Échos d'Évangile

Humain ou caricature

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

12 mars 2025

Crédit photo : Jørgen Håland / Unsplash

La parole qui suit (Q 16,13) est l’une de ces précieuses formulations dont l’évangile a le secret et que, de temps à autre, il nous livre pour qu’en quelques mots nous puissions nous résumer tout ce qu’il a à dire.

Elle est faite d’un cadre qui contient deux énoncés parallèles, le premier étant général et le second le précisant (v 13a et d); au centre, deux affirmations également parallèles qui justifient le contenu du cadre. Une telle péricope ne s’improvise pas, elle est le fruit du travail d’un scribe qui pèse ses mots et les enserre dans un écrin littéraire qui les met en valeur. La dernière ligne, qui, pour le fond, a bien des chances de remonter à Jésus, est un concentré de l’évangile.

 

Q 16,13 Nul ne peut être l’esclave de deux maîtres.

Il haïra l’un et aimera l’autre,

ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre.

Vous ne pouvez à la fois être l’esclave de Dieu et de l’Argent.

 

En parlant de l’«esclave», la parole est de son temps. Tout être humain a un seigneur, un maître dont il doit suivre les directives; c’est ainsi qu’il trouve son identité, sa place dans la société, son mode de vie et sa sécurité. D’ordinaire, c’est par la famille que se transmet la place d’une personne dans la communauté et en elle que se développent le sentiment d’appartenance, le sens des responsabilités, la façon commune de voir la vie. Finalement, un être humain a la famille, les amis, les compagnons de travail, le mode de vie qui conviennent au maître ou seigneur dont il dépend. Avec le temps, il ressemble à son maître. On ne change donc pas de maître comme on change de chemise.

V 13a. La parole qui ouvre le cadre est une évidence : puisque, dans la vie, on s’oriente en fonction du maître qu’on a, il est impossible d’en avoir deux et d’avancer simultanément dans deux directions différentes. Le cadre de la question dont traite la péricope est donc clairement posé : j’ai à me demander qui est mon «maître», c’est-à-dire qui est le définisseur des balises dont je me sers pour avancer dans la vie. Le fait même de se poser la question est très important, car je n’ai qu’une vie à vivre, un être humain à devenir, et je vais en devenir un que je le planifie ou pas. J’ai donc à décider si je laisse à quelqu’un d’autre de définir qui je serai, ou si je me prends en main et entreprends d’orienter ma vie vers la cible – ou le «maître» – que je veux.

V 13bc. Il y a de nos jours, tout comme il y avait jadis, toutes sortes de monde qui veulent diriger ma vie, certains ont même des titres reconnus : lobbyistes, planificateurs, influenceurs, gourous, promoteurs, experts en intelligence artificielle, etc. Ces gens-là ont des plans de carrière, des plans de vie, et ils savent ce qu’ils attendent de ceux et celles dont ils veulent diriger l’existence. Je peux, pour ma part, passer ma vie à suivre mes goûts du moment, et me ranger constamment du côté de mes «j’aime ou je n’aime pas», sans me soucier de la cohérence de mes choix momentanés et de la qualité de l’être humain qu’ils produiront en fin de compte. Le résultat de ma vie – c’est-à-dire moi – révèlera donc qui aura été mon maître.

V 13d. La dernière ligne, qui ferme le cadre, ramène finalement le nombre des «maîtres» qui comptent à deux : Dieu et l’Argent. Or, il faut bien voir de quoi la Source parle.

«Dieu», ce n’est pas la religion, le Vatican, le credo, le latin, la morale, la messe. C’est bien plutôt l’intériorité, l’appel au partage et à la communication en vue d’une humanité heureuse sur une planète respectée. L’être humain qui suit ce maître doit nécessairement prendre ses distances vis-à-vis de l’autre, veiller à son propre devenir; découvrir, autour de lui, celles et ceux qui partagent ses vues et s’en entourer en vue de façonner avec eux une bulle d’humanité où l’espérance soit possible.

Présenter le second maître se fait en peu de mots puisque nous avons la chance de voir quotidiennement à l’écran les ravages qui surviennent dans l’être humain devenu esclave de l’Argent et ses subalternes : Narcissisme, Égoïsme, Cupidité, Arrogance, Ignorance, Immoralité, Folie, Vantardise, Veulerie. Ils paradent tous devant nous, caricatures d’humains qui nous révèlent à quoi ressemblera quiconque les prendra pour maîtres.

Nous ne savons pas ce que le «maître» Dieu fait ou ne fait pas dans l’Histoire. Et, individuellement, notre pouvoir de changer la situation à grande échelle est pour ainsi dire inexistant. Mais s’il est une chose qui est à la fois à notre portée et d’importance capitale pour l’humanité et pour la planète, c’est que chacun et chacune de nous devenions un être humain et non pas sa caricature.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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