Échos d'Évangile

«Dangereux désert»

Photo André Myre

Par André Myre

Échos d'Évangile

15 juin 2022

Crédit photo : 1971yes / iStock

Les chrétiens de Galilée, dont la source Q rapporte la vision qu’ils avaient de la foi en Jésus, se souvenaient que ce dernier avait eu une grande admiration pour Jean Baptiste. Dans le texte qui suit (Q 7,24-28), les scribes qui ont rédigé ce document, se servent de traditions qui circulaient dans la communauté des partisans de Jean pour situer ces deux prophètes l’un par rapport à l’autre.

 

Q 7, 24 Ces envoyés une fois partis, il se met à parler de Jean aux foules.

Qu’êtes-vous donc allés voir au désert ?  Un roseau secoué par le vent ?

25 Allons !  Qu’êtes-vous allés voir ?  Quelqu’un de vêtu à la mode ?  Mais, ceux-là, c’est chez les gouvernants qu’on les trouve.

26 Voyons !  Qu’êtes-vous donc allés voir ?  Un prophète ?  Eh bien ! oui, je vous le dis, et même plus qu’un prophète.  27 C’est bien de lui que parle l’Écriture :

J’envoie mon messager en avant de toi, pour qu’il te prépare le chemin, là, en avant [1].

28 Je vous le dis, de tous les enfants des femmes, Jean est le plus grand.  Pourtant, sous le régime de Dieu, le plus petit est plus grand que lui.

 

Le contexte dans lequel ces paroles sont placées est très significatif : quiconque veut rencontrer Jean doit nécessairement aller au désert (v 24). Pour le voir, il faut donc sortir de sa sécurité, de son confort, de sa vision du monde et du système dans lequel on a l’habitude d’évoluer. Car le désert, c’est le lieu de rendez-vous de l’opposition au régime; c’est là que s’assemblent celles et ceux qui préparent un autre mode de vie, dans ce lieu où il est plus facile de repérer les informateurs envoyés par les autorités ou de voir venir les troupes engagées pour débusquer les contestataires. Ne va donc rencontrer Jean au désert que celle ou celui qui s’est déjà quelque peu libéré du système. Et c’est pour y trouver quoi ?

Certainement pas une girouette. Certainement pas ces assoiffés de pouvoir qui flairent le vent à la poursuite de leurs intérêts, prêts à épouser n’importe quelle cause et son contraire, en ayant l’air d’avoir des convictions (vv 24-25). Ce genre de personnages est allergique au désert et ne respire à l’aise que dans les corridors du gouvernement, les salons des parvenus, et les salles de réunion où complotent les personnages cravatés en habits trois pièces. On se rend au désert justement pour ne plus jamais revoir ces horribles personnages qui obligent les décideurs à suivre docilement les directives du système [2].

On se rend donc au désert pour rencontrer l’Opposition faite être humain, le Refus du système fondé dans l’alignement sur une Voix qui se fait entendre depuis toujours, pour dire son projet d’une humanité heureuse sur une planète respectée (v 26). C’est donc loin du régime que se rencontre d’ordinaire le prophète [3], lequel refuse d’obéir aux ordres formulés par ceux qui ont organisé le monde pour que soient servis leurs intérêts.

 

La rencontre avec le prophète

 

Si nous ignorerons toujours ce qui a motivé Jésus à partir de Nazareth pour aller voir Jean, il se trouve quand même des choses importantes que nous savons. Sa rencontre l’a littéralement bouleversé, de sorte qu’il lui a fallu quarante jours de réflexion – au désert, évidemment – pour s’en remettre [4]. Quarante jours, avant de décider de se laisse plonger dans l’eau par lui, pour manifester qu’il allait définitivement changer de vie : cesser d’être le chef du clan familial, abandonner la responsabilité de l’entreprise de charpenterie héritée de Joseph, aller rencontrer un nouveau visage de Dieu présent aux côtés des plus démunis, et s’opposer farouchement aux responsables de la misère de son peuple.

