Échos d'Évangile

La Source Q, Jean et Jésus

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Par André Myre

Échos d'Évangile

17 mars 2021

Crédit photo : rudall30 / iStock

Peut-être la version de la Source Q (1) dont disposaient Matthieu et Luc avait-elle un titre. Si c’était le cas, ni l’un ni l’autre ne pouvaient le conserver, puisqu’ils avaient décidé d’en disperser le contenu dans leur évangile.

 

À son début la Source indique qu’elle entend parler de Jean, le Baptiseur (2) :

Q 3,2b La parole de Dieu s’adresse à Jean,

3a et toute la région du Jourdain en subit le contrecoup.

7 Aux gens qui viennent à lui pour qu’il les plonge dans l’eau, il lance un avertissement.

 

Les premiers mots de la Source sont significatifs encore aujourd’hui. Un être humain ne se fait pas seul. Il arrive nécessairement dans l’Histoire en marche. Et il est le produit, conscient ou non, d’une série de rencontres et d’influences. En ce sens, Jésus est inséparable de Jean. Sans Jean, il n’y aurait pas eu de Jésus tel que nous le connaissons. La «parole de Dieu» ne l’aurait pas interpellé comme elle l’a fait, et il serait mort, charpentier de son village, à Nazareth.

Le texte présuppose que les lectrices et lecteurs connaissent Jean. C’était un critique virulent de sa société, qui a fini par inquiéter grandement les autorités. Dans ses Antiquités Juives, rédigées à la fin du premier siècle, l’écrivain judéen(3) Flavius Josèphe avait ceci à dire de Jean :

 

Jean, surnommé le Baptiste, a été mis à mort par Hérode [Antipas] malgré qu’il ait été un homme bon, qui avait exhorté les Judéens à mener des vies correctes, à pratiquer la justice les uns envers les autres et la piété envers Dieu et, ainsi, à s’unir dans le baptême. Il s’agissait pour lui d’une condition nécessaire pour que le baptême ait du sens aux yeux de Dieu. […] Quand il y en eut beaucoup d’autres à se joindre aux foules qui l’entouraient, Hérode s’inquiéta. Une éloquence qui avait tant d’effet sur les gens pouvait provoquer une forme ou l’autre de révolte, car on aurait dit qu’ils auraient pu faire n’importe quoi à la suite de Jean. Hérode décida donc qu’il valait mieux frapper le premier et se débarrasser de lui avant que son activité ait causé un soulèvement, que d’attendre qu’arrive une rébellion, se retrouver dans une situation difficile et découvrir ainsi son erreur. […] À cause des soupçons d’Hérode, Jean fut donc amené enchaîné à Machéronte […] et mis à mort sur place (4).

 

Comprendre Jean et Jésus

 

Ce texte est extrêmement important pour comprendre et Jean, et Jésus, et la Source et les évangiles. Le Jean dont on parle est celui à propos de qui Jésus va dire, plus loin dans la Source, que «parmi les enfants des femmes, Jean est le plus grand» (Q 7,28). Dès le début de la Source, il faut comprendre que Jean et Jésus ne sont pas à définir étroitement comme des personnages religieux.

Ni l’un ni l’autre n’avaient la fondation d’une religion en tête. Ni l’un ni l’autre ne voient d’intérêt à propager leur monde intérieur. Certes, Dieu est important pour eux. Mais il ne l’est pas en lui-même. Il l’est en tant qu’il les motive à œuvrer dans leur société pour en montrer les failles, et annoncer le besoin d’un autre régime de vie (le «règne de Dieu» pour Jésus).

Dans la dernière ligne du texte cité plus haut, il est dit que Jean «plonge dans l’eau» ceux qui viennent à lui. Cette plongée (d’ordinaire traduite par le verbe «baptiser») signifiait que celles et ceux qui s’y soumettaient faisaient leur la vision des choses que Jean leur proposait. Ils acceptaient donc de se faire faire symboliquement violence par lui : eux, qui avaient pactisé avec les gens influents qui opprimaient le pauvre monde pour leur profit, Jean les ensevelissait sous l’eau pour qu’ils en ressortent décidés à vivre autrement.

 

Vivre autrement, un menace pour le système

 

Et c’était bien ce qui inquiétait Hérode Antipas et les autres. Leur système était menacé. Mieux valait donc ne pas prendre de chance, et se débarrasser de Jean avant d’avoir un gros problème sur les bras. Plus tard, la Cour suprême de Judée, grand-prêtre, en tête, va prendre la même décision vis-à-vis de Jésus, et la fera exécuter par Pilate.

À presque 2000 ans de distance, il est intéressant de lire la Source pour voir comment des lettrés chrétiens, qui avaient été en contact avec des partisans anonymes de Jésus, formulaient ce que voulait dire la décision de suivre Jésus, lequel avait décidé de suivre Jean, son maître. Pourquoi prendre le parti de se rendre la vie difficile ?

Dans le prochain texte, nous verrons pourquoi «Colère» est un des premiers mots qui vient à l’esprit de la Source, quand elle traite d’un Jean interpellé par la «parole de Dieu». L’évangile que l’on nous présente couramment ne nous a pas habitués à ça…

 

Références :
1) Voir la présentation de la Source dans les textes du 13 janvier et du 17 février.
2) Q suit la numérotation des versets de Luc. Le passage parallèle (//) du texte qui suit se trouve en Mt 3,1.7.
3) Les textes anciens ne parlent pas de « juifs », au sens religieux dans lequel le mot est utilisé de nos jours, mais de « Judéens » au sens géographique et ethnique du terme. Pour les étrangers, même les Galiléens étaient appelés Judéens.
4) AJ XVIII,116-119. Toutes les traductions de ces textes sont de moi.

 

3e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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