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Le texte choisi par la Liturgie pour ce dimanche est en trois morceaux (Mc 9,38-43.45.47-8). Il est uni au précédent (v 37) par la référence au «nom» de Jésus (vv 37.38-39).
L’utilisation du procédé mnémotechnique de l’enchaînement de mots pour unir des péricopes va se poursuivre jusqu’à la fin de la série au v 50[1]. Pour sa part, Marc ne fait que suivre le déroulement de la suite de péricopes qu’il a sous les yeux et, chose rare, il n’y fera aucune intervention rédactionnelle.
9,38 Jean lui disait :
Maître, nous avons vu quelqu’un chassant des démons par ton nom, et nous l’en empêchions car il ne nous suivait pas.
39 Jésus, cependant, a dit :
Ne l’empêchez pas, car il n’y a personne qui fera une puissance par mon nom et pourra rapidement parler en mal de moi.
40 Car qui n’est pas contre nous est pour nous.
41 Car qui vous donnera à boire une coupe d’eau au nom du fait que vous êtes du messie, confiance! je vous le dis, il ne perdra pas son salaire.
42 Et qui démobilisera un seul de ces petites gens ayant confiance en moi, il est beau pour lui, et même plus, si une meule d’âne est passée autour de son cou et qu’il est jeté dans la mer.
43 Et si ta main te démobilise, coupe-la. Il est beau pour toi d’entrer manchot dans la vie, plutôt que, ayant les deux mains, de partir pour le Dépotoir, pour le feu jamais éteint.
45 Et si ton pied te démobilise, coupe-le. Il est beau pour toi d’entrer boiteux dans la vie, plutôt que, ayant les deux pieds, d’être jeté dans le Dépotoir.
47 Et si ton œil te démobilise, chasse-le. Il est beau pour toi d’entrer borgne dans le régime de Dieu, plutôt que, ayant deux yeux, d’être jeté dans le Dépotoir, 48où leur ver ne finit pas et où le feu ne s’éteint pas.[2]
Texte
Sont omis les vv 44 et 46, identiques au v 48, absents des meilleurs manuscrits et d’ordinaire jugés inauthentiques.
Traduction
Au nom du fait que (v 41). Littéralement : «au nom que vous êtes».
Messie (41). Traduit ici comme un titre, christos est d’ordinaire considéré comme un nom propre.
Confiance! (v 41). Il importe de rendre la notion de «confiance» du amèn sémitique, qui est également présente dans le verbe grec pisteuô (faire ou avoir confiance, croire) du verset suivant.
Démobiliser (vv 42-47). Dans la péricope, les paroles traitent de gens engagés que d’autres cherchent à décourager (skandalizô) ou à «démobiliser».
Mer (v 42). La mer existait dans le Chaos primordial, et Dieu s’en est servi dans le cours de la Création. Mais elle reste toujours dangereuse puisqu’en son fond grouillent toutes sortes de monstres mythiques, incapables de faire surface mais toujours menaçants, de sorte qu’être «jeté» dans la mer équivaut à l’être dans l’Abîme.
Petites gens (v 42). Le terme mikroi vise des gens de la base sociale, ici des croyants ordinaires. Seule occurrence avec ce sens en Marc.
Dépotoir (vv 43-45). Le dépotoir de Jérusalem, lieu de feu, de fumée, de vermine, à la senteur immonde, s’appelait «Géhenne». Il a donné son nom à la future résidence des méchants. Seule occurrence en Marc.
Éléments d’Histoire
1. Tout en étant une création chrétienne, le premier morceau (vv 38-40) n’en est pas moins ancré dans l’histoire de Jésus. Durant les dernières années de sa vie, ce dernier a été considéré comme un exorciste de haut niveau, et, après sa mort, le christianisme naissant a propagé cette réputation dans tout le monde méditerranéen, de sorte que son nom s’est plus tard retrouvé dans des formulaires d’exorcisme non chrétiens. La teneur de la péricope témoigne de cette réalité historique de même que de la propension de certains partisans à s’approprier la référence à Jésus et à se sentir spoliés par l’utilisation que des personnes étrangères à la communauté pouvaient en faire.
Pour la seule fois dans l’évangile de Marc, la péricope met en scène Jean, ce partisan qui est traditionnellement considéré comme le fondateur de la communauté, située en Asie Mineure, dans et pour laquelle a été rédigée la littérature johannique[3]. Or, il se trouve en Ac 19,13-17, un texte dans lequel des exorcistes judéens entreprennent de se servir du nom de Jésus dans le but de chasser plus efficacement les souffles malfaisants. Et la scène se passe précisément à Éphèse, lieu d’origine présumé de l’évangile de Jean. La tradition rapportée par Marc y trouve peut-être son origine.
