Paroles de dimanches

Il est possible de passer vivant à travers la mort. Crois-tu ça ?

Photo André Myre

Par André Myre

Paroles de dimanches

22 mars 2023

Crédit photo : Vinicius Amano / Unsplash

La Liturgie a choisi pour ce dimanche le récit sur Lazare sortant du tombeau (Jn 11,1-45) parce qu’il contient le thème de la résurrection.

Dans le «livre des signes» (ch. 2-12), la version première et fondamentale de l’évangile de Jean, ce récit était le sommet de l’œuvre, l’équivalent des récits d’apparition chez Matthieu et Luc. Il exprime l’essentiel de la foi johannique, laquelle était formulée de tout autre façon que dans le reste de l’Église.

Dans la traduction qui suit, les interventions de deux rédacteurs postérieurs à l’évangéliste son indiquées par l’utilisation des parenthèses et de l’italique.

 

Jn 11,1 Il y a un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, la sœur de cette dernière. (2 La Marie en question est celle qui a enduit le seigneur d’huile et lui a essuyé les pieds avec sa chevelure.  C’est son frère, Lazare, qui est malade.) 3 Les sœurs lui font faire un message :

– Monseigneur, ton ami est malade.

4 Il ne s’agit pas d’une maladie mortelle. Comme la valeur de Dieu est en jeu, elle doit valoriser le fils de Dieu.

(5 Jésus était attaché à Marie, et à sa sœur, et à Lazare.) 6 Aussi, à la nouvelle de la maladie de ce dernier, ne bouge-t-il pas de l’endroit où il est pendant deux jours.

 

7 Au bout de ce laps de temps, il déclare à ses partisans :

– On retourne en Judée.

8 Rabbi, en ce moment même, les Judéens te cherchent pour te lapider, et tu veux retourner là-bas ?

9 Il fait jour pendant douze heures.  Quand on marche le jour, on ne trébuche pas parce qu’on voit la lumière de ce monde. 10 C’est quand on marche la nuit qu’on trébuche, parce qu’on n’a pas de lumière en soi. 11 Notre ami Lazare, poursuit-il, est tombé endormi, mais je vais aller le faire sortir de son sommeil.

12 Monseigneur, s’il dort, il est sauvé. (13 Jésus parle de sa mort, mais eux pensent au repos du sommeil.)

– 14 Lazare est mort, déclare alors clairement Jésus, 15 et je suis heureux pour vous de n’avoir pas été là, il y va de votre confiance. Allons donc le voir.

16 Thomas (dit le Jumeau) encourage les autres, partisans comme lui :

Allons-y, nous aussi. Avec lui jusqu’à la mort !

17 À son arrivée, Jésus le trouve au tombeau depuis déjà quatre jours. 18 (Comme Béthanie n’est pas loin de Jérusalem, même pas trois kilomètres, 19 beaucoup de Judéens se sont rendus chez Marthe et Marie les réconforter pour leur frère.) 20 Dès qu’elle apprend que Jésus est proche, Marthe va au-devant de lui, alors que Marie reste assise à la maison.

21 Monseigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. 22 Mais, même maintenant, je sais que Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas.

23 Ton frère va se relever.

24 Je sais bien qu’il va se relever au dernier jour, celui du relèvement.

25 C’est moi, le relèvement et la vie.  Qui a confiance en moi vivra, même une fois mort.  26 Et quiconque vit, tout en me faisant confiance, ne mourra jamais.  Crois-tu ça ?

27 Bien sûr, monseigneur, que je crois, tu es le messie, le fils de Dieu, celui qui doit venir dans le monde.

 

28 Ceci dit, elle part appeler Marie, (sa sœur), et lui chuchote :

Le maître est là, il t’appelle.

29 À ces mots, elle se lève d’un bond pour aller le retrouver. (30 En fait, Jésus n’est pas encore rendu au village, mais se trouve toujours là où Marthe l’a rencontré.) 31 Quand les Judéens, qui sont avec elle à la maison, voient Marie se lever d’un bond et sortir, ils se mettent à la suivre, s’imaginant qu’elle se rend pleurer au tombeau.  32 Dès qu’elle arrive à l’endroit où se trouve Jésus et qu’elle le voit, Marie se jette à ses pieds :

Monseigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort.

33 De les voir pleurer, elle et les Judéens qui l’accompagnent, Jésus en a le souffle court et est profondément perturbé.

