Paroles de dimanches

Avoir le goût

Photo André Myre

Par André Myre

Paroles de dimanches

10 mai 2023

Crédit photo : Briana Tozour / Unsplash

Au début du chapitre 14, l’évangéliste traditionnellement nommé Jean a mis l’accent sur les «œuvres» qu’était appelé à accomplir quiconque s’engageait à marcher sur le chemin tracé par Jésus.

Dans le texte d’aujourd’hui (Jn 14,15-21), le rédacteur s’attaque à un problème difficile, soit celui de la possibilité d’être fidèle à cet engagement, alors que le Nazaréen n’a jamais légiféré ni imposé de pratiques ou de comportements précis. C’est un écueil que frappe tout mouvement – ou religion – destiné à vivre sur le long terme et confronté à diverses cultures et à d’inévitables transformations imposées par l’Histoire[1].

La péricope qui suit comprend un cadre (vv 15 et 21) et un centre en deux morceaux (vv 16-17 et 18-20). Les passages en italique sont de la main d’un rédacteur postérieur, le catholique.

 

Jn 14,15 Si vous êtes attachés à moi, vous garderez mes directives.

16 Et moi je demanderai au Parent, et il vous donnera un autre avocat qui soit avec vous pour toujours. 17 Le souffle de l’authenticité, que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit pas ni ne le connaît, vous, vous le connaissez parce qu’il demeure près de vous et qu’il sera en vous.

18 Je ne vous laisserez pas orphelins, je viens à vous. 19 Encore un peu et le monde ne me voit plus, mais vous, vous me verrez parce que je serai en vie et que vous aussi vous serez en vie. 20 En ce jour-là, vous connaîtrez, vous, que moi je suis par mon Parent, et vous par moi, et moi par vous.

21 Celui qui a mes directives et les garde, voilà celui qui est attaché à moi. Celle qui est attachée à moi, mon Parent sera attaché à elle, et moi aussi je serai attaché à elle et je me ferai voir d’elle.

 

 

Traduction

 

Attacher (vv 15.21). L’«amour» se définit moins par les sentiments ou l’affection que par l’engagement dans une ligne de vie.

Avocat (v 16). Le mot grec paraklètos désigne une personne qui intervient en faveur d’une autre, qui lui vient en aide ou qui sert de médiatrice. Le terme «avocat» est utilisé au sens large et non étroitement juridique.

Authenticité (v 17). Le Souffle est au service de la «vérité» au sens où il dynamise les humains à se conformer à l’orientation fondamentale de leur être, les poussant donc dans la direction de l’authenticité.

Celui, celle, elle (v 21). Les pronoms grecs sont au masculin, mais leur sens est inclusif, ce que cherche à rendre la traduction.

 

Jean

 

La péricope reçue de la tradition créée par l’évangéliste se lisait comme suit :

 

Jn 14,15 Si vous êtes attachés à moi, vous garderez mes directives.

18 Je ne vous laisserez pas orphelins, je viens à vous. 19 Encore un peu et le monde ne me voit plus, mais vous, vous me verrez parce que je serai en vie et que vous aussi vous serez en vie. 20 En ce jour-là, vous connaîtrez, vous, que moi je suis par mon Parent, et vous par moi, et moi par vous.

21 Celui qui a mes directives et les garde, voilà celui qui est attaché à moi. Celle qui est attachée à moi, mon Parent sera attaché à elle, et moi aussi je serai attaché à elle.

 

Dans le cadre de la péricope, Jésus redit en termes johanniques l’équivalent de ce que Matthieu lui avait fait dire en langage matthéen :

 

Mt 28,19a Allez donc parmi toutes les nations y faire des partisans. 20a Apprenez-leur à suivre toutes les directives que je vous ai transmises.

 

L’appel est à un engagement de vie dans une ligne qui part du Parent, passe par Jésus et se transmet aux partisans et partisanes. Se manifeste ainsi un attachement mutuel qui caractérise la famille du Parent.

Le centre de la péricope rend compte de la possibilité d’une telle vie de famille. Les mots sont mis dans la bouche de Jésus quelques jours avant sa mort, mais ils sont rédigés par l’évangéliste un demi-siècle plus tard. Et malgré que le texte ne comporte aucun des termes techniques de la foi auxquels nous sommes habitués, l’essentiel de ce que signifie «croire» y est présenté :

. Jésus est mort et «le monde ne le voit plus»;

. il est pourtant passé vivant à travers la mort, et est donc «en vie»;

. et il «vient» vers les siens, les rendant «en vie» comme lui l’a été;

. les partisans et partisans «connaissent» donc ce que vivre veut dire : Jésus, dynamisé par son Parent, en a révélé les façons de faire et a donc vécu authentiquement; et il dynamise à son tour ses partisans et partisanes de sorte que, d’un côté ils dépendent de lui, et de l’autre lui aussi dépend d’eux parce que c’est leur propre vie qui révèle quel genre d’homme il a été.