2. La parole du v 41 a pu être rédigée dans le milieu qui a composé le v 37a et s’appliquer aux envoyés de la communauté :
37a Qui reçoit un de ces petits (enfants) en mon nom, il me reçoit, moi.
41 Et qui lui donnera à boire une coupe d’eau en mon nom, confiance! je vous le dis, il ne perdra pas son salaire.
La parole, d’origine communautaire, était aussi fondée en Jésus, comme l’indique la fameuse expression «confiance! je vous le dis», on ne peut plus typique de sa façon de parler. La parole reflète donc le cours d’une histoire qui s’est déroulée pendant une quarantaine d’années, de Jésus à Marc.
3. L’ensemble du troisième morceau reflète une expérience importante de Jésus. D’abord, il a vu les grands se servir de leur pouvoir pour contrer l’influence qu’il avait, pour éteindre le souffle de liberté qui naissait chez les petites gens et pour les enfermer dans leur système qu’ils avaient monté à leur profit. Eux savaient qui était contagieux ou non, ce qui était péché ou pas, comment il fallait prier pour être écouté de Dieu, pourquoi il fallait jeûner, comment amener les gens à leur donner de l’argent, etc. Ils savaient comment tabler sur leurs institutions, qu’ils avaient enrobées de sacré, pour détourner les gens de Jésus.
La profondeur de sa déception explique la violence hyperbolique du sort qu’il entrevoit pour ces tristes personnages. Par ailleurs, il est assez lucide pour connaître la profondeur des réticences qu’éprouve tout être humain, y compris lui-même, à s’engager sur le chemin qu’il cherche à tracer. Il faut savoir se faire violence pour viser la cible, «perdre sa vie» pour la sauver, comme il disait. Il se trouve donc beaucoup de Jésus au fond de ce texte.
Traditions
1. Le premier morceau est rédigé au nous, dans une perspective nettement ecclésiale. En effet, si le «nous» des versets 38 et 40 s’applique aux partisans, ceux-ci représentent la communauté chrétienne, comme le laissent entendre les mots : «il ne nous suivait pas». Dans les évangiles, c’est le seul endroit où il est question de suivre les partisans et non pas Jésus. Il y a, derrière l’expression, une compréhension et une désignation de l’Église comme étant le «Chemin»[4] à suivre. Le groupe chrétien a donc trouvé son identité, mais celle-ci est fragile, et il se sent menacé si quelqu’un d’étranger à la communauté se sert du nom de Jésus en vue d’un agir aligné sur sa façon de faire.
La réponse du scribe, peut-être basée sur la parole d’un prophète chrétien[5], est que la mission prime sur l’institution. Les partisans n’ont pas le monopole d’un agir qui soit dans la ligne de celui tracé par Jésus. Si la suite de ce dernier crée nécessairement des tensions et suscite l’opposition du système, il se trouve néanmoins beaucoup de gens qui œuvrent dans le même sens et sont sympathiques à la ligne d’action de la communauté. Il ne faut pas les voir comme une menace, ni chercher à contrer leur agir, au contraire.
Une seconde explication – qui a été cependant insérée au v 39, avant la première – passe du nous communautaire au je de Jésus. L’ouverture semble avoir été chose difficile, et le fait de proclamer ouvertement Jésus prenait de plus en plus d’importance, peut-être – déjà! –, aux dépens d’un agir conforme. La parole, mise dans la bouche de Jésus, remet donc l’action à l’avant-plan et appelle à une vue nuancée de la situation : il faut appuyer quelqu’un qui se laisse conduire par Jésus même s’il n’a pas, sur lui, la même opinion que la communauté chrétienne. Qu’il n’en dise rien de mal est déjà un plus. Ce qui prime, c’est l’agir dans la ligne du régime de Dieu («une puissance par mon nom»), et non la proclamation de Jésus Christ.
