Suggestions de visionnement

Conclave

Par Sophie Archambault

Suggestions de visionnement

30 avril 2025

Capture d’écran modifiée de la bande-annonce officielle

Film empreint d’une majestuosité dramatique, Conclave, réalisé par Edward Berger, raconte l’histoire d’un huis clos particulier, celui prenant place dans la chapelle Sixtine, où les cardinaux ont le devoir d’élire un nouveau pape. Le spectateur se laisse tranquillement aspirer dans une histoire opaque et mystérieuse où le visage de l’Église peut se métamorphoser à tout instant.

 

«Le pape est mort»

 

C’est ce qu’apprend avec effroi et ahurissement le cardinal Lawrence, qui lui vouait non seulement un immense respect, mais dont il était également l’ami proche. Dès lors, plus une seconde à perdre : il faut nommer au plus vite celui qui sera le prochain souverain pontife. C’est ainsi que le cardinal Lawrence, Doyen du Collège des cardinaux, se retrouve à organiser et administrer un conclave, c’est-à-dire la réunion en huis clos des différents cardinaux pour élire un nouveau pape.

Suite à l’arrivée des cardinaux venus des quatre coins du monde, l’assemblée est enfin confinée dans la chapelle Sixtine. Dès lors, le climat devient de plus en plus tendu. En effet, le cardinal Lawrence comprend progressivement que chaque haut dignitaire de l’Église catholique cherche à défendre ses intérêts et à orienter le choix du futur pontife plutôt qu’à se concentrer à la quête désintéressée d’un nouveau pape qui mènera à bien les missions de l’Église.

Entre autres, les cardinaux Bellini ‒ ami du cardinal Lawrence ‒, Tremblay, Adeyemi et Tedesco se livrent à un jeu de pouvoir insidieux afin de recruter des partisans qui les hisseraient jusqu’au trône pontifical. Plutôt que de nous faire assister à un conclave honnête et inspiré par la volonté de Dieu, le film nous présente des discussions stratégiques entre les cardinaux, des créations d’alliances et des manipulations. Cela nous est d’ailleurs rendu par le biais d’une bande sonore dramatique, qui accentue le suspens du récit et nous garde sur le bout de notre chaise. Cette assemblée, qui relève normalement du plus haut degré de sacralité, est ainsi transformée en véritable théâtre d’affrontements politiques.

 

Aucun homme sain d’esprit ne veut la papauté, affirme le cardinal Bellini. […] Les candidats les plus dangereux sont ceux qui la veulent.

 

Alors que les tours de vote se succèdent sans que les cardinaux s’entendent pour élire un nouveau pape, différents secrets se mettent à émerger pour rebondir sur les murs de la chapelle Sixtine. Si les erreurs passées de certains hommes refont surface pour décrédibiliser leur accessibilité à la souveraineté pontife, la découverte de diverses magouilles témoigne du manque de foi de certains cardinaux, et surtout de leur orgueil. Le cardinal Lawrence se retrouve ainsi à jongler entre la nécessité de maintenir l’ordre et le bon déroulement du conclave tout en luttant pour préserver sa propre foi face aux dérèglements de ce dernier.

Les révélations qui émergent tout au long de ce huis clos démontrent ainsi que, bien que protégés par leur voile spirituel, les membres de l’Église n’échappent pas à l’avidité humaine, transformant cette élection papale en un jeu d’intérêts où la foi semble souvent reléguée au second plan. Rien d’étonnant à ce que, quelque peu avant sa mort, le pape lui-même se soit confié sur ses doutes lors d’une discussion avec le cardinal Bellini. Pas ses doutes envers Dieu, mais bien envers l’Église.

 

Le visage de l’Église : tradition ou modernité?

 

Certains cardinaux de l’assemblée sont mus par la volonté d’un retour aux traditions, alors que d’autres préfèrent embrasser un monde moderne en plein changement. À cet effet, le cardinal Bellini soutient clairement une position visant à moderniser l’institution chrétienne. Bellini milite, entre autres, pour la reconnaissance de l’homosexualité et un rôle accru des femmes au sein de l’Église. Or, à l’opposé, le cardinal Tedesco incarne quant à lui la ligne conservatrice attachée aux valeurs héritées de l’Église, qui rejette l’homosexualité et l’égalité des sexes au sein de l’institution religieuse. Pour Tedesco, la doctrine traditionnelle chrétienne est donc synonyme de guide moral et aidera sans aucun doute l’Église à surpasser la période de crise dans laquelle elle s’enfonce.

Cette lutte entre tradition et modernité structure véritablement tout le propos du film. Effectivement, la campagne électorale officieuse menée par les cardinaux met non seulement en évidence cette fracture idéologique qui divise les hauts dignitaires, mais révèle également comment ces hommes d’Église, emportés par des stratégies de pouvoir, en viennent à se perdre eux-mêmes pour enfermer leur esprit dans des idées hermétiques.

 

Il y a un péché que j’ai appris à craindre par-dessus tout : la certitude, nous dit le cardinal Lawrence. S’il n’y avait que la certitude et pas de doute, il n’y aurait pas de mystère. Et l’on pourrait donc se passer de la foi.

 

Au fil du film, nous pouvons constater que le contraste est de plus en plus grand et grinçant entre la liturgie associée au conclave ‒ un cérémonial extrêmement codifié et spirituel ‒ et les manœuvres politiques qui sont mises en place pour récolter le plus de votes. Le respect de la liturgie devient véritablement une façade : les rituels religieux apparaissent ainsi comme des formes vides, qui ne concordent plus avec la mesquinerie dont les cardinaux font preuve. Ainsi, la question se pose : est-ce l’Église qui traverse une crise face à un monde en constante évolution, ou bien sont-ce ses membres, tiraillés entre la fidélité aux dogmes ancestraux et l’adaptation aux réalités contemporaines, qui peinent à trouver leur place, allant jusqu’à dévier du droit chemin spirituel? Le spectateur vit ces dissonances à travers le personnage de Lawrence. Bien qu’il se retrouve malgré lui pleinement impliqué dans cette guerre politique, il se sent progressivement dévier de sa mission spirituelle, et, pire encore, il ne parvient pas à maintenir l’intégrité morale du corps religieux qui l’entoure.

À travers toutes ces manigances qui suggèrent que l’Église risque de sombrer dans un conflit interne, il faudra un personnage comme le cardinal Benitez qui, ayant connu la guerre et la misère, rappelle aux cardinaux leur devoir premier : la diffusion de l’amour. Grâce à une finale inattendue et surprenante, Benitez fera prendre conscience aux membres de l’Église que, au-delà des luttes de pouvoir, l’essence de la mission dont ils sont les dignitaires reste la foi et, surtout, l’humanité.

 

 

À PROPOS DE SOPHIE ARCHAMBAULT

Candidate au doctorat en études littéraires à l’UQAM, Sophie lit et écrit pour mieux saisir l’humain, la société, mais surtout le monde dans lequel elle évolue. Oiseau de nuit, c’est en multipliant des lectures nocturnes sur la spiritualité et le phénomène religieux que son intérêt marqué pour le concept du sacré s’est doucement développé. Amoureuse de la nature et de ses dangereuses beautés, de la mythologie, de l’histoire de l’art et de tout ce qui requiert de la créativité, Sophie prend plaisir à se rencontrer elle-même à travers ces passions pour ensuite mieux s’ouvrir au monde qui l’entoure.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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