Crédit photo : Mark Fletcher-Brown / Unsplash
Le présent texte poursuit la présentation de la source Q, un document dont Matthieu et Luc se sont servis pour rédiger leur évangile respectif.
Le fait que la Source soit le fruit d’une hypothèse scientifique ne devrait nullement la discréditer aux yeux de la communauté de foi. Au contraire, il faut se réjouir que le développement des sciences exégétiques ait permis la découverte d’un tel document, susceptible de répondre à des interrogations et des besoins nouveaux.
Étendue de la Source
Nous ne sommes pas sûrs de posséder le début exact de la Source, ni la fin. Quant à son contenu, bien sûr que nous possédons les textes que Matthieu et Luc ont en commun. Mais rien ne permet d’affirmer qu’ils ont tous les deux intégré à leur œuvre l’ensemble des textes de la version du document à leur disposition. Il est donc tout à fait possible qu’il se trouve, chez l’un, une ou plusieurs péricopes de la Source que l’autre a décidé de ne pas inclure dans son évangile, diminuant ainsi le nombre de textes que nous pouvons, avec confiance, attribuer à Q.
Une Source de paroles
Q est essentiellement une suite de paroles (1). Pour rédiger leur évangile, Matthieu et Luc se sont donc servis de Marc, un document surtout composé de récits, et de Q, un texte surtout fait de paroles.
L’ordre des péricopes
La Source est un document structuré, et non pas une mise bout à bout de paroles éparses. Le plan des chapitres 1-11 est cependant plus facile à découvrir que celui de12-22. Il est toutefois possible que l’impression de désorganisation soit l’effet de l’utilisation que Matthieu et Luc ont fait de la Source. En règle générale, Matthieu semble celui qui a le mieux conservé le mot-à-mot du document original, tandis que Luc paraît le plus fidèle à l’ordre des péricopes. C’est pourquoi, dans la recherche exégétique, les références à la Source suivent le déroulement de l’évangile de Luc. Par exemple, dans la Source, le Notre Père se trouve en Q 11,2-4; pour le trouver dans une bible, il faut donc aller voir Luc 11,2-4 (2).
La Source et «cette génération»
À l’intérieur du document, «cette génération» est interpellée très durement. La Source s’attaque férocement au système que les humains ont monté de toute pièce au profit des grands et au détriment des petits. Ce système traverse l’histoire, il est de toujours et, sous un nom ou l’autre, il existe de génération en génération. Pour chaque être humain, il est «cette génération» de maintenant, qui, comme celle de la Source, se refuse farouchement à changer. Face à lui, la Source se présente comme l’électro-choc de la dernière chance.
La Source fait-elle connaître Jésus ?
La Source se surpasse dans le portrait global qu’elle donne de l’interpellation lancée par le Nazaréen. Elle lui a conservé sa fougue, son radicalisme, ses jugements à l’emporte-pièce, son espérance à toute épreuve, sa colère sourde, son orientation sans faille. Le texte n’est pas rédigé pour qu’on réfléchisse à l’infini sur la proximité métaphysique entre un homme et son Dieu, mais dans l’intention, qu’une fois reconnue la perversité des systèmes humains qui traversent les âges, l’espérance soit possible. Les grands se trompent, les petits ont raison.
La Source est-elle chrétienne ?
La dernière question, à la fois délicate et cruciale, concerne l’identité de la Source. S’agit-il d’un document «chrétien» ? La Source représente une façon originale, inédite, d’avoir foi en Jésus. Son existence même témoigne du fait qu’à l’origine la foi s’est dite de plusieurs façons. La Source a l’art – influence du Nazaréen, serais-je porté à dire – de relativiser tout ce qui est système de pensée, organisation, institution, culte, rite.
Pour la Source, l’enjeu fondamental est celui de l’existence. En cela, elle a un rôle extrêmement important à jouer. Cependant, pour qu’elle puisse se faire entendre, il faut résister à la tentation de la juger à l’aune de quelque kérygme ou credo que ce soit. La seule mesure qui vaille pour elle est la valeur des êtres humains qui ont décidé de suivre le chemin de vie qu’elle trace.
Dans les textes à venir, je suivrai la Source pas à pas et chercherai à en faire voir la pertinence.
Références :
1) Dans l’état actuel des choses, Q contient trois récits (4,1-13; 7,1.3.6b.9; 11,14), sans parler de quelques mots ou lignes qui introduisent des paroles (3,2b-3a.7a.21;6,20a; 7,18.24a; 9,57-59; 10,2,21a; 11,15a.16. 17a). En dehors des deux premiers récits, le nom de Jésus n’est mentionné qu’en 3,21 et 9,58.
2) Au minimum, la Source comprenait, selon un ordre reconstitué, les textes suivants : Q 3,2b.3a.7-9.16b-17.21; 4,1-4.9-12.5-8.13; 6,20-23.27-28.35.29.30-32.34.36-49; 7,1.3.6b.9.18-19.22-35; 9,57-60; 10,2-16.21-24; 11,14-15.17-26.16.29-35.42.39b.41.43-44.46b.52.47-51; 12,2-12.33-34.22b-31.39-40.42-46.49.51.53-56.58-59; 13,18-21.24-27.29.28.30.34-35; 14,11.16-21.23.26-27; 17,33; 14,34-35; 16,13.16-18; 17,1-2; 15,4-5a.7-10; 17,3-4.6.20-21.23-24.37.26-27.30.34-35; 19,12-13.15-24.26; 22,28.30.
2e texte de la série La Source des paroles de Jésus.
À PROPOS D’ANDRÉ MYRE
André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.
Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.