Des femmes inspirantes

La Cananéenne

photo Lucie Lepine

Par Lucie Lépine

Des femmes inspirantes

31 août 2022

Jean Germain Drouais, La femme de Canaan aux pieds du Christ, vers 1784, huile sur toile, Musée du Louvre, Paris.

La femme du texte (MT 15,21-28; Mc 7,24-30), de langue grecque, était une Syrophénicienne de naissance et de religion, une Cananéenne, et donc une étrangère (une «païenne»). Contrairement à l’hémorroïsse qui n’avait pas ouvert la bouche et qui voulait être guérie à l’insu de Jésus, cette femme fait beaucoup de bruit.

 

Elle hurle, elle crie comme une bête. Le verbe qu’utilise Matthieu «kraugazeïn» évoque des aboiements. Sans doute considérée comme mal élevée, avec son tapage, elle considère qu’elle n’a rien à perdre : elle est native d’une terre païenne et les Juifs l’évitent, la rejettent. Ce qui ne l’empêche pas d’insister pour que sa fille soit délivrée d’un démon qui la tourmente.

Jésus ne dit rien, il fait le sourd. Comment expliquer une telle dureté? C’est que Jésus est humain jusqu’à partager sans en avoir conscience, comme tous les humains, certains des préjugés de sa culture. Les païens ne l’intéressent pas car il en a plein les bras avec les siens, lui qui est venu pour «les brebis d’Israël», sa mission se limitant à sa patrie (Mt 15,24).

Comme les cris reprennent de plus belle, les disciples, agacés, demandent à Jésus de faire grâce à la femme, de la libérer et de les libérer eux aussi. Qu’elle nous foute la paix ! La femme est à ses pieds, se prosternant, «faisant le petit chien. Sa prosternation confesse son respect pour Jésus, mais la maintient également dans l’espèce canine». Et la Cananéenne insiste : «Seigneur, viens à mon aide».

Mais Jésus persévère dans sa décision : on n’enlève pas le pain aux enfants (le peuple élu) pour le donner aux petits chiens (les étrangers considérés comme des êtres de seconde zone). À noter que les auteurs mettent dans la bouche de Jésus le mot «chien» suscité par l’attitude de cette femme, tout en le qualifiant de petit, ce qui minimise la dureté du terme.

Cette étrangère, toutefois, s’entête avec une confiance admirable : «Tu as raison, seigneur. Mais les petits chiens mangent au moins les miettes qui tombent de la table des maîtres.» Face à la résilience de la femme – seule personnage des évangiles à avoir le dessus sur lui dans une discussion –Jésus se rend, la confiance de la femme l’emporte sur lui, il fera ce qu’elle attend de lui et sa fille sera guérie.

 

Réflexions

 

Pour les Juifs du temps, cette femme ne pouvait qu’être méprisée puisque son statut d’étrangère l’excluait de l’Alliance. Cependant, audacieuse, elle ne se laisse pas arrêter et tente par tous les moyens d’approcher Jésus. Et les réponses pourtant troublantes de celui-ci ne la déconcertent pas. Quant à Jésus, il est un homme de son temps qui croit fermement qu’il doit d’abord prendre soin des siens, ce qui lui semble être sa mission.

Mais il est aussi un être humain capable de compassion. Ne le démontre-t-il pas en utilisant le diminutif : «petit chien» ? Et les évangélistes laissent voir que Jésus est fortement touché par la ténacité et la confiance de cette femme. C’est que les Églises, une quarantaine d’années après la mort de Jésus ont poursuivi leur chemin et commencent à annoncer la Bonne Nouvelle aux étrangers.

Je rêve souvent d’un monde sans frontières, d’une Église qui, loin de s’appuyer sur un Credo dépassé, continue de réfléchir à sa mission en regardant les nouvelles réalités de notre époque. Les premières communautés avaient compris que le monde évolue et qu’elles pouvaient prendre des décisions qui ne faisaient pas partie du monde de pensée de Jésus. Je rêve d’un monde où il n’y pas plus de racisme, chaque être humain étant considéré comme une personne respectable, voire une merveille, avec des trésors à partager.

Je crois fermement que toutes les personnes qui s’engagent pour bâtir un monde de justice, de paix et d’égalité sont mes frères et mes sœurs, quels que soient leur race, leur classe sociale, leur religion, leur genre. Je crois que même les athées peuvent faire confiance à la vie et devenir des êtres humains admirables. La Cananéenne nous crie que l’autre a des choses à nous apprendre.

 

3e texte de la série Les femmes vues par Jésus

 

À PROPOS DE LUCIE LÉPINE

Après une carrière en enseignement au primaire et au secondaire, Lucie s’est impliquée au sein des groupes communautaires comme le Carrefour Familial Hochelaga et des associations chrétiennes comme le Centre de pastorale en milieu ouvrier, la Conférence religieuse canadienne et la Fondation de la jeunesse ouvrière, entre autres. Lucie a fait des études bibliques à l’Université de Montréal et aime la vitalité culturelle montréalaise.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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