Paroles de dimanches

Il était une fois deux coureurs

Photo André Myre

Par André Myre

Paroles de dimanches

27 mars 2024

Crédit photo : Fitsum Admasu / Unsplash

Pour le dimanche de Pâques de cette année, la Liturgie a choisi le même passage que pour l’Année A. Il s’agit du texte johannique de la visite au tombeau de Jésus effectuée par Marie de Magdala (Jn 20,1-9), ainsi que par Pierre et par le partisan ami de Jésus. C’est une péricope assez surprenante puisqu’elle a gardé les traces de soixante ans d’histoire (les passages en caractères gras sont de la main du rédacteur johannique).

 

Jn 20,1 Alors, le premier jour de la semaine, Marie, la Magdaléenne, vient au tombeau de très bonne heure – il fait encore noir – et elle regarde la pierre enlevée du tombeau. 2 Elle court donc et vient chez Simon-Pierre et chez l’autre partisan, l’ami de Jésus, et elle leur dit :

Ils ont enlevé le seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où ils l’ont déposé.

3 Pierre sortit donc, de même que l’autre partisan, et ils venaient au tombeau. 4 Les deux alors couraient ensemble mais l’autre partisan, plus rapide, dépassa Pierre et vint le premier au tombeau. 5 Et, s’étant penché, il regarde les bandelettes laissées là sans pourtant entrer. 6 Simon-Pierre, qui le suivait, vient donc lui aussi et il entra dans le tombeau, et il aperçoit les bandelettes laissées là, 7 ainsi que le linge qu’il avait sur la tête, non pas laissé à côté des bandelettes mais roulé à part, ailleurs. 8 L’autre partisan, celui étant venu le premier au tombeau, entra donc alors lui aussi, et il vit, et il eut confiance. 9 C’est qu’ils ne savaient pas encore que, selon l’Écriture, il doit se relever des morts. 10 Les partisans partirent donc de nouveau chez eux.

 

 

L’histoire du début de la foi

 

Quand ce texte est rédigé, il s’est passé plus de soixante ans depuis la mort de Jésus. Pour bien l’interpréter, il faut avoir en tête ce qui suit :

 

. Après l’arrestation de Jésus, «tous» ses partisans se sont enfuis de Jérusalem (Mc 14,50).

. Il est impensable qu’ils aient laissé les femmes derrière.

. Homme ou femme, il n’y avait aucun familier de Jésus à Jérusalem pour être témoin de sa mort et de son ensevelissement, ou pour se rendre au tombeau passé le sabbat.

. Jésus a été enseveli par un délégué de la Cour suprême (Mc 15,42), parce que la Torah interdisait que le cadavre passe la nuit exposé sur l’instrument de châtiment. Le corps de Jésus a probablement été jeté dans une fosse commune, fin logique d’un parcours tragique. Seuls les adversaires de Jésus savaient où il avait été enterré.

. La foi est née en Galilée (Mc 16,7; Jn 21,2-8). Or, il y a environ 200 km entre Jérusalem et Capharnaüm. Les partisans de Jésus ont donc marché plus d’une semaine avant d’arriver à la maison, et, selon Jn 21, ils s’étaient remis à la pêche quand ils ont vécu une expérience de rencontre avec Jésus. Les débuts de la foi remontent donc à quelques semaines après la mort de ce dernier.

. Selon la plus ancienne tradition sur le sujet, Jésus a d’abord été vu «par Céphas, puis par les Douze» (1 Co 15,5).

. À partir du moment, cependant, où des scribes de Jérusalem sont devenus croyants, ils se sont employés à inculturer la foi dans leur milieu, développant manifestement des traditions touchant le tombeau et les apparitions. Au bout du compte, les femmes, au tombeau ou au retour, ont fini par être considérées comme les premiers êtres humains à croire en Jésus (Mt 28,9-10; Jn 20,14.18).

. Au cours des décennies, les Églises johanniques et pauliniennes s’étaient structurées autrement que celle de Rome. À la fin du 1er siècle, cependant, celle-ci a entrepris d’imposer son modèle partout, comme en témoignent les lettres Pastorales attribuées à Paul, et, en particulier, la rédaction du texte d’aujourd’hui.

 

Ces données, qui ne pouvaient ici qu’être énoncées sans être démontrées, jettent une lumière éclairante sur le texte johannique.

 

Traditions

 

Le rédacteur avait à sa disposition deux péricopes impliquant surtout Marie de Magdala et Simon-Pierre. La première devait ressembler à ceci :

 

1 Alors, le premier jour de la semaine, Marie, la Magdaléenne [et ses compagnes], vinrent au tombeau de très bonne heure et elles regardent la pierre enlevée du tombeau. 2 Elles courent donc et vinrent chez Simon-Pierre et elles lui disent :

Ils ont enlevé le seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où ils l’ont déposé.

 

Très tôt le dimanche matin, Marie de Magdala et ses compagnes – elle n’est pas seule comme en témoigne le «nous» du v 2 – vont au tombeau. Cette tradition, d’origine judéenne évidente, suppose que ces femmes sont restées à Jérusalem; qu’elles ont vu où Jésus a été enterré; qu’il l’a été dans un tombeau et non dans une fosse commune; qu’il y avait une pierre qui en fermait l’entrée (une «pierre» dont il n’est jamais question ailleurs qu’ici en Jean) et que Simon-Pierre[1] était lui aussi resté à Jérusalem.