Après la première annonce de sa mort par Jésus, Pierre s’est opposé à Jésus. Au tour de Jean, maintenant – le numéro 2! Ce dernier s’en prend à quelqu’un qui agit comme Jésus, sous prétexte qu’il est étranger au groupe! Il voudrait que cet homme cesse de suivre Jésus pour suivre le groupe qui ne le suit pas. Sans avoir eu à intervenir dans la péricope, mais du simple fait de l’avoir mise en place dans son texte, Marc la fait parler d’une façon extrêmement sarcastique. Façon de secouer une Église souffrant de surdité et d’aveuglement, maladies situées dans la tête d’un organisme… Placées dans le contexte de l’Église de Rome, les répliques de Jésus à l’intervention de Jean l’invitent à créer des liens avec ceux et celles qui, en dehors de la communauté, s’opposent à l’Empire, et à les considérer comme des alliés plutôt que des adversaires.
2. La parole du centre se situe dans le contexte d’un Jésus – et d’une communauté de ses partisans après lui – qui œuvre à l’intérieur de sa Galilée natale, au milieu des petites gens en faveur de qui le régime de Dieu sera établi. La tâche de Jésus, et des autres envoyés, est de créer des liens, de favoriser le partage et de nourrir l’espérance. Le moindre petit geste de solidarité est significatif et aura de l’influence sur le devenir d’une personne.
À l’intérieur de la petite série de textes dans laquelle elle est située, la parole poursuit la réponse de Jésus à la déclaration de Jean (v 38). Ce dernier voulait réserver l’agir dans la ligne de Jésus à ceux et celles qui se réclamaient de lui. La péricope en prend le contre-pied. L’important n’est pas l’appartenance communautaire ou la proclamation chrétienne, mais bien la façon de se situer par rapport aux enjeux de la vie en société. Dans le régime de Dieu, on prendra soin de quiconque aura manifesté le moindre geste de solidarité envers les partisans, par sympathie avec la vie de Jésus ou celle de ceux et celles qui ont pris sa relève. La fraternité fondamentale n’est pas celle d’une proclamation de foi, mais celle du tracé de la vie en société. Si les partisans ne veulent pas d’un messie fidèle jusqu’à la croix, et si, incapables de remplir leur mission, ils veulent en empêcher d’autres de le faire, il se trouve autour d’eux des gens qui, bien qu’étrangers à l’Église, n’en posent pas moins de petits gestes alignés sur Jésus fait messie. Ceux-là sont «grands» (9,34), ce qui sera démontré dans le régime de Dieu.
3. Le troisième morceau est clairement de formation chrétienne. Il a en vue une communauté de croyants d’origine très humble («ces petites gens ayant confiance en moi» – v 42) qui ne laisse pourtant pas les grands indifférents. Il faut ici citer ces fameux versets de Paul à l’adresse de l’Église de Corinthe :
1 Co 1,26 Regardez donc votre appel, frères et sœurs : pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de grand monde.
27 Pourtant, ce qu’il y a de fou pour le monde, Dieu l’a choisi afin de faire honte aux sages.
Ce qui est faible pour le monde, Dieu l’a choisi afin de faire honte à ce qui est fort.
28 Ce qui est de bas étage pour le monde, ce qui est méprisé, ce qui n’existe même pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est.
L’Église est chargée d’annoncer le vide et le néant du système et, par conséquent, des humains qui lui consacrent leur vie. Or, dans toutes les sociétés, ces bien piètres humains n’accéderont à la grandeur que si les petites gens la leur reconnaissent. De là leur panique, leur rage et leurs efforts pour démobiliser ceux et celles des petites gens qui font confiance à Jésus. Ainsi s’explique la réaction des scribes chrétiens contre ces odieux personnages. La parole est d’une extrême violence contre eux parce qu’elle rend compte de l’extrême Colère de Dieu contre le système[6]. Qu’ils aillent rejoindre les monstres qui hantent les fonds marins dont l’origine remonte au Chaos primordial.
Aux vv 43-47, le scribe se tourne vers sa communauté et s’adresse au croyant ou à la croyante. Le système pervers n’est pas qu’à l’extérieur : il réussit à trouver des alliés chez les partisans eux-mêmes, pour les détourner du chemin. C’est la main qui veut s’approprier les choses, le pied qui cherche une autre voie, l’œil envieux. Les trois sont sensibles aux promesses du système. Il en a toujours été ainsi, comme en témoigne la parole d’Isaïe sur le sort de celles et de ceux qui se seront détournés du chemin tracé par Yhwh (v 48). Il est impossible de marcher droit sans se faire violence, mais cela évite de subir violence encore bien plus grande.
