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La Source a placé le Notre Père en plein centre du document (Q 11,2-4). Elle ordonne aux petites gens de passer par-dessus l’interdit culturel et cultuel, et de s’emparer de la prière. Ils ont le droit de prier, et la prière qu’elle va formuler leur appartient en propre.

Il faut noter, cependant, que les énoncés qu’elle présente ont valeur d’exemples plutôt que d’être formulation intouchable. Ils sont présentés à des gens qui n’ont pas l’habitude de prier, et qui se sentent démunis face au savoir-faire des experts traditionnels. La Source leur présente donc un modèle qu’ils pourront modifier à leur gré, compte tenu des circonstances.

La prière est certes fondée en Jésus, en ce sens qu’elle correspond à sa compréhension de la vie, du monde, de Dieu. Mais il est peu probable qu’elle ait été formulée par lui. D’un côté, il n’était pas l’homme des formules, et, de l’autre, elle témoigne d’un vécu communautaire qui en a inspiré le mot à mot. Les scribes qui l’ont rédigée connaissaient et la mentalité du Nazaréen et les problèmes de leur milieu.

^{Q 11,2} Que votre prière porte sur ceci :

Parent,

fais-toi reconnaître,

fais venir ton Régime,

³ notre pain pour tenir jusqu’à demain, donne-le nous aujourd’hui,

⁴ remets-nous nos dettes, car nous aussi avons remis celles de nos

débiteurs, et ne nous fais pas passer de test,

Amen.

À vous qui venez de lire cette formulation de la Source, je suggère de prendre quelques minutes pour la comparer à celles de Matthieu (6,9-13), de Luc (11,2-4) et de la Liturgie. Chacun de ces milieux chrétiens l’a adaptée à sa réalité.

1. La prière s’ouvrait sur un Abba. On ne prie pas n’importe quel dieu. Celui qui est interpellé, c’est précisément Abba, le Parent, celui qui se cache des grands et des savants et qui se fait connaître du pauvre monde. C’est lui et lui seul qui est capable de comprendre et d’accepter cette prière, prononcée par des non-experts.

2. Les deux demandes du début sont à comprendre ensemble. La première témoigne du fait que le Parent s’est bien caché du grand monde, et que sa personnalité (son «Nom») est totalement méconnu, le preuve étant qu’ils ont monté un système à l’opposé de l’échelle de valeur du Parent. Les petites gens prient donc ce dernier de révéler au grand jour celui qu’il est, ce qui sera manifeste quand il aura installé son Régime. «Fais ça vite, montre quel Dieu tu es et mets enfin la hache (Q 3,9) dans ce système maudit, originaire de Rome et de Jérusalem», c’est en somme le début du Notre Père.

3. Les trois dernières demandes témoignent de la difficulté de vivre que le système impose aux petites gens. La lutte quotidienne pour la nourriture est pénible : si le régime de Dieu n’arrive pas dans l’aujourd’hui de la prière, puisse le Parent avoir la délicatesse de donner le pain aux siens pour leur permettre de tenir jusqu’au lendemain[1]. Une prière prononcée de jour en jour. Luttant quotidiennement pour la nourriture, les partisans vivent dans un système organisé pour qu’ils soient criblés de dettes. Ils ont fait de leur mieux pour se remettre celles qu’ils avaient les uns envers les autres, mais il reste celles, énormes, dont ils ne peuvent pas se défaire, le système ne le permettant pas. Seul le Parent peut y voir.

La dernière demande est assez remarquable et frôle même l’impertinence. Chaque jour qui passe est un test pour la patience des petites gens, lesquels se demandent pourquoi leur Parent – qui est censé tellement les aimer – tarde autant à faire arriver le Régime promis. Il est assez intéressant de rencontrer un Parent qui inspire aux siens une critique de sa propre gestion des choses.

4. Amen: la balle est dans le camp du Parent. Si les petites gens n’ont pas l’habitude des formules rituelles, ils n’en ont pas moins confiance en leur Parent comme en témoigne le Amen final : «Ainsi soit-il», disions-nous jadis. Qu’il en soit ainsi, la prière saura bien trouver son chemin et atteindre son destinataire.

À lire le Notre Père dans la version de la source Q, il y a des choses qui sautent aux yeux. Par exemple, c’est une prière qui est totalement imprégnée de la personnalité du Parent telle que Jésus l’a révélée. Elle est pensée au bas de la société, et priée en fonction des expériences de la vie des petites gens. Elle exprime le vécu et les besoins de ces derniers, lesquels sont en plein dans la mêlée.

C’est pourquoi, les gérants du sacré, qui se sont totalement investis au service du système, sont incapables de la prononcer sans en modifier radicalement le sens : ils s’adressent à un dieu qui est le bien propre de l’Église; dont le nom est sanctifié dans le culte sacerdotal; qui établira son Régime au ciel, pour l’éternité; qui dispense entre-temps le pain eucharistique, qui offre le pardon sacerdotal des péché, qui éloigne des siens les tentations de s’écarter de la morale et qui leur épargne le mal qui atteint les autres. On peut ici se demander comment le Parent réagit quand il reçoit cette prière de la part d’experts qui l’ont non seulement volée aux pauvres, mais en ont changé le sens pour la faire leur.

Quand on ne fait pas partie des petites gens, le Notre Père ne se prie qu’avec leur permission, explicite ou présumée.

Note :

[1] Le texte suivant de la Source, qui sera commenté le mois prochain, révèle comment le Parent effectue quotidiennement ce don.

À PROPOS D’ANDRÉ MYRE

André est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. Depuis plusieurs années, il anime de nombreux ateliers bibliques.

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