34 Où l’avez-vous mis ?

– Monseigneur, viens voir.

35 Jésus est en pleurs.  36 Ce qui pousse certains Judéens à dire :

– C’est évident qu’il l’aimait.

37 Pourtant, lui, qui a ouvert les yeux de l’aveugle, il ne pouvait pas l’empêcher de mourir ?

38 Ayant encore le souffle coupé, Jésus arrive au tombeau.   C’est une grotte avec une pierre en travers.

39 Enlevez-moi cette pierre.

– Monseigneur, l’avertit Marthe, (la sœur du mort), c’est le quatrième jour, ça commence à sentir…

40 Je te l’ai dit, si tu fais confiance, tu vas voir la valeur de Dieu.

41 On enlève donc la pierre.  Jésus lève les yeux :

Parent, je te remercie de m’écouter.  42 Je le sais bien que tu m’écoutes toujours, mais je parle à cause de ces gens tout autour, pour qu’ils fassent confiance : oui, c’est toi qui m’as envoyé.

43 Sur ce, il lance un grand cri :

Lazare, viens dehors !

44 Le mort sort, pieds et mains bandés, et le visage recouvert d’un linge.

Déliez-le et laissez-le partir.

 

45 Parmi les Judéens qui sont allés chez Marie et qui ont vu ce qu’il venait de faire, il y en a beaucoup qui se mettent à avoir confiance en lui.

 

Traduction

 

Valeur, valoriser (vv 4.40). Sous le terme grec, d’ordinaire traduit par «gloire», il y a un mot hébraïque qui contient la notion de «poids, pesanteur». J’ai choisi les mots «valeur» et «valoriser» pour désigner le poids d’être de quelqu’un. Les termes cherchent à rendre l’importance que Jésus a aux yeux de son Parent du ciel, et l’inverse, alors que, selon Jean, les deux ne s’en voient accorder aucune par les adversaires de Jésus, lesquels n’ont d’yeux que pour celle qu’ils s’accordent les uns aux autres.

 

Matériaux utilisés

 

L’évangéliste pourrait s’être appuyé sur un récit qui servait de support à une catéchèse sur la mort des proches et l’espérance depuis le départ de Jésus.  Le texte devait ressembler à ceci :

 

Jn 11,1 Il y a un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, la sœur de cette dernière. 3 Les sœurs font faire un message à Jésus :

Ton ami est malade.

17 À son arrivée, Jésus le trouve au tombeau depuis déjà quatre jours. 33 Il en a le souffle court et est profondément perturbé.  43 Sur ce, il lance un grand cri :

Lazare, viens dehors !

44 Le mort sort, pieds et mains bandés, et le visage recouvert d’un linge.

Déliez-le et laissez-le partir.

 

Jésus et les récits de réanimation

 

Dans les évangiles, il y a trois récits au cours desquels un retour à la vie est attribué à Jésus. Dans le cas de la fille de Jaïre (Mc 5,21-24.35-43), une guérison de paralysie a été transformée en geste de réanimation, tandis que le fils de la veuve de Naïm avait à l’origine été guéri de sa mutité (Lc 7,11-17). Reste la narration de la sortie du tombeau de Lazare qui sert de support à l’évangéliste pour exprimer sa confiance dans la vie. Si l’on tient compte du fait que le concept de résurrection avait été adopté en Judée et qu’on ne peut, des évangiles, tirer aucune certitude que Jésus en ait jamais parlé, il est fort peu probable que ce dernier ait historiquement «ressuscité» quelqu’un.

 

Jean

 

Vv 1-6. L’introduction au récit soulève la question des liens qui unissent Lazare et les deux sœurs.  En effet, s’il est clair que Marie et Marthe sont deux sœurs, le statut de Lazare par rapport à elles l’est beaucoup moins. Le verset 1 n’en dit rien, et, dans le récit de l’onction qui ouvre le ch. 12, Lazare est présenté comme un simple convive lors d’un repas offert à Jésus, au cours duquel Marthe fait le service.