Ligne de sens
1. S’il y a un point qui ressort clairement du premier morceau, c’est bien celui-ci : l’important, ce n’est pas l’Église mais le monde. La mission confiée par Jésus Christ n’est donc pas de convertir l’humanité au christianisme. Elle est tout simplement de contribuer à donner du goût à la vie et de nourrir l’espoir. Il suffit d’une petite Église dans la grande humanité pour que la tâche soit remplie. Or, dans l’accomplissement de sa mission, l’Église rencontrera beaucoup de femmes et d’hommes œuvrant dans le même but. Ce sont des alliés, pas des adversaires, ni des compétiteurs, pas même des chrétiens en devenir, encore moins des humains qui n’auraient pas atteint leur plein potentiel.
2. Il y a un second point sur lequel il faut insister. Ces derniers cinquante ans, je n’ai cessé d’entendre dire choses telles que «La tâche de l’Église est de proclamer Jésus Christ» ou encore «Certes, tel groupe fait du beau travail, mais ils ne proclament pas Jésus Christ». Quiconque lit l’évangile de Marc comprend qu’il ne s’y trouve aucun appel à faire une telle proclamation. Se parler de Jésus Christ, cela se fait en Église, car c’est se parler de motivation, des raisons de s’engager sur tel chemin de vie, de la fin d’un homme et de l’appréciation de Dieu pour lui. Proclamer Jésus Christ, cela se fait entre croyants, dans le partage. C’est comme les «je t’aime», qui se disent dans l’intimité, et ne sont pas destinés aux réseaux sociaux. De même, proclamer Jésus Christ ne se fait pas en vue de s’adjoindre des adeptes, de grossir les rangs, de gagner la compétition du meilleur fondateur, ou du vrai salut, ou de la plus sainte religion. Proclamer Jésus Christ n’a rien à voir avec la mission. La tâche de l’Église est de contribuer faire de la terre une meilleure maison pour l’humanité et, de cette dernière, une communauté qui vit dans la dignité, la justice et le partage. Or, cela ne se fait pas en «proclamant Jésus Christ».
Heureux tous ceux et celles qui œuvrent ainsi sans référence à Jésus. Puissent-ils trouver, chez les partisans de ce dernier, des sœurs et des frères humains qui les épaulent dans leur travail éprouvant, de façon tout à fait désintéressée et sans aucune arrière-pensée.
3. À toutes les étapes de sa transmission, la parole sur le «verre d’eau» fait porter le regard, non pas sur Jésus, sur le partisan ou sur la croyante, mais sur l’autre, sur l’étranger à la communauté de foi, sur celui ou celle qui, ne fût-ce que par un tout petit geste, dit partager la lecture de la réalité proposée par Jésus. L’Église n’a pas de sens en soi, elle n’en a qu’alignée sur l’agir de Jésus et reconnue par les petites gens de la base. L’espérance qu’elle a à véhiculer ne réside pas dans un Au-delà transcendant, mais survient dès lors qu’en vertu de son agir, de petites gens voient, dans les ténèbres de leur vie, une lueur au bout du tunnel. Le signe qu’elle a bien fait naître l’espérance, créé la confiance et manifesté l’amour tient dans l’immense réalité du verre d’eau qui lui est donné. Sans lui, la parole de Jésus la condamne.
4. Dans cette «Ligne de sens» je me concentre sur l’Église, parce qu’on y est moins sensible qu’ailleurs dans le système à tous les efforts qui y sont faits pour démobiliser les croyants et croyantes. Cette institution a réussi à convaincre ses membres qu’elle était partie intégrante d’un Plan divin destiné à couvrir le reste de l’Histoire; qu’elle était indestructible; que son organisation à trois étages, excluant la participation des femmes, avait été décrétée par le Verbe éternel de Dieu qui s’était incarné en Jésus, et que la fidélité à ce dernier ne pouvait s’exprimer de façon authentique qu’à l’intérieur de ses rangs. Il s’agit là d’une immense entreprise de «démobilisation», fondée sur la création d’une peur atavique de devenir une secte, si d’aventure on militait en faveur d’un autre type d’organisation; si on relativisait le travail du prêtre; si on était d’avis que tous les croyantes et croyants sont habilités à partager pain et vin en rappelant les paroles de Jésus, à se pardonner les uns les autres, comme le suppose le Notre Père, ou à s’accompagner au cours des derniers pas menant sur le Grand Chemin qui traverse l’Au-delà.