Toute la foi est là, sans credo, sans résurrection, sans seigneurie. La péricope johannique offre aux partisans et partisanes de Jésus une lecture de la «vie». Leur propre expérience leur révèle qu’ils ne peuvent rester indifférents au tracé de la vie de Jésus. Et elles et ils sont mobilisés de l’intérieur à emprunter son chemin. Vivre se fait donc à l’écoute d’eux-mêmes, d’où surgissent les façons de vivre authentiquement, de manière à la fois ancienne et neuve. À vivre ainsi, on devient petit à petit authentiquement humain, ressemblant à Jésus qui ressemble au Parent. Et on peut avoir confiance : quiconque a ainsi vécu passe vivant à travers la mort.

 

Le catholique

 

Le rédacteur postérieur, que je nomme le catholique, est chargé à la fin du siècle d’ajuster le récit de l’évangéliste à la foi de la grande Église. Sa principale intervention est située tout de suite après l’ouverture du cadre (v 15).

 

16 Et moi je demanderai au Parent, et il vous donnera un autre avocat qui soit avec vous pour toujours. 17 Le souffle de l’authenticité, que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit pas ni ne le connaît, vous, vous le connaissez parce qu’il demeure près de vous et qu’il sera en vous.

 

Jésus annonce le don d’«un autre avocat» que lui. En qualifiant ainsi Jésus d’avocat, le catholique révèle que la communauté johannique l’avait identifié à l’Humain, personnage transcendant chargé d’évaluer les êtres au nom du Parent et de prendre avec lui qui il veut. Aux yeux du rédacteur, Jésus se fera évidemment l’avocat des siens auprès de Dieu. L’autre défenseur est le «souffle», pouvoir d’action divin, personnifié, que Jésus demandera à son Parent de donner à ses partisans et partisanes une fois qu’il aura accédé à la seigneurie[2].

En retravaillant ainsi le texte, le rédacteur coordonne les manières johannique et catholique d’exprimer la foi. Il fait de même à la toute fin de la péricope en disant que Jésus se fera «voir» de quiconque aura été fidèle à ses directives (v 21b). Il continue ainsi de faire entrer le vocabulaire de la résurrection dans la littérature johannique.

 

Ligne de sens

 

1. En s’appuyant sur le texte johannique, on pourrait dire, en termes très simples, qu’un croyant ou une croyante est un être humain qui a le goût de vivre comme Jésus, et qui le fait de son mieux.

2. C’est tout. Il faut le dire et le redire : c’est tout. Il est permis, bien sûr, de chercher à comprendre d’où vient le «goût». On peut dire que Jésus lui-même est venu interpeller l’être humain en question. Ou que le seigneur ressuscité lui a fait don du souffle de son Parent. Ou que le Verbe, seconde personne de la Trinité, a investi cette personne. Ou on peut ne pas parler de Dieu du tout, et se contenter de suivre les directions de vie qui ressortent des traditions portant sur Jésus. L’important n’est pas d’avoir les seuls mots autorisés pour rendre compte de l’origine du «goût», mais que ce dernier soit sûr. Tout ce qui compte, c’est qu’on soit bien orienté dans la vie, et qu’on devienne un bel être humain qui ait un air de famille.

3. Car le texte parle d’une pluralité de partisans et de partisanes. Il y en donc d’autres autour de soi. Faut les retrouver. Faut se reconnaître. Faut discerner ensemble quelles sont les «directives» qui s’appliquent aujourd’hui, chez nous. Quand on est ne serait-ce que «deux ou trois» (Mt 18,20), on est déjà une Église. On se réunit quand ? Comment ? Où ? On apporte quoi ? À deux ou trois, il y a déjà une organisation, des rites, des façons de faire, des archives, des incompréhensions, des désaccords, des naissances, des morts. Les réponses données à ces questions posées pat la vie font partie de la mécanique des rapports sociaux, mais n’ont rien à voir avec l’essence de la foi. Cela peut donc se changer radicalement, dépendant du nombre, de la culture, des changements dans l’Histoire.

4. Si donc vous êtes deux ou trois, et que vous avez le «goût», écoutez-vous. Dans mille ans ou deux – le temps passe si vite –, on parlera peut-être de vous comme étant «les Mères et les Pères» de l’Église…

 

Notes :

 

[1] Chacune à sa façon, les trois grandes religions ont cherché à contourner le problème – le judaïsme en imposant l’obéissance à la Torah, l’islam à la Charia et le christianisme à l’Église – en se laissant malheureusement distancer par l’Histoire en mouvement.

[2] Il faut se souvenir de ces versets de Paul en Rm 1,3-4a, à savoir que Jésus, «issu du sperme de David, selon la chair» avait été établi «fils de Dieu avec puissance à la manière du souffle saint». Selon les scribes judéo-chrétiens, de qui Paul a appris à dire sa foi, Dieu a utilisé son souffle pour ressusciter Jésus, puis le lui a confié en plénitude pour qu’il le fasse agir jusqu’à la fin de l’Histoire. Jésus se sert de lui pour dynamiser ses partisans et partisanes à prendre sa relève.

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

Partager :

Suivez-nous sur Facebook

Suivez la fondation sur Facebook afin de rester informé sur nos activités, nos projets et nos dernières publications.

Je m’abonne

Envie de recevoir plus de contenu?

Abonnez-vous à notre liste de diffusion et nous vous enverrons un courriel chaque fois qu’un nouveau billet sera publié, c’est facile et gratuit.

Je m’abonne