À lire 11,1 et 12,1-3, on comprend que Lazare, Marie et Marthe sont tous les trois de Béthanie, qu’ils vivent l’un dans sa maison, et les deux sœurs dans une autre, sans toutefois être de la même fratrie. La tradition avait cependant tendance à resserrer les liens qui unissent les personnages dont elle parle, et, dans la suite du récit Lazare est vu comme le frère de Marthe et de Marie (vv 21.23.32)[1]. Voisin, ami ou parent lointain, il est gravement malade. Sachant qu’il est son ami[2], les deux sœurs font faire un message à Jésus, dans lequel elles font implicitement pression sur lui pour qu’ils viennent visiter le malade.

Quand il apprend la nouvelle, Jésus réagit d’une étrange façon. D’abord, on ne sait trop à qui il s’adresse. Le texte laisse l’impression qu’à travers leur message les deux sœurs lui sont présentes et qu’il leur répond. Pas de panique, semble-t-il dire, ce n’est pas grave, le malade n’en mourra pas (v 4), même s’il sait pourtant qu’il est mort (vv 11.14). L’évangéliste veut ainsi forcer ses lectrices et lecteurs, à la lumière du geste et des paroles de Jésus, à réfléchir sur ce qu’est et ce que n’est pas la mort. Qui comprendra cela pourra ainsi «valoriser» Dieu ainsi que Jésus[3]. L’introduction se termine sur la décision de ce dernier d’attendre deux jours avant d’entreprendre la montée vers Jérusalem.  L’évangéliste tient à ce que Lazare ait le temps de mourir de sa maladie non mortelle…

 

Vv 7-16.  Selon 10,40, Jésus est allé se réfugier sur la rive orientale du Jourdain, parce que les Judéens cherchaient, au mieux, à l’arrêter (v 39), au pire, à le lapider sur place (v 31). Or, deux jours après avoir appris la nouvelle de la maladie de Lazare, ne voilà-t-il pas qu’il annonce à ses partisans qu’ils doivent retourner en Judée avec lui. Au v 8, ils expriment leur étonnement que Jésus ait pris une décision aussi dangereuse, alors que les «Judéens» cherchent à le lapider – une référence claire à 10,31.

De façon assez énigmatique, la réponse de Jésus semble signifier qu’il lui reste un peu de temps pour faire des choses, puisque les Judéens ne lui ont pas encore barré le chemin. Aussi, comme il a encore l’occasion de le faire, va-t-il faire sortir «notre ami Lazare de son sommeil» (v 11). Les partisans ont enfin une bonne nouvelle à se mettre sous la dent : si Lazare dort, c’est donc qu’il est en voie de recouvrer la santé.  Jésus déclare alors clairement que Lazare est mort, et que c’est une bonne chose pour ses partisans qu’il n’ait pas été là, car il y va de leur confiance (vv 14-15).

Tout se tient dans ce texte. Si Jésus se hâte de monter à Béthanie, il guérit Lazare, mais la «valeur de Dieu» (v 4) n’est pas démontrée, et les partisans ne savent pas ce que signifie avoir confiance face à la mort. L’évangélise, on le voit, tisse lentement sa toile, et il devrait être évident que le texte est une mise en récit d’une expérience de foi, et non le rapport d’un fait historique. Sinon, il s’agirait d’un comportement insensible de la part d’un «ami» qui laisse sciemment mourir l’autre, imposant ainsi une peine cruelle à sa famille dans le but de donner une leçon de foi à ses partisans.

Le morceau se termine sur une brave parole de Thomas, lequel est prêt à subir une mort héroïque à la suite de Jésus (v 16). Ici, l’évangéliste se fait sarcastique : la mort des humains est d’ordinaire tout autre chose qu’une apothéose spectaculaire sous les applaudissements des foules.

 

Vv 17-27.  Les vv 17-27 introduisent lectrices et lecteurs au cœur même du drame. Mais, comme le texte de l’évangéliste a été beaucoup retravaillé, je le présente ici puis le commente sans les ajouts :

 

17 À son arrivée, Jésus le trouve au tombeau depuis déjà quatre jours. 20 Dès qu’elle apprend que Jésus est proche, Marthe va au-devant de lui, alors que Marie reste assise à la maison.

21 Monseigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. 22 Mais, même maintenant, je sais que Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas.

25 C’est moi, la vie. Qui a confiance en moi vivra, même une fois mort. 26 Et quiconque vit, tout en me faisant confiance, ne mourra jamais.  Crois-tu ça ?

