Échos d'Évangile

Devenir humain dans un monde déshumanisé

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

17 juin 2020

Crédit photo :  Arron Choi / Unsplash

[M 10,23] S’ils vous pourchassent dans telle ville, enfuyez-vous dans une autre. Faites-moi confiance, vous n’en aurez pas terminé avec les villes d’Israël que l’Humain sera venu.

 

Le concept de « l’Humain » (littéralement : «Fils de l’homme») était très important pour Jésus. C’était la personnification (1) d’une prérogative importante de Dieu, à savoir celle de se prononcer sur l’authenticité des choses et des humains (le «Jugement»).

Certes, dans l’Histoire, le système (conjugaison des forces de l’Empire romain, d’un côté, et du pouvoir du grand prêtre et du Sanhédrin installés à Jérusalem, de l’autre) pouvait en faire à sa guise vis-à-vis d’un charpentier de petit village sans importance. Jésus en était bien conscient, et il avait à l’esprit le sort de Jean Baptiste, son maître, celui qui l’avait interpellé à faire autre chose de sa vie que raboter le bois à Nazareth.

Lui, le charpentier illettré, n’était certes pas de taille à se faire entendre des grands et des savants, qui pouvaient faire de lui ce qu’ils voulaient. À la Fin, cependant, on verra bien qui aura vécu ou non dans la ligne du Sens. Si les adversaires de Jésus, ayant pour eux le pouvoir et le savoir, interprétaient la vie à partir du passé et de l’Écriture, le Nazaréen, par contre, dont la parole ne pouvait s’appuyer sur aucun diplôme, en référait à l’avenir, au régime de Dieu et au jugement de l’Humain. Ce dernier laissera entrer dans le régime de Dieu quiconque aura suivi le chemin de vie qu’il aura tracé, et barrera la voie aux autres. C’était là la foi et l’espérance de Jésus.

 

La venue de l’Humain

 

Comme on le voit dans les évangiles, le concept de l’Humain est aussi bien en place dans l’expérience des partisans de Jésus. Parce qu’ils se sont mis en porte-à-faux par rapport au système, eux aussi sont pourchassés, mais pas question de jouer aux martyrs. La sagesse leur demande donc de s’enfuir ailleurs. Ils n’auront cependant pas à le faire indéfiniment puisque la venue de l’Humain est imminente. Et celui-ci leur donnera alors raison. La parole montre la distance qui s’est creusée entre le système, et les partisans de Jésus qui lui ont fait confiance. Ils sont en état de crise et ont besoin d’être rassurés.

Devant un tel texte, il faut faire preuve de grand discernement. Il nous faut voir sur quel point nous sommes appelés à creuser, ou non, la distance entre nous et le monde qui nous entoure (travail, voisinage, amitiés, famille, Église…). Il nous faut discerner quelle sorte d’agir correspond à notre personnalité, quels liens nous voulons tisser avec les autres, quelles tensions nous pouvons sereinement porter, tout en ayant conscience de notre fragilité et de la possibilité d’avoir tort.

La force de la vie intérieure, avec la paix et la sérénité qu’elle apporte, est une condition essentielle pour vivre en tension avec un monde déboussolé. Si notre agir nous défait, si nous devenons cyniques, si nous perdons l’espérance, c’est un signal d’alarme. Paul l’avait bien compris, lui qui, dans sa première lettre aux Thessaloniciens, les félicite pour avoir accueilli la Parole «parmi beaucoup de souffrances, avec la joie du Souffle Saint».

Quand on a réussi à devenir humain dans un monde déshumanisé, on ne peut être que fier et joyeux.

 

Notes :

1) À l’époque, on avait tendance à personnifier différents aspects de l’agir de Dieu dans le monde humain ou cosmique : Parole (capacité d’entrer en dialogue avec les humains), Satan (capacité de scruter l’intimité humaine et de tester l’authenticité de chacune et chacun), Souffle (ou Esprit : capacité d’intervenir dans l’Histoire), Sagesse (intelligence créatrice), Volonté (ou Désir : capacité d’interpeller les humains). Chacun de ces concepts désignait un acteur autonome, laissant Dieu dans son mystère et son espace sacré, sans qu’il soit souillé par un contact étroit avec la malheureuse réalité humaine.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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