envers soi-même, pour ne pas nous souder à nos préjugements et ne pas alimenter ces dangereuses tendances à la jalousie, à la mesquinerie, voire au mépris et à la haine.

 

À PROPOS DE DENIS GAUTHIER ET PIERRE BRULÉ

Denis est philosophe et Pierre, psychologue. Tous les deux sont détenteurs d’un MBA des universités québécoises. Ils se sont connus durant un cours en philosophie à l’Université du Québec à Trois-Rivières et ils ont co-écrit le livre Se voir autrement. La conscience et son pouvoir. Aimant la nature, l’humain et les défis, ils se lancent dans l’aventure d’écrire ensemble cette chronique spirituelle.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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