27 Bien sûr, monseigneur, que je crois.

 

Lazare étant au tombeau depuis quatre jours, cela signifie la réalité incontournable de la mort. En effet, on pensait couramment à l’époque qu’après le dernier souffle de quelqu’un, la vie ne le quittait définitivement qu’au bout de trois jours. Lazare est donc vraiment, définitivement, mort. Le sens même du récit repose sur cette donnée fondamentale. Comme il le fait de coutume, l’évangéliste utilise les dialogues pour communiquer le sens qu’il voit à l’événement.

Aussi, ce qu’il a de plus important à dire est-il contenu dans cette conviction de fond que Marthe formule ainsi : «Mais, même maintenant, je sais que Dieu t’accordera tout ce que tu lui demanderas» (v 22). Même maintenant. Ce «maintenant», c’est aussi bien celui de l’évangéliste qui écrit, que celui de la communauté à qui il s’adresse, ou celui du commentateur que je suis, ou encore celui des lectrices et lecteurs que vous êtes. Nous avons tous des morts au tombeau, des morts pour qui Jésus n’a pas été là, comme il ne l’a pas été pour Lazare. Mais même maintenant, l’évangéliste déclare que Dieu accordera à Jésus tout ce qu’il demandera. Que voulait-il signifier qui vaille autant pour nous que pour Marthe ? Tout ce que l’évangéliste a à dire sur l’espérance chrétienne tient dans ces quelques mots :

 

25 C’est moi, la vie. Qui a confiance en moi vivra, même une fois mort.

 

Pour l’évangéliste, Jésus est la vie au sens où il trace les orientations fondamentales du devenir humain authentique. Quiconque s’en nourrit fait comme lui et trouve ainsi sa propre vie, laquelle il ne perdra jamais même une fois mort. Ici, il est éclairant de considérer ces deux affirmations paradoxales de l’évangéliste aux vv 25-26 :

 

.   quiconque vit en faisant confiance à Jésus ne mourra jamais,

.   quiconque a confiance en Jésus vivra même une fois mort.

 

Tout à fait paradoxale, la foi de l’évangéliste peut tenir en ces quelques mots : l’être humain qui a authentiquement vécu va passer vivant à travers la mort. Cette foi, qu’il avait reçue du partisan galiléen de Jésus, n’avait pas besoin du concept judéo-chrétien de résurrection pour se dire.

À l’aide du récit de la sortie du tombeau, l’évangéliste illustre donc sa foi. En présentant Lazare comme l’ami de Jésus, il déclare implicitement que Lazare a vécu authentiquement (premier temps); puis il le montre ayant subi la mort, sort commun des humains (deuxième temps); cependant, même mort, il continue à vivre de la vie qu’il avait déjà avant de mourir (troisième temps).

 

Vv 28-37.  Les versets 28-33 apparaissent comme une redite (le texte se lit facilement en sautant du v 27 au v 34), une insertion ancienne, cependant puisque le parenthésiste y a placé une explication au v 30.

Le reste du passage souligne la réalité de la mort de Lazare en dépeignant le plus confiant des hommes comme étant le plus affecté par la mort de son ami. Tout un contraste avec la réaction des Judéens, lesquels se gardent le loisir d’observer les comportements des autres.

 

Vv 38-44.  En présence de Jésus, Marthe exprime crûment le fait que le processus de décomposition est en marche, à l’intérieur de la grotte bouchée par une pierre (v 39b). C’est la mort concrète, brutale. Puis le ton change. La réalité bouleversante n’est pas insensée. Tout ce que l’évangéliste avait à dire dans son livre est résumé au v 42 : Jésus a été envoyé par le Parent pour signifier comment vivre humainement. Quiconque le suit vit vraiment. Voilà ce qu’il s’agit maintenant de manifester. Le signe est raconté avec une extrême brièveté. Un grand cri brise le silence de la mort. Le mort est appelé par son nom : c’est lui qui est personnellement visé. Un ordre : dehors. Jésus ne fait pas circuler à nouveau la vie dans un homme mort, il ne ressuscite pas Lazare, il manifeste plutôt que la vie était toujours là en dépit de la mort.

Malgré que la mort de Lazare ait été d’une réalité effrayante, comme le récit l’a décrite de plusieurs façons, malgré les liens qui gardaient le mort prisonnier du shéol, anonyme, rendu méconnaissable par le linge qui lui recouvrait le visage, malgré la réalité incontournable de la mort, la vie était toujours là et Lazare a pu sortir du shéol, demeure des morts. On ne reste pas au shéol quand on est vivant. L’évangéliste ne donne pas de conclusion à son récit, car il l’a rédigé pour poser une question, une seule, celle du v 26 : «Crois-tu ça ?», le «ça» de la question étant que la vraie vie ne se perde pas, malgré la terrible réalité de la mort.

