Conversations

André Myre : «la Bible est une lecture salvatrice et inspirante»

photo Renée Thivierge

Par Renée Thivierge

Conversations

12 février 2020

André Myre est un bibliste reconnu, auteur des nombreux ouvrages, professeur retraité de l’Université de Montréal et spécialiste des Évangiles, particulièrement de celui de Marc. En entrevue, il parle de la Bible, de religion, d’athéisme et de Dieu.

 

André est un « p’tit gars » du sud-ouest, où avaient aussi résidé ses grands-parents paternel et maternel. Né à Côte-Saint-Paul, un quartier ouvrier de Montréal, il a habité Ville-Émard jusqu’à son entrée en communauté. Il a fait son cours classique à Verdun au Collège Jean-Jacques-Olier, dirigé par les Sulpiciens. Il a donc passé une partie de sa vie à traverser Verdun et Ville-Émard à pied ou à vélo.

 

La vocation première

 

Sa première vocation lui est tôt révélée. Un jour, après avoir assisté à un salut du Saint-Sacrement à l’église, il prend son père par la main et lui déclare avec la fougue de ses cinq ans : « Papa, un jour, je ferai ce que lui, il a fait en avant. » Dès ce jour, tout était réglé : il deviendrait prêtre. Le jour de ses vingt et un ans — nous étions alors en 1960 —, il entre chez les jésuites en compagnie de trente-sept confrères qui venaient des quatre coins du Québec, mais aussi de l’Ontario, du Manitoba. C’était la fin de l’ère Duplessis, le temps de préparation de la Révolution tranquille, et aussi du concile Vatican II, ouvert le 11 octobre 1962 par le pape Jean XXIII. Un monde nouveau, inconnu. Vingt-deux autres jeunes hommes les attendent au noviciat, ils sont donc soixante, qui pensent le monde autrement.

Il poursuit ensuite des études en philosophie chez les jésuites, et effectue son doctorat aux États-Unis pendant quatre ans au Hebrew Union College, une université juive de Cincinnati. Il enseigne à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal et y demeure près de trente ans, c’est-à-dire jusqu’à sa retraite à cinquante-sept ans.

 

André Myre

 

« Ce séjour chez les jésuites m’a beaucoup apporté, particulièrement au contact de ces jeunes hommes eux aussi à la recherche de sens, mais au fil du temps ils ont tous quitté la communauté et il n’en reste actuellement que deux ou trois. Ils sont partis, parce que malheureusement l’institution n’a pas pu évoluer assez rapidement pour les garder. Pendant cette période, j’ai vécu une déconstruction complète et radicale de tout mon monde de pensée… celui de mon enfance. Tout a été déstructuré en cascades, et c’était très très douloureux parce que j’ignorais où ça me mènerait et que personne avant nous n’avait vécu cette expérience. » Il se sépare de la communauté des jésuites au printemps 1997.

 

Une lecture inspirante et salvatrice

 

Lors de son séjour d’études aux États-Unis, un de ses professeurs lui communique l’importance de lire la Bible. Ce qu’il a fait, en dix jours, d’un couvert à l’autre. De la Genèse à l’Apocalypse. À la fin, il n’y avait pour lui ni Abraham, ni Jérémie, ni Jean-Baptiste, ni Jésus.

 

Il y avait une Voix, avec majuscule, il ne s’agissait pas de mots, ni de sons, mais plutôt d’une force, d’un dynamisme de fond. Parfois, c’est le mot anglais ‘drive’ qui me vient à l’esprit.

André Myre

 

Cette lecture lui a fait prendre conscience que ce dynamisme « faisait éclater un monde symbolique qui n’avait plus de sens, une religion qui ne parlait plus, des mots qui ne voulaient plus rien dire, c’était une sorte de puissance de fond qui était assez forte pour donner naissance à autre chose. »

Cette révélation fut à la fois « la grâce et la malédiction » de sa vie. La grâce, parce que c’est ainsi qu’il s’est reconstruit intérieurement; la malédiction parce que tout cela s’est fait dans une marginalité totale par rapport au système. Mais en définitive, cette reconstruction intérieure le prépare pour une autre étape de sa vie. « Si vous me demandez qui je suis, je vous répondrai que je suis bibliste, m’explique-t-il. Un bibliste, c’est celui qui essaie de faire sortir le sens des textes de la Bible. C’est quelqu’un qui travaille dans la Bible de façon technique. »

Et c’est à cette écriture qu’il consacre son temps et son énergie depuis sa retraite. Il a entre autres participé à la rédaction de La Bible. Nouvelle traduction (2001), et au Nouveau vocabulaire biblique (2004). Il a écrit de nombreux ouvrages, dont Pour l’avenir du monde : La résurrection revisitée ; Crois-tu ça? ; Lui ; Venez voir Jésus de Nazareth ; Prier autrement : À l’écoute des évangiles et, tout récemment, D’après Marc : Guide de lecture d’un évangile subversif.

 

André dans son studio

 

Athéisme, incroyance et visage de Dieu

 

Ces remises en question, cette lente déconstruction et cette vie passée à se reconstruire lui ont tracé, à la suite de ce qu’a fait Jésus à l’époque, un chemin de vie. Depuis quelques années, il se sent sous la mouvance d’un puissant aiguillon qui le pousse à écrire.

Il veut entre autres témoigner de sa profonde conviction que « certaines personnes, des hommes d’affaires, des musiciens, des charpentiers, qui se disent absolument athées, incroyants, agnostiques, sont au fond de grands croyants. Le musicien, affirme-t-il, est un grand croyant parce qu’il refait le monde à partir de son intériorité. Comme le danseur, comme le peintre, comme l’écrivain.  Il faut que tous ces gens se reconnaissent une foi commune qui n’a rien à voir avec la religion. »

Lorsqu’il pense à la suite des choses, son regard s’illumine. « Je ne suis pas dans le monde de l’athéisme, de l’incroyance, mais je suis porté à penser que les gens en ont peut-être radicalement ras le bol des religions, mais qu’ils sont fascinés par le vrai Dieu. » Il donne l’exemple de Femme au chapeau, ce tableau de Picasso peint en 1941. « Le visage humain est complètement déformé. Mais Picasso défait quelque chose pour refaire autre chose. Alors, si on se donne le temps, il est possible d’arriver à un visage de Dieu qui corresponde au rêve qui habite tout être humain. »

 

À PROPOS DE RENÉE THIVIERGE

Journaliste, auteure, traductrice et dramaturge, Renée s’intéresse depuis toujours à la philosophie et à la spiritualité. La beauté et l’humain sont ses meilleures sources d’inspiration et elle croit passionnément au pouvoir des mots afin de repousser et teinter de poésie les limites d’un monde souvent filtré et médiatisé.

 

Les opinions exprimées dans les textes sont celles des auteurs. Elles ne prétendent pas refléter les opinions de la Fondation Père-Ménard. Tous les textes publiés sont protégés par le droit d’auteur.

 

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