À la simple vue de la pierre déplacée, les femmes concluent que les adversaires de Jésus ont volé le corps – noter la mention du «seigneur», titre donné à Jésus ressuscité et investi du pouvoir divin. Un tel texte est le fruit de la rédaction de scribes judéo-chrétiens, qui entendaient ainsi assurer que le tombeau était vide : non seulement les femmes ne s’y attendaient pas, mais elles pensaient que le corps de Jésus avait été déplacé par les autorités[2]. Or, si les partisans de Jésus n’ont pas volé le corps, et si les Judéens ne l’ont pas déplacé, le vide demande explication.

La seconde péricope raconte le déplacement de Simon-Pierre à la suite du rapport fait par les femmes :

 

6 Simon-Pierre, vient donc au tombeau, et il entra, et il aperçoit les bandelettes laissées là, 7 ainsi que le linge qu’il avait sur la tête, non pas laissé à côté des bandelettes mais roulé à part, ailleurs. 9 Il ne savait pas encore que, selon l’Écriture, il doit se relever des morts.

 

La disposition des bandelettes et du linge révèle que l’explication n’en est pas un simple déplacement ou vol de cadavre. Celui que la mort retenait a été libéré de ses liens, avant, un peu plus loin, de retrouver l’identité que cachait le voile qu’il avait sur le visage. Selon le scribe qui a rédigé ce texte, quiconque connaît l’Écriture aurait dû savoir que Jésus allait sortir de chez les morts (v 9).

 

Jean

 

Le rédacteur johannique commence par signifier qu’au moment où Marie se rend au tombeau, elle est dans les ténèbres en même temps qu’il fait noir dehors (v 1). Puis, il met en scène deux partisans : celui qu’il nomme «Pierre» (vv 3 et 4)[3], et celui qu’il appelle «l’autre partisan, l’ami de Jésus» (v 2)[4]. Ces deux-là, qu’il fait courir «ensemble» (v 4) plus de soixante ans avant le temps de sa rédaction, ce sont l’Église de Rome et sa propre Église. La première a droit à tout le respect de la seconde, et celle-ci le lui accorde puisqu’elle la laisse entrer avant elle-même dans le tombeau.

Mais, selon le rédacteur, son Église aussi mérite le respect : parce qu’elle est «l’amie de Jésus» (v 2); parce qu’elle court plus vite que l’autre sur le chemin de la vie (vv 3-4); parce qu’elle voit les choses en premier (v 5); et, surtout, parce qu’elle est plus rapide à comprendre et à croire que la première (vv 6.8). L’Église johannique accepte donc la primauté de l’Église de Rome, mais pas au prix de sa façon distinctive de croire, et en restant lucide.

 

Ligne de sens

 

À partir de ce texte, plusieurs lignes s’offrent à la réflexion. Je me permets les suivantes :

 

1. Dans la ligne du destin de la personne que Jésus est devenue avec lui, son corps a terminé son existence dans l’anonymat d’une fosse commune. Dernière ignominie offerte à notre réflexion pour nous permettre de comprendre quelle sorte de destinée humaine le Dieu vivant attendait depuis des millénaires pour pouvoir se reconnaître en elle : une vie qui va de l’humiliation d’une conception forcée à celle de la disparition dans le trou où on jetait les cadavres des criminels. Voilà d’où le Parent voulait relever celui en qui il reconnaissait son fils.

2. La foi n’est pas dans un tombeau vide, ni dans la disparition d’un cadavre. Si Dieu a eu besoin des atomes du corps de Jésus pour le ressusciter, nous pouvons dire adieu à la nôtre puisqu’après notre mort, notre corps est vite méconnaissable, irrecouvrable. Ce qui passe vivant à travers la mort, pour reprendre l’intuition johannique, c’est la personne que nous sommes devenue dans notre corps, et non pas des atomes faisant partie de notre univers.

3. Le texte sur la visite au tombeau de Marie, ainsi que des deux partisans, est une leçon de vie en Église. Une leçon de créativité, de respect, de dignité et de lucidité. En christianisme, il y a vie pascale en Église quand les communautés se prennent en main et apprennent à se dire la foi à leur époque et dans leur culture. La foi est une, mais les façons pour la dire multiples, et les organisations pour l’encadrer diverses.

Il y aura toujours lutte pour le pouvoir, désir de centraliser et lenteurs à voir clair. Mais il ne faut pas s’empêcher de courir vite parce que le bureau-chef est lent. Essoufflé, il finira certes par arriver au but, mais ce serait être infidèle à la qualité d’«ami de Jésus» que d’avancer aussi lentement que lui. Le partisan ami de Jésus ne trottine pas derrière Pierre qui est à la traîne, mais court à la suite de Jésus bien loin en avant.

 

Notes :

 

[1] Le personnage s’appelait Shim’ôn (Simon), et, à la suite de sa rencontre avec Jésus ressuscité, il a reçu le nom de Kêphâ (Roc), de là «Pierre».  «Pierre» est donc le nom pascal de Simon, comme «Christ» l’est de Jésus.

[2] Il faut dire ici qu’un homme comme Paul n’aurait jamais pensé que le tombeau était vide (lire 1 Co 15,35-53).  Selon lui, un corps ressuscité est fait de «souffle» et non «de chair et de sang».  Il mérite attention parce que c’est le seul auteur du Nouveau Testament à parler de ce qu’il a personnellement vu…

[3] Et non pas «Simon-Pierre», comme la tradition sur laquelle il s’appuie (vv 2.6).

[4] Ce dernier, c’est celui qui est à l’origine de la communauté johannique, un partisan qui a bien connu Jésus, et qui a par la suite rencontré l’évangéliste, responsable des chapitres 2-12 de l’évangile dit de Jean, texte qu’un rédacteur est en train de compléter.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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