 

V 45.  La Liturgie a choisi de donner au récit une conclusion qui oriente les fidèles vers la foi pascale. Dans l’évangile, il ouvre la péricope des vv 45-53, laquelle montre la conséquence du récit précédent : le système décide de la mort de Jésus.

 

Le parenthésiste

 

Le parenthésiste a jugé bon d’intervenir à huit reprises dans le texte[4]. Souvent, il établit les liens familiaux ou l’identité des personnages (vv 2.16.19.28.39b); ailleurs, il situe géographiquement Béthanie (v 18), ou précise quel déplacement les Judéens ont fait (v 19). Au v 5, comme il éprouve un malaise face au retard de Jésus à se rendre à Béthanie, il écrit que celui-ci aimait bien «Marie, sa sœur et Lazare»; ce n’est donc pas par indifférence qu’il a tardé à se mettre en route. Au v 13, il prévient lectrices et lecteurs que les partisans de Jésus l’avaient mal compris; au v 30, il déclare que, de fait, Jésus n’était pas où Marthe l’avait dit. Il a le souci constant de faciliter la lecture du texte.

 

Le catholique

 

À la fin du 1er siècle, le rédacteur que j’appelle le catholique cherche à resserrer les liens entre les Églises johanniques et la grande Église (la «catholique»), et à inculturer les lectrices et lecteurs de l’évangile au langage de foi de cette dernière. Dans le récit sur la sortie du tombeau de Lazare, ses interventions sont concentrées aux vv 23-27[5] :

 

23 Ton frère va se relever.

24 Je sais bien qu’il va se relever au dernier jour, celui du relèvement.

25 C’est moi, le relèvement. 26 Crois-tu ça ?

27 Bien sûr, monseigneur, que je crois, tu es le messie, le fils de Dieu, celui qui doit venir dans le monde.

 

Le catholique parle donc de résurrection, c’est ainsi qu’on se dit la foi ailleurs que dans la communauté johannique. C’est légitime, rien de mal à ça. Mais l’écriture du catholique jure dans le texte. En effet, comme il mentionne la résurrection, il doit nécessairement la situer dans le futur puisqu’il s’agit d’une réalité qui adviendra à la fin des temps. Or, cela ne convient pas à la conviction exprimée par Marthe, laquelle rend compte de celle de la communauté johannique. Car ce n’est pas du futur que parle Marthe, mais bien du présent : «même maintenant».

Le catholique, par ailleurs, a jugé bon de transformer le contenu de la réponse de Marthe. Au lieu d’un «je crois» dans lequel elle affirmerait suivre les orientations de Jésus avec la conviction de vivre ainsi pour toujours, sa déclaration de foi contient plutôt une énumération de titres attribués à Jésus : messie, fils de Dieu et (implicitement) juge qui doit venir dans le monde. Les premiers sont les deux grands titres courants dans le reste de l’Église pour rendre compte de la seigneurie de Jésus et donc de son pouvoir de ressusciter les vivants et les morts, après avoir effectué le jugement final.

 

Ligne de sens

 

Je me contente de rappeler ici l’essentiel de la foi de l’évangéliste : tout être humain qui a authentiquement vécu sa vie en suivant les orientations de Jésus passe vivant à travers la mort. La question à laquelle doit répondre la personne interpellée par l’évangile n’est donc pas celle du «quoi croire ?» mais du «comment vivre ?». Cela demande réflexion.

 

Notes :

 

[1] Tendance appuyée par le parenthésiste, comme nous le verrons plus loin.

[2] Littéralement : «celui que tu aimes» (v 3). Le grec s’exprime comme l’hébreu, langue dans laquelle le mot «ami» n’existe pas.

[3] Le v 4 parle de la valorisation du «fils de Dieu», expression due à un rédacteur postérieur que j’appelle le catholique (voir plus bas); on peut penser que l’évangéliste avait utilisé «l’envoyé de Dieu» ou l’équivalent.

[4] Vv 2.5.13.16.18-19.28.30.39b.

[5] Interventions annoncées par la mention du «fils de Dieu» au v 4.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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