On sort écorché de la rencontre avec un prophète, surtout quand il s’agit d’un homme plus grand qu’un prophète, le plus grand de tous les êtres humains de l’Histoire. Il faut s’arrêter longuement sur l’appréciation de Jean formulée par Jésus au v 28a [5]. Selon lui, Jean est plus grand qu’Abraham, plus grand que Moïse, plus grand que David ou Salomon, plus grand qu’Isaïe, Jérémie ou Ézéchiel, plus grand que n’importe quelle femme ou homme qui ait jamais vécu. C’est dire le choc qu’il a subi. On ne sort pas indemne d’un séjour au désert.

Et pourtant – le texte, à la fin, va droit au cœur de l’évangile –, sous le régime de Dieu, le plus petit est plus grand que Jean, et, faut-il le dire ? plus grand, à ses propres yeux, que lui-même. Car la grandeur d’un être humain a l’appréciation par Dieu comme mesure. Or, selon la façon de voir de ce dernier, nul n’est plus grand qu’un tout-petit. C’est pourquoi l’évangile enrage ceux et celles qui se croient grands et qui refusent de mettre les pieds au désert, là où l’échelle des valeurs du régime de Dieu a déjà cours.

Comme le Jésus de jadis se rencontre aujourd’hui dans l’évangile, ce document est aujourd’hui l’équivalent du désert de jadis où il fallait aller pour voir Jean.  Je réclame donc l’indulgence des lectrices et lecteurs pour m’être fait plaisir et avoir réécrit le texte de la Source comme suit :

 

Que cherchez-vous donc dans l’évangile ? Un homme qui débite des certitudes ?

Allons ! soyons sérieux. Qu’y cherchez-vous ? Un homme de religion, qui veut remplir son édifice sans déplaire aux autorités ? Mais, ceux-là, c’est dans les églises, les synagogues et les mosquées qu’on les trouve.

Voyons ! Qu’y cherchez-vous ? Un homme authentique ? Eh bien ! oui, je vous le dis, et même plus qu’un homme authentique. Un Chemin, une Voix, une Vie, l’Espoir après la découverte que le système n’a pas d’avenir.      

 

Notes :

 

[1] Ml 3,1.

[2] Dans ce paragraphe, je ne fais que donner un habillement contemporain au genre de personnages à propos de qui l’évangile demande de ne pas leur confier ses perles, et qu’il traite de «porcs» et de «chiens» (Mt 7,6), l’équivalent culturel de nos «écœurants» et «enfants de chienne». Aimer ses ennemis n’implique pas qu’on soit naïf ou dupe ou obligé d’utiliser un langage châtié.

[3] Quand le prophète s’approche trop du système, il le fait à ses risques et périls.  On n’a qu’à se souvenir d’Amos expulsé du temple de Béthel par le prêtre Amasias, sur les ordres du roi Jéroboam (Am 7); ou de Jérémie que le roi Sédécias fait jeter dans une citerne (Jér 38); ou de Jean Baptiste décapité pour avoir déplu à la conjointe d’Hérode Antipas (Mc 6), ou de Jésus crucifié, après être sorti de sa Galilée, pour s’en être pris au Temple (Mc 14-15). Au début des années 60, un de mes professeurs juifs avait coutume de dire qu’on aimait bien les prophètes quand on en était éloigné dans l’espace et dans le temps, mais pas quand on les avait au bout du nez.

[4] L’évangéliste Marc a inversé l’ordre des récits de baptême et de test. Au lieu de montrer un Jésus qui réfléchit avant de s’engager, il le présente fidèle à la promesse faite à Jean au cours de son baptême. Matthieu et Luc l’ont suivi sur ce point.

[5] Le v 27 apparaît comme un ajout postérieur au reste du texte. Un scribe chrétien, peut-être inquiet de voir Jean autant valorisé par Jésus, s’emploie à en faire le précurseur de ce dernier. Pour ce faire, il modifie le texte de Malachie 3,1, dans lequel Yhwh déclare qu’il envoie son messager lui préparer le chemin («… pour qu’il prépare le chemin devant moi». Selon le texte retravaillé par le scribe, Jean Baptiste est envoyé par Yhwh pour préparer le chemin de Jésus : «J’envoie mon messager, dit-il à Jésus, pour qu’il te prépare le chemin».

 

16e texte de la série La Source des paroles de Jésus.

 

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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