Échos d'Évangile

Fatigant Jugement

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

14 octobre 2020

Crédit photo : Paz Arando / Unsplash

[M13,30b] (L’Humain dira) : récoltez d’abord l’ivraie et mettez-la en ballots pour la brûler, et engrangez ensuite le blé.

 

Cette parole, comme les autres qui lui ressemblent, fait entrer au cœur de l’évangile. Elle traite du Jugement – un thème peu vendeur dans l’Empire régnant aujourd’hui –, qui fait sortir du monde tel que nous le connaissons.  C’est un texte qui vient de loin, aussi bien dans l’espace que dans le temps.

Aussi apparaît-il rebutant à une génération qui se considère comme le fin mot de l’humanité, n’ayant donc rien à apprendre des Anciens, sortes de barbares, puisqu’ignorant tout de l’intelligence artificielle.  Gens qui, évidemment, avaient une pensée beaucoup plus divisive qu’inclusive.

Quelques remarques préliminaires sur cette parole qui, en évoquant la fin de l’Histoire, nous trace le chemin vers notre propre humanité. C’est que, pour la comprendre, il nous faut faire l’effort de relativiser notre culture pour tenter d’en rejoindre une autre qui, elle, ne peut faire un effort semblable, vers nous.

  • Sous ce texte, attribué à Jésus, il faut reconnaître l’influence de Jean Baptiste («au grenier le blé, au feu la paille» – Lc 3,17). L’image est sensiblement la même, et témoigne de l’impact de la pensée de ce dernier sur le Nazaréen.  Les deux en avaient ras le bol de ceux qui avaient organisé le monde à leur profit, en opprimant les autres. Leur foi était que Dieu raisonnait comme eux, et qu’il était sur le point d’y voir. [Une note en passant : avoir la foi, c’est lire la vie comme eux, ce qui n’a rien à voir avec les formulations d’un credo. Il est donc tout à fait possible de croire à un credo tout en ne croyant pas à l’évangile, ou l’inverse.  Il faut savoir ce qu’on dit quand on prétend «avoir la foi».]
  • Pour comprendre l’un et l’autre, il importe de remarquer que le personnage qui exercera le jugement est l’Humain (littéralement : «fils de l’homme»). Ce dernier n’est pas un être réel, mais une personnification de la fonction divine de Juge. On voulait que, dans son Mystère, Dieu garde les mains nettes, en lui évitant de se souiller au contact de sa Création déficiente. Ce n’était donc pas directement lui qui exercerait le jugement final, il le ferait plutôt par l’intermédiaire de l’Humain.
  • Celui que Jean attendait n’était pas Jésus, apparu dans l’Histoire après lui, mais l’Humain venant exercer le jugement, tout comme celui que Jésus espérait était le jugement même de Dieu. «L’Humain va reconnaître quiconque me reconnaît, et l’inverse», disait ce dernier en substance.
  • À mesure que les premiers chrétiens, en Galilée à l’origine, ont réfléchi là-dessus, ils ont conclu, du fait que le jugement de l’Humain devait s’exercer selon les lignes d’intervention de Jésus, à l’identité de l’un et de l’autre.
  • L’important, cependant, n’est pas l’identité de l’Humain, mais les critères de son jugement. Ils définissent les orientations à se donner dans la vie.

 

Ces paroles aux contours raboteux, sorties d’un autre âge et étrangères à notre culture religieuse traditionnelle, nous laissent mal à l’aise.  De plus, quand on profite du système, il est normal qu’on n’aime pas trop ces textes tranchants, qui nous placent du mauvais côté de la clôture. Pour s’y apprivoiser, il faut se mettre dans la peau des victimes d’injustices, pour qui il n’y a d’espoir que dans un changement radical de régime.

Quand on est en haut de la pyramide, on s’organise un système qui permette de rester en haut. Quand on est en bas, on espère qu’elle sera un jour renversée. Or, le Dieu de Jésus interprète la réalité humaine à partir d’en bas.  C’est ce que l’évangile ne cesse de répéter, et nous d’oublier. Bien fatigant ce Jugement.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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