Démobiliser, cela se fait, par exemple, en inspirant la crainte d’un savoir autre que celui qui est imposé par l’Institution. Ou en exigeant l’obéissance absolue à la Tradition. On ne devient pas saint ou sainte, proclame l’Institution, en critiquant l’Église ou la société et en cherchant à reproduire la pratique de Jésus. On fait la charité, on obéit à l’Église et on ferme sa gueule, voilà ce qui caractérise les «fidèles». L’entreprise de démobilisation des partisans de Jésus est millénaire et universelle. Et condamné par l’évangile.
Les «petites gens» dont parle l’évangile ne sont pas démunis. En effet, ils ont la capacité, qui leur vient en droite ligne du dynamisme de leur seigneur, de ne pas se laisser démobiliser. Pour ce faire, il leur faut cesser d’attendre des permissions pour se prendre en main et pour se regrouper en Église; cesser d’attendre que l’Institution daigne changer ou les écouter. Attendre, en effet, c’est être démobilisé. Or l’évangile appelle à prendre les grands moyens pour se défaire de tout obstacle («coupe-la, coupe-le, chasse-le») qui bloque le chemin de l’évangile.
Il y a, chez Jésus et dans l’évangile, une violence qui scandalise les grands puisqu’elle est carrément dirigée contre eux. Comme ils refusent de la voir, ils ont donc inventé le Dieu infiniment miséricordieux de l’évangile qui aurait déplacé le Dieu colérique de l’Ancien Testament. Quand on vit en haut de la pyramide, on est scandalisé par la violence, parce qu’on n’a conscience que de celle qui vient d’en-bas et menace le système. On ne voit pas que celle-ci n’est que la conséquence de la première, la principale, la plus féroce, celle qu’exerce le système à la base pour qu’il puisse profiter de ses privilèges. Celle-là, les grands ne la voient pas, puisqu’il s’agit de la violence courante, institutionnalisée, qui reçoit le nom de «loi et ordre», est programmée par les grandes institutions financières, économiques et commerciales et, avec la bénédiction des États, est produite par les forces armées et policières, aux moyens illimités : marine, aviation, drones, murs, douanes, caméras, surveillance électronique, espionnage, cellules d’assassins, etc.
Ce système opprime et tue de toutes sortes de façons, ouvertement ou non, en contrôlant les prix, les cultures, les transports, les frontières, les déplacements des populations. Les responsables de cette violence sont sans pitié vis-à-vis de ceux et celles qu’elle scandalise et qui s’y opposent. C’est pourquoi ils sont heurtés par la violence annoncée de la Colère de Dieu qui un Jour s’exercera contre eux. Aussi, s’inventent-ils un Dieu tout miséricordieux qui leur pardonnera d’avoir monté et appuyé un système pervers et meurtrier. Mais, à la base, le Parent de l’évangile, qui fait corps avec les petits enfants de sa famille, résiste et exprime sa scandalisant Colère.
Notes :
[1] De façon remarquable, les versets 37-41 sont unis par le «nom», les versets 41-42 par la «confiance», les versets 42-47 par la «démobilisation», les versets 45 et 47 par le «Dépotoir», les versets 48-49 par le «feu» et les versets 49-50 par le «sel».
[2] Is 66,24.
[3] Jn, 1-2-3 Jn et Ap.
[4] Voir Ac 9,2; 16,17 (un chemin de salut); 19,9.23 (nom utilisé à Éphèse pour désigner l’Église); 22,4; 24,14.22.
[5] Le rôle des prophétesses ou prophètes chrétiens est d’ajuster la ligne d’action reçue de Jésus aux conditions nouvelles créées par l’insertion dans une nouvelle culture ou par le déroulement de l’Histoire. La tâche du scribe, de son côté, est de montrer que le neuf formulé dans la parole prophétique poursuit le tracé offert par Jésus. D’Après Marc est un bel exemple d’une œuvre de scribe chrétien qui aligne les nouvelles orientations données par le «messie, fils de Dieu» (1,1) sur celles déroulant de la vie de Jésus.
[6] Après avoir déclaré, en ouverture, que «la parole de Dieu» s’était adressée à Jean Baptiste, la source Q, comme premier exemple, donne celui-ci: «Enfants de vipère! qui vous a appris à fuir la Colère à venir?» (Q 3,2b.7b).
À PROPOS D’ANDRÉ MYRE
André est un bibliste reconnu, auteur prolifique et spécialiste des évangiles, particulièrement de celui de Marc. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal. Depuis plusieurs années, il donne des conférences et anime des ateliers